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10 décembre 2005

Un récit circonstancié

Aujourd'hui, c'est à un récit de mes activités que je vais me livrer. Quelques esprits chagrins pourront peut-être y voir une preuve d'un incommensurable narcissisme, mais je pense que les lecteurs de ce carnet seront intéressés à découvrir quelles activités peuvent être celles d'un officier d'état-major occupant un poste à haute responsabilité dans un vaste état-major. Cette machinerie repose sur de nombreux rouages, et j'ai la chance de me situer à un niveau qui me donne accès à toutes les informations essentielles et qui me permet de travailler directement avec le commandant. Il faut donc prendre ce qui suit comme un témoignage ponctuel au milieu d'un exercice.

Je suis arrivé à mon bureau à 0655 ce matin. Après avoir entré mon code d'accès (les ordinateurs ne sont jamais éteints), j'ai commencé à consulter mon courrier électronique, à parcourir rapidement les extraits de presse ainsi que les rapports arrivés depuis mon départ du QG le soir précédent (vers 2200). Cela m'a permis de mettre à jour le folio que je comptais présenter au briefing du matin. L'entraînement du briefing au centre d'opérations terrestre (LOC) a eu lieu entre 0730 et 0740, et je suis retourné à mon bureau consulter d'autres informations avant de participer au briefing matinal du commandant, de 0800 à 0820. Ce matin, j'avais une demande au commandant (la subordination de deux avions émetteurs Commando Solo), et il m'a ordonné de l'émettre par écrit au nom de son second à destination de l'échelon supérieur.

C'est ce que j'ai fait promptement (on prend vite l'habitude de rédiger des documents en anglais, même les abréviations OTAN deviennent digestes avec le temps), pour la retourner avec signature au LOC, puis partir ensuite au rapport de coordination avec le CEM et tous les SCEM, afin de parler des actions prévues et d'autres questions. La discussion s'est prolongée avec le L2 et le L3 (L pour Land, au lieu de G, afin de ne pas confondre avec les brigades) concernant l'emploi des moyens de guerre électronique. Je suis revenu juste à temps dans ma cellule, à 1000, pour une discussion de 15 minutes avec les observateurs spécialisés dans les opérations d'information. C'est également à cet instant que je me rends disponible pour des contacts téléphoniques avec les Chief Info Ops des autres composantes.

J'ai cependant bien vite été accaparé par une tâche que m'avait confiée le commandant en second le matin : planifier une opération pour parvenir à corriger la couverture assez négative des médias sur la situation dans le pays de l'exercice. Après une appréhension du problème, je lui ai proposé de reprendre l'initiative dans le domaine sémantique en ayant un événement majeur chaque jour, choisi parmi les actions planifiées ou réactives de nos unités subordonnées, pour ensuite l'utiliser comme argumentaire dans l'information publique et dans les opérations psychologiques en vue de montrer que l'on fait quelque chose de concret et de positif dans le pays. J'ai donc utilisé la fin de la matinée pour effectuer une planification rapide, coordonner la chose avec l'officier d'information publique, et avoir un contact avec le Chief Info Ops de l'échelon supérieur. J'ai aussi pris une demi-heure pour aller manger!

Vers 1300, j'étais de nouveau à mon bureau et j'ai passé un certain temps à décrypter des rapports d'interception provenant de nos moyens de détection radio. Parmi les 25 pages des différents systèmes engagés, je n'ai pas trouvé ce que je cherchais : la localisation d'émetteurs radio pirates mobiles diffusant de la propagande contre nous. J'ai également préparé un folio pour résumer ma démarche au commandant au sujet de l'opération projetée, ai participé de 1330 à 1340 à la préparation du briefing, et au briefing lui-même de 1400 à 1415. Par la suite, j'ai pris quelques minutes pour coordonner des activités avec les officiers des opérations psychologiques (un largage de tracts est en préparation, conformément à mes directives 2 jours plus tôt), et je me suis rendu - un brin en retard d'ailleurs - à la vidéoconférence entre le commandant en second, les SCEM et les commandants directement subordonnés, de 1445 à 1515.

