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4 avril 2005

La force d'un idéal

Voilà 2 ans que les forces armées américaines sont entrées à Bagdad par la force, et même par le biais de raids et coups de main mécanisés qui ont dévasté les incertains remparts du régime de Saddam Hussein. Cet événement continue de frapper les esprits par l'anomalie apparente qu'il présente : prendre et tenir une ville de 5 millions d'habitants avec une division blindée renforcée de 30'000 soldats constitue une absurdité militaire. Nombreux sont les experts qui, comme Jean-Louis Dufour, jugeaient impossible une offensive de ce type sans raser purement et simplement la ville, en citant l'exemple de Grozny effectivement détruite par l'armée russe.

Moi-même, en auscultant les cartes du pays et de la ville au début de 2003, et en essayant d'imaginer le plan d'attaque de la coalition, j'avais du mal à éviter un malaise profond face à Bagdad, à sa population prise en otage, à ses quartiers surpeuplés. Une capitale de cet acabit représente certainement le centre de gravité opératif d'une campagne, mais que faire lorsque battre ses défenseurs représente la partie facile de la mission ? De mon point de vue, l'affaire était jouable uniquement si l'énorme majorité des Irakiens ne s'opposaient pas à l'offensive et à la présence militaire américaines. Autrement dit, si le terrain des idées était plus favorable que celui des canons.

C'est une réalité qui continue d'échapper à de nombreux commentateurs européens : la plupart des Irakiens avaient un référentiel totalement différent pour juger les soldats américains venus sur leur sol. Malgré toutes les suspicions - légitimes - que provoquent leurs intérêts stratégiques multiples, les Etats-Unis continuent d'incarner plus que toute autre nation la liberté, la démocratie et le progrès aux yeux d'une grande part de la planète. Et les événements de ces derniers mois ont été à la hauteur de cette image : les élections en Afghanistan et surtout en Irak ont illustré de manière éclatante à quel point l'idéal démocratique était au cœur de l'action armée américaine.

Au lieu de créer de nouveaux terroristes par dizaines ou centaines de milliers, comme le clamaient sur le ton du scandale les bonnes consciences de nos contrées, les offensives militaires de l'administration Bush ont au contraire révélé des millions de démocrates, de citoyens prêts à descendre dans la rue et mettre un bulletin dans l'urne pour exprimer leur rejet de la tyrannie et leur aspiration à une existence libre. La guerre contre le terrorisme islamiste ne l'alimente pas : elle le démasque, le marginalise, l'étouffe dans une clameur populaire. Elle le défie mortellement sur son propre terrain.

Les idées sont des armes dans la conquête des esprits ; étendues à l'absolu, elles prennent la dimension d'idéaux universels qui transcendent la matière. Les armées portées par de tels idéaux ont toujours été les plus redoutables de l'histoire. La levée en masse exploitée par Napoléon n'explique pas la victoire des armes républicaines sur la Suisse de l'Ancien Régime ; ce sont les valeurs de la Révolution qui ont séduit, divisé et affaibli les Helvètes, qui ont fait des armées françaises des forces occupantes certes, mais non ennemies. L'analogie de perception est trop frappante avec les divisions de l'US Army et des Marines en Irak pour ne pas y réfléