« Les identités et le football | Accueil | Irak : la résilience américaine »

26 juin 2006

L'inertie des armées

Une colonne du général belge Francis Briquemont, parue la semaine dernière dans La Libre Belgique, a retenu aujourd'hui mon attention. L'auteur y déplore en effet l'inadaptation des armées conventionnelles aux conflits de notre ère. Cette problématique n'est bien entendu pas nouvelle, et l'auteur se gargarise de préjugés trompeurs quant à la situation de l'US Army en Irak (dont la situation en matière de recrutement et de moral est l'inverse de ses homologues européennes), mais l'angle qu'il privilégie - le petit nombre d'éléments opérationnels, c'est-à -dire de combat, dans les armées modernes - est très pertinent. Le tout étant résumé par cette phrase :

Les armées de terre des démocraties sont en crise parce qu'elles n'ont jamais eu autant besoin d'hommes opérationnels d'un niveau élevé alors qu'elles en ont de moins en moins.

Ce constat est bien entendu une condamnation de la professionnalisation des armées européennes, qui ont renoncé au nombre sans gagner en efficacité, c'est-à -dire en capacité de projeter durablement des effets. Et l'impossibilité de forger une seule armée européenne, à même de fonder la masse critique nécessaire, offre une perspective plutôt sombre. A moins de rompre ce compromis paralysant et d'obtenir des armées à deux faces (pour ne pas dire deux vitesses) : une grande composante de milice, conçue pour les missions à l'intérieur des frontières nationales, et une petite composante professionnelle, conçue pour les missions à l'extérieur de ces frontières.

On notera que l'armée suisse correspond très largement à ce modèle...

Publié par Ludovic Monnerat le 26 juin 2006 à 22:28

Commentaires

L'armée de Milice est possible dans une démocratie assez vivante comme en Suisse.
Elle est plus difficile dans un pays très divisé comme l'a été la France du XIXe siècle où la Garde Nationale a joué un rôle d'arme politique et de rempart de l'ordre libéral dans les guerres sociales de Paris et de Lyon pendant la révolution et en 1830, 31, 35, 48 et 70.

Publié par l'homme dans la lune le 27 juin 2006 à 1:04

Il me semble qu'il généralise un peu facilement la situation Belge, car le recrutement en France, par exemple, reste toujours correct (pour les armes de mêlées, au moins 10 candidats valables par poste d'officiers et 2 ou 3 dans le rang. L'attrait pour les régiments pointus, types Paras reste fort contrairement à ce qu'il dit)

Sur l'armée Européenne, les généraux sont toujours prompts à rajouter plus d'états majors, mais le modèle qu'il décrit a aussi des inconvénients : Spécialisation par pays (de fait et par facilité politique) avec les chars et la projection pour l'Allemagne, la France et la GB pour la chair à canons, et ... les états majors pour les belges (conflit d'intérêt ?)).

D'ailleurs face aux conflits modernes le modèle européen très décentralisé, constitué d'armées autonomes pourrait ne pas être aussi inefficace qu'on le craint et plus résistant à des conflits de style guérillas open source (pour reprendre un terme à la mode).

Publié par Bender le 27 juin 2006 à 2:32

Reste à savoir si le modèle suisse ne prend pas l'eau en termes d'efficacité... Lorsque je vois les lascards en uniforme (qui n'a, soit dit en passant, d'uniforme, que le nom!) qui errent dans nos cités, je pense qu'ils font plus partie du problème que de la solution!!

Publié par dahuvariable le 27 juin 2006 à 8:43

Je ne vois pas en quoi cet article est une condamnation de la professionalisation des armées. En effet, dans les pays en paix avec leurs frontières, les conscrits sont surtout des guignols à qui on met un treillis et qui ne servent à rien (ma prof d'italien m'a raconté que, pendant le service militaire de son maris, il passait ses journées à vider des chargeurs afin que la base puisse obtenir plus de munition l'année prochaine). De plus, les conscrits ne peuvent pas être envoyés sur des théâtres d'opérations lointains pour des raisons politiques.
Par contre, une armée professionelle est (ou est sensé être) bien entrainée, bien équipée et motivé. Et c'est ce qu'il faut dans une guerre asymétrique.