A cette heure-là , il est temps pour moi de préparer le groupe de travail quotidien que je dirige (Information Operations Working Group), ce que j'ai fait en 20 minutes environ, et surtout de procéder à la rédaction de l'ordre partiel (FRAGO) concernant l'opération en question (une page A4 seulement, mais en Times New Roman 10!). Cela m'a permis de présenter ce FRAGO durant le rapport, qui rassemble des représentants de presque toutes les cellules, des officiers d'opérations psychologiques et de guerre électronique, ainsi que l'officier d'information publique, et donc d'obtenir les réactions de points de vue très différents. J'ai également discuté un concept OPSEC durant le rapport, ainsi qu'un concept pour une opération psychologique de sensibilisation au danger posé par les mines, concept d'ailleurs créé par un officier de la 1ère brigade située en Suisse.

A l'issue du rapport, qui a duré de 1630 à 1700, j'ai corrigé mon FRAGO et l'ai soumis au commandant en second avant d'aller manger ; quand je suis revenu, un peu avant 1800, le document était approuvé tel quel et j'ai pu le faire envoyer à nos subordonnés. J'ai alors commencé à préparer le bilan de la journée (le « hot wash up », quoi) tout en consultant les rapports de situation ; le mien était d'ailleurs parti peu avant 1630. La discussion avec les officiers des opérations psychologiques - dont un détaché auprès de la CJTF pour un rapport Info Ops - a duré de 1845 à 1930 environ, puis j'ai participé à la critique générale après 2 jours d'exercices, de 1945 à 2045, sous la houlette du général Reinhardt - déjà croisé à Oberammergau - et en présence de tous les personnages-clefs de l'EM. Une critique d'ailleurs très positive : la composante terrestre est très bien jugée.

Revenu au bureau, j'ai préparé mon folio pour le briefing de demain matin, consulté encore quelques rapports et coupures de presse, eu une conversation avec une brigade, et mon travail ici s'est achevé vers 2130. A la suite de quoi j'ai commencé à rédiger ce billet. Il est maintenant 2206, et je pense que j'ai bien mérité une bière finlandaise au mess de la base. Demain dimanche, nous aurons une pause dans l'exercice dès 1300. Ce sera bien apprécié!

Publié par Ludovic Monnerat le 10 décembre 2005 à 22:07

Commentaires

Merci pour cet article, il est rare de pouvoir suivre le quotidien d'un officier, européen de surcroît, dans le cadre d'un exercice international.

Allez vous utiliser une touche d'humour suisse dans la rédaction de vos tracts ?

Quant à l'opposition propagandiste, peut-être aurez vous droit à une manifestation similaire à celle organisée contre le sommet du partenariat Euro-Atlantique. Ou peut-être que les membres de mouvements suédois tels que "Östersund Network for Global Peace and Democracy" trouveront que l'exercice manque de personnalités politiques.

Publié par Mugon le 11 décembre 2005 à 9:33

Nos tracts pour l'instant sont assez conventionnels ; j'espère pouvoir en placer ici un extrait. Mais il faut un début à tout, et comme toujours dans ce genre d'exercice, il est très difficile de connaître leur effet... ce qui est certain, ce que notre premier Commando Solo a décollé ce matin à 0600 et que nous aurons ensuite toujours un avion en l'air pour diffuser nos messages-clefs... :)

Publié par Ludovic Monnerat le 11 décembre 2005 à 12:09

Je suis très surpris des points communs entre votre état-major et mon centre d'opérations (ma compagnie opère un champ pétrolier offshore). Grosso modo les mêmes routines d'opérations et de prises de décisions, même si les actions sont différentes et que notre "QG" est permanent, les contraintes sont aussi quelque peu différentes(encore que je serais curieux de comparer avec votre QG composante maritime)... Je me disais bien qu'on avait un fonctionnement de type militaire :-)

Publié par nicolas le 11 décembre 2005 à 19:27