« Incompétence à Guantanamo | Accueil | Les guerres sociétales »

5 août 2005

Le permis de tuer (2)

Un article du Washington Post paru hier a révélé que l'International Association of Chiefs of Police a édicté au lendemain des attentats du 7 juillet dernier à Londres de nouvelles directives - appuyées par un règlement pour l'instruction - qui incitent les forces de l'ordre à abattre par des coups de feu en pleine tête tout individu suspecté de préparer un attentat suicide. Il s'agit donc bel et bien d'une révision majeure des règles d'engagement, comme l'indique l'extrait suivant :

After the July 7 attacks on the London transit system by suicide bombers, the international police chiefs organization produced a detailed training guide for dealing with suicide bombers for its 20,000 law enforcement members. It recommends that if an officer needs to use lethal force to stop someone who fits a certain behavioral profile, the officer should "aim for the head" to kill the person instantly and prevent the setting off of a bomb if one is strapped to the person's chest.
The police organization's behavioral profile says such a person might exhibit "multiple anomalies," including wearing a heavy coat or jacket in warm weather or carrying a briefcase, duffle bag or backpack with protrusions or visible wires. The person might display nervousness, an unwillingness to make eye contact or excessive sweating. There might be chemical burns on the clothing or stains on the hands. The person might mumble prayers or be "pacing back and forth in front of a venue."
The police group's guidelines also say the threat to officers does not have to be "imminent," as police training traditionally teaches. Officers do not have to wait until a suspected bomber makes a move, another traditional requirement for police to use deadly force. An officer just needs to have a "reasonable basis" to believe that the suspect can detonate a bomb, the guidelines say.

Cet article confirme l'importance du débat mené récemment sur ce site concernant la politique du "shoot to kill". A partir de l'instant où des forces de sécurité civiles adoptent des méthodes et des raisonnements de type militaire, pour la simple et bonne raison que nos sociétés sont devenues des champs de bataille, c'est bien le signe que le conflit central de notre époque et le terrorisme qu'il provoque risquent de profondément transformer nos vies. En soi, l'abandon de l'imminence comme justification pour l'ouverture du feu - et donc le recours à l'attaque préventive - est une modification majeure qui peut rapidement dégénérer. Ou quand une mesure antiterroriste peut se révéler pire que le terrorisme lui-même...

Publié par Ludovic Monnerat le 5 août 2005 à 10:16

Commentaires

"The police standard operating procedure of addressing a suspect and telling them to drop their weapon and put their hands up or freeze is not going to work with a suicide bomber," said Bruce Hoffman, author of "Inside Terrorism" and a terrorist expert at the Rand Corp. "You're signing your own death warrant if you do that."

"The London situation where an innocent man was shot and killed was based on Israeli procedure, and I don't think that we want to be replicating the actions of a foreign government engaged in a brutal occupation of another people," said Ibrahim Hooper, spokesman for the Council on American-Islamic Relations. "It sends the wrong message to the Muslim world."

C'est bien beau de critiquer mais qu'est-ce qu'on propose a la place ?

Et critiquer une procedure parce qu'elle est d'origine israelienne et que ca "enverrait le mauvais message a la communaute musulmane" me semble un peu... specieux !

Quel message est-ce que ladite communaute envoie-t-elle au monde quand nombre de ses propres dirigeants ou representants excusent regulierement (quand ils n'applaudissent pas !) ces inexcusables actions terroristes faites au nom de l'islam ?

Publié par jc durbant le 5 août 2005 à 20:12

"... Ou quand une mesure antiterroriste peut se révéler pire que le terrorisme lui-même... "

Je ne crois pas, car l'action des Assassins est imprévisible et ne s'annonce pas ( à la différence de certains terrorismes qui annonçaient l'éminence d'une explosion ou visaient des infrastructures ) cette mesure : "shoot to kill" peut être contré par un civisme exemplaire et une prudence accrue dans les zones à risque en évitant de confondre la police par un accoutrement et une pilosité tendancieuse ;-)

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 5 août 2005 à 20:18

« Last for the road », un dernier commentaire en vitesse : Ludovic, je ne suis pas entièrement en accord avec ce dernier post. Je ne pense pas que nos sociétés soient devenues des champs de bataille. La lutte contre le terrorisme reste du domaine du renseignement (analyse prospective de la menace) et du domaine policier (action réactive). Le terrorisme est une très vieille méthode de « communication » criminelle que nous connaissons depuis des temps immémoriaux. La seule différence que nous connaissons aujourd'hui est que le terrorisme islamiste cherche moins la publicité que le nombre de morts. Le mode de « communication » à changé, de l'influence contrôlée (on tente d'avoir une image positive de victime) à l'influence imposée (on est des combattants). Mais la méthode de « communication » reste la même : criminelle, soit un problème policier et judiciaire (le renseignement venant « simplement » aider à la connaissance du problème).

L'armée ne doit intervenir - et là je crois que nous sommes en accord - que dans des zones opérationnelles de type Afghanistan (L'intervention en Irak n'ayant été en rien conditionné par la lutte contre-terroriste).

