« Une escale à Lucerne | Accueil | La chute d'Amnesty (2) »

18 juin 2005

De l'information spectacle

Le Figaro publie aujourd'hui un article fort intéressant sur la presse « people » française, et notamment sur la recherche des couvertures les plus susceptibles de favoriser les ventes. Les enjeux économiques, avec des tirages qui atteignent le million d'exemplaires pour Paris Match, sont bien entendu cruciaux. Mais c'est surtout l'influence de cette course à l'audience sur la fabrication de l'information, au-delà de la seule presse spécialisée, qui doit attirer notre attention :

Les vacances se rapprochant, les enchères auprès des agences photos pour les scoops de l'été ont commencé. Tom Cruise subitement amoureux de l'actrice américaine Kathie Holmes sera évidemment traqué. La photo qui prouvera que leur romance n'est qu'un coup marketing est déjà valorisée à 200 000 euros, ce qui correspond au montant versé pour le premier baiser de Dodi et de Diana. Chez Point de Vue, les téléobjectifs sont braqués sur Balmoral, le château écossais de la famille royale d'Angleterre. «Kate, l'amie du prince William va pour la première fois habiter sous le même toit que Charles et Camilla», explique la directrice de la rédaction, Colombe Pringle.
[!]
Les people étrangers sont aussi une valeur sûre. Pour Laurence Piau, rédactrice en chef de Closer, Brad Pitt et Angelina Jolie, «c'est du lourd». Il s'agit de deux stars internationales bien identifiées dont l'histoire épouse tous les cadres de la presse «people» : le rêve, le mystère, le scandale. «Britney Spears aussi assure de bonnes ventes autant sur les jeunes que sur les vieilles lectrices qui la considèrent comme leur fille», poursuit-elle.
[!]
Rares sont les éditeurs à dévoiler les arcanes de leurs cuisines. Chez Hachette Filipacchi Médias (Ici Paris, France Dimanche, Public, Choc), on ne partage pas ses secrets de fabrication. «C'est un sujet trop stratégique pour que nous puissions nous exprimer sur le sujet», explique son porte-parole.
La France ayant peu de grandes stars, les prix des photos flambent. Pire : la presse «people» n'a plus l'exclusivité des potins. Elle subit de plein fouet la concurrence des news comme Le Point et L'Express. «Nous assistons à une peoplisation de la société et des médias», analyse Jean-Paul Lubot, directeur délégué d'Emap France.

De ces quelques lignes, il est possible de tirer trois déductions à mon sens importantes. Premièrement, la presse « pipole » (zut, il faut bien essayer de franciser cela, non ?) sait exactement ce qui tente le plus ses lecteurs - « le rêve, le mystère, le scandale » - et elle s'efforce empiriquement de produire un contenu qui s'en approche au plus près. Deuxièmement, les histoires peuvent être construites à l'avance sur la base de ces attentes et les faits choisis pour venir les confirmer, avec une prime à la clef pour qui est en mesure de livrer ceux-ci. Troisièmement, la presse supposée sérieuse empiète de plus en plus sur ce terrain, et recourt de façon croissante aux mêmes techniques de l'information spectacle, notamment parce que la gratuité de l'information brute peut inciter à compenser les pertes par une focalisation sur les vedettes mystérieuses et scandaleuses (on se rappelle en Suisse de l'affaire Borer-Ringier).

La principale conséquence de tout cela (la méthode d'analyse énoncé-déduction-conséquence fait partie intégrante des méthodes militaires actuelles!) me semble claire : l'information devient un produit de consommation courante, conçu en fonction des attentes du public, et dont la fiabilité en chute libre est largement dissimulée par le renouvellement constant. A une époque où le service après-vente et la traçabilité des produits sont des gages de qualité jusque dans l'industrie agroalimentaire, l'information reste une denrée souvent fournie sans garantie et sans transparence. Le consommateur lésé n'a aucune possibilité d'obtenir réparation pour le paiement d'une information fausse. Dans ces conditions, il est logique - la technologie aidant - que nombreux soient ceux qui se lancent dans la production de contre-information, sans pour autant parvenir à créer un spectacle aussi attrayant.

A terme, la transformation des invididus en récepteurs et émetteurs de contenus médiatiques aura naturellement un impact profond. Dans l'immédiat, la circonspection et l'esprit critique sont de mise pour toute information dont la source n'est pas connue et reconnue...

Publié par Ludovic Monnerat le 18 juin 2005 à 11:46

Commentaires

"Le consommateur lésé n'a aucune possibilité d'obtenir réparation pour le paiement d'une information fausse"

me parait être la phrase clé pour expliquer en partie le phénomène. En effet, l'information semble posséder des différentes définitions selon sa position dans la chaîne de transmission: l'information est une marchandise quantifiable pour les émetteurs et simple "information" pour les récepeteurs ( en général, les gens n'ont pas l'impression d'acheter l'information mais plutôt le support sur lequel elle est diffusée ). Par contre pour les émetteurs, elle perd sa "matérialité" et la TOTALITE de sa valeur marchande dès l'instant où le récepteur en prend connaissance.
Donc inutile et contre-productif de revenir dessus, que l'information diffusée soit vraie ou fausse ( et dans le cas de la presse "pipeule"(?), l'argent des procès est de toute façon budgeté d'avance dans le rapport coûts-bénéfices ).

Dans ce cas, on peut affirmer que la presse n'est qu'un puissant acteur économique régit par des lois économiques et totalement hors de toutes considérations démocratiques, ce malgré toute la tarte-à -la-crème que nous infligent les journalistes au sujet de leur probité professionnelle et des contenus "engagés" qu'ils nous pondent régulièrement.

On imagine les hurlements dans les rédactions si une quelconque loi, démocratiquement acceptée, venait sanctionner la diffusion de fausses informations.
Mais serait-ce vraiment une bonne chose?

Publié par fingers le 18 juin 2005 à 13:11

Un produit trop marketing, qui s'adapte trop aux besoins des consommateurs, finit par disparaître : un jour ou l'autre quelqu'un a une nouvelle idée, qui n'a rien à voir avec ce que les consommateurs pouvaient imaginer, et il remporte le marché (voir aussi : http://www.fredcavazza.net/index.php?2005/06/17/734-faut-il-reinventer-le-marketing ).
Un autre point est le besoin de différenciation : quand tous les newsmagazines ne feront plus que du People, alors il y aura une niche pour un journalisme plus sérieux.

La solution est donc de laisser la libre entreprise, afin qu'il y ait toutes les chances qu'un jour quelqu'un ait cette idée nouvelle : il y a déjà les blogs qui prennent beaucoup de part de marché, peut-être y aura-t-il bientôt une autre concurrence qu'on ne peut imaginer actuellement.

Publié par Evoweb le 19 juin 2005 à 0:21