Publié par Gabriel Bendayan le 27 juin 2006 à 9:27

L. Monnerat : merci de signaler cet article.

J'étais jeudi dernier au colloque de l'UDF sur politique internationale (le matin) et défense (l'après-midi), les interventions de militaires de haut rang allaient tout à fait dans le même sens, je résume : l'armée française manque cruellement des moyens d'être opérationnelle parce que ces moyens ont été phagocytés par ... l'armement. Dont on peut penser (je complète) qu'il a plus de poids sur certains décideurs politiques que n'en ont les menaces effectives - faute de débat citoyen sur la défense.

G. Bendayan : il s'agit bien d'une armée duale, i) cohésion sociale et contrôle du territoire intérieur, ii) professionnalisme et réaction rapide à l'extérieur.

... donc, très peu à voir avec le modèle qui s'est dégagé pour l'armée française au fil de sa professionalisation (du début des années 80 à la fin des années 90).

Publié par frédéricLN le 27 juin 2006 à 10:28

En fait, cet article m'a renvoyé à ma propre expérience dans un bataillon de chasseurs alpins (appelés du contingent) au milieu des années 80.

Nous étions la seule division de l'armée à ne pas avoir de matériel. Le règlement disait que nous étions "transportables" (chic). Bien sûr, la propagande disait que l'entraînement en montagne nous préparait à intervenir sur tous les terrains, patati patata, mais nous étions bien conscients d'être une survivance folklorique ; pour l'intervention sur tous les terrains, nous servions, au mieux, de complément d'effectif aux paras et troupes de marine.

La vraie armée, celle de l'avenir, celle de la professionnalisation inéluctable, c'était le corps d'armée blindé positionné dans le quart nord-est français. Doté des munitions à sous-munitions et de l'appui hélicoptères qui lui permettraient de mener contre les hordes rouges, la AirLand Battle. L'armée attendait, non plus les Américains et les tanks [Pétain ?, 1917], mais l'état-major franco-allemand et les chars Leclerc.

C'était hier.

Publié par FrédéricLN le 27 juin 2006 à 10:51

Le problème de la spécialisation est que la capacité de projeter une force à même de contrôler un territoir étendu est quasi-nulle.
En Côte d'Ivoire, on a bien vu que les français peinaient à garder le contrôler de territoires de la taille d'une ville. Très bien formés, très bien équipés mais en petit nombre.

Il me semble, maios ce n'est que mon point de vue, que l'on perd la notion de guerre pour celle de bataille. On se contente de victoires ponctuelles, menées pas des commandos ou de petites forces et l'on perd de vue la victoire totale.
Beaucoup de conflits actuels s'inscrivent dans la durée voire dans l'infini, dans le sens où l'on ne résoud aps la situation. On se contente d'y être un acteur (image politique? obligation post-coloniale?) sans vraiment prévaloir. Donc l'intervention est inutile.
Il faut revenir je pense à une armée de métier plus basique, mais plus nombreuse.

Publié par Ares le 27 juin 2006 à 12:34

Augmentez les effectifs, cela serait bien, mais, dans nos "douillettes" démocraties, trouverait on encore beaucoup de "chair à canon" comme en 1914 et 1939 ? Et celle ci serait elle entrainer pour les équipements de plus en plus higt tech que l'on trouve dans nos arsenaux ?

Méme la République Populaire de Chine taille dans ces effectifs pour avoir des unités plus efficaces.

Publié par Frédéric le 27 juin 2006 à 21:14

Ares "Il faut revenir je pense à une armée de métier plus basique, mais plus nombreuse."

Cette solution serait appropriée dès lors que la guerre aurait (de nouveau) pour objectif le contrôle de territoires hostiles, en raison de leurs ressources. A priori, la créativité d'un territoire hostile étant nulle, la ressource contrôlable est la ressource énergétique.

Donc, votre solution convient au scénario "Pour assurer son approvisionnement pétrolier (ou gazier), l'Europe (par exemple) met sous protectorat des pays détenant les gisements".

Je suis personnellement bien plus favorable au scénario "l'Europe se dote des moyens de faire respecter des règles de droit" (commercial, liberté des mers, etc.), en dégageant par la diplomatie des solutions qui conviennent à la grande majorité.

Dans un tel scénario, l'armée nécessaire est celle qui contrôle le territoire propre (cohésion sociale, information, contre-terrorisme, pour éviter que des extrémistes fassent échouer les relations de droit et radicalisent les opinions publiques), et qui a des capacités d'interventions limitées, mais ultra-rapides, pour sanctionner les infractions à la paix mondiale. Une sorte de capacité mondiale de police.

Publié par frédéricLN le 29 juin 2006 à 16:10

Je pense qu'il faudrait surtout créer ou révéler une base politique solide où ancrer le mandat de l'armée. S'il fallait écouter les affaires étrangères à Berne et la radio romande, l'armée aurait juste le droit d'aider les services industriels les lendemains de fêtes populaires.

Il faudrait un débat sérieux sur les risques actuels, sur l'utilité concrète de forces armées pour la Suisse et sur la nature et la forme de leur mandat. Mais pour cela, il faudrait trouver le moyen de désigner l'ennemi.

Publié par ajm le 29 juin 2006 à 20:29

Plus que jamais les armées ont besoin de l' efficacité des bas échelons (équipe - groupe). Si le soldat sait communiquer / bouger / tirer correctement, si le binôme sait se déplacer / toucher / s' assurer la supériorité de feu, si l' équipe et le groupe ont correctement drillé jusqu' au sang leurs techniques d' actions immédiates, 90% des problèmes dûs aux conflits actuels sont réglés (patrouilles, check-points, fouilles, arrestations, protection...) et la conduite devient (presque) aussi simple qu' un wargame.

C' est l' approche "bottom-up" des armées orientales.

Et c' est réalisable en quelques semaines d' instruction avec des moyens réduits. A LA PORTEE DE N' IMPORTE QUELLE ARMEE DE CONSCRIPTION.

En occident, on applique au contraire l' approche "top-down" : en-dessous de commandant d' unité aucune initiative n' est tolérée, le matériel individuel est largement insuffisant, les budgets sont gaspillés pour de l' équipement hi-tech (copinage avec les lobbies de l' armement), et comme les décisions se prennent aux hauts échelons il faut continuer à faire croire aux officiers supérieurs qu' ils sont la clé du succès, donc les entrainer à manoeuvrer leurs bat chars...

On cherche toutes les solutions au niveau politique, voire opératif...

On en revient toujours à la même conclusion : les guerres actuelles sont gagnées par l' infanterie légère hardcore, encore faut-il en disposer en quantités suffisantes. Leçons apprises au Viet-Nam, en Afghanistan 1, en Tchétchénie, en Afghanistan 2, en Irak mais personne ne bouge.

Et encore une fois, sur ce blog comme dans le 99% des rapports, on cherche le noeud du problème dans les budgets, les politiques de recrutement, le regroupement international des armées etc etc...

Publié par Arnaud le 1 juillet 2006 à 14:56

Ben alors ? Je pensais que quelqu' un essaierait au moins de contester...

Ou suis-je si convaincu que c' est peine perdue ;-)

Publié par Arnaud le 4 juillet 2006 à 14:38

Arnaud, que voulez-vous que l'on vous dise puisque vous avez raison ? Remarquez, plusieurs voix ont également dit en Suisse depuis des années que l'on manquait d'infanterie ; comme on a trop réduit celle-ci avec le passage à l'Armée XXI, on l'augmente maintenant avec l'étape de développement 08/11...

Publié par Ludovic Monnerat le 5 juillet 2006 à 12:13