Les interventions préemptives de type « shoot to kill » ne me dérangent pas outre mesure pour autant que les conditions d'engagement aient été clairement établies et que l'entraînement des policiers soit à la hauteur de leurs nouvelles missions (entraînement technique au tir et formation psychologique). Le problème, pour reprendre le post de Y-M Senamaud, est qu'il n'existe pas de « profiling » idéal. Nous ne pouvons plus identifier le candidat terroriste à la vue de sa barbe ou du port de la djellaba. Cela n'est plus vrai aujourd'hui où l'on peut être confronté à un terroriste occidentalisé en costume trois pièces. Je crains donc que des erreurs risquent encore d'être commises. Le « shoot to kill » doit rester une exception dans l'urgence du moment!la « morale de l'urgence », pour reprendre la terminologie du philosophe américain Michael Waltzer.

B.

Publié par B. le 5 août 2005 à 21:56

La conclusion de Ludovic me paraît très pertinente.
Avant de déclarer que le tir préventif est une bonne manière de se défendre contre le terrorisme, il n'est pas sot de se demander ce que nous voulons défendre. En ce qui me concerne, je ne souhaite pas tant échapper à une mort par attentat (issue extrêmement improbable selon les probabilités) que promouvoir et maintenir une société libre et un état de droit qui responsabilise les individus. En ce sens, ce qui peut permettre de transformer les teroristes en engrais organique est une bonne chose, mais pas au prix de transformer notre société en une tyrannie tout aussi haïssable que le totalitarisme islamiste.

Si c'est le chemin que prennent nos sociétés occidentales, je me joindrai sans hésitation à ceux qui souhaitent leur effondrement.

Publié par Ruben le 6 août 2005 à 8:56

Pour B. : La question de savoir si nos sociétés sont devenues des champs de bataille sort du cadre de ce billet, mais elle est trop importante pour être laissée de côté ; je vais donc la traiter par un autre billet. Idem pour le rôle du terrorisme. Sinon, nous sommes bien d'accord, le "shoot to kill" est une mesure d'urgence, un ultima ratio.

Pour Ruben : D'accord aussi pour votre raisonnement. En revanche, votre dernière phrase me paraît éminemment contestable ; si nos sociétés prennent un mauvais chemin, c'est notre rôle que d'agir de l'intérieur pour corriger le tir (si l'on me permet cette expression dans ce contexte!) par des voies démocratiques. Nul ne peut souhaiter l'effondrement de sa propre société sans exprimer un nihilisme qui a déjà fait un tort monstrueux à l'Europe et au monde.

Publié par Ludovic Monnerat le 6 août 2005 à 11:22

Ludovic,
Que ce soit clair : je suis presque certain de pouvoir tuer et risquer d'être tué pour défendre mes valeurs. Mon pays, je l'aime parce qu'il incarne ces valeurs de libertés civi-ques-les, et c'est pourquoi je pense qu'il mérite d'être défendu. C'était mon raisonement au moment de choisir la qualité d'officier, et ça l'est toujours.
Mais si je suis incapable de "corriger le tir" avec les autres personnes que ce problème préoccupe, et que nos sociétés deviennent des enfers orwelliens, il n'y a aucune raison de continuer à les défendre -au contraire!
Et ce n'est pas du nihilisme que de revendiquer des valeurs absolues, au moment où certains états font volte-face et relativisent la vie privée ou la liberté des individus sous prétexte de guerre contre la terreur. Une telle société, au nom de ces valeurs -positives et non pas nihilistes- mériterait certainement la destruction afin de pouvoir rebâtir quelque chose qui mériterait à nouveau d'être défendu.

Cela dit, on n'en est heureusement pas encore là , et surtout pas en Suisse! ;)

Publié par Ruben le 6 août 2005 à 11:47

D'accord, Ruben : je saisis mieux vos propos, et je pense effectivement qu'un enfer orwellien mérite dans tous les cas d'être abattu. Ceci étant, entre un enfer orwellien et l'état actuel de notre pays, on doit imaginer des gradations qui posent des questions délicates. Jusqu'à quel point par exemple faut-il renoncer à des libertés fondamentales pour sauver des vies? Les valeurs absolues font abstraction de la complexité de notre monde et des incertitudes de l'esprit. Décider malgré d'infinies nuances de gris représente le vrai défi...

Sinon, oui, nous n'en sommes pas encore là ! :)

Publié par Ludovic Monnerat le 6 août 2005 à 13:21

Je me risque, car le débat semble s'élever. J'ai l'impression que le " shoot to kill " à l'anglaise est encore bien loin de la civilisation orwellienne. Être tué est un risque que nous prenons tous les jour ( je pense à l'automobile, les usines et autres activités humaines où on accepte une part de risque non négligeable au nom de nos valeurs ). Quelle différence avec le " shoot to kill ". C'est certain que les Anglais aurait pu faire un peu de publicité avant et montrer une fiction ce qui aurait peut-être épargné la vie du Brésilien. Mais delà à parler de dérive Orwellienne je trouve l'image un peu forcé et je ne vois pas en quoi je dois renoncer à des libertés fondamentales. Ma liberté comporte un risque d'accord mais elle reste assurée. On ne m'interdit pas de circuler, on ne me harcèle pas et on ne me menace pas de me jeter dans un bagne.

Publié par Yves-Marie SENAMAUD le 7 août 2005 à 2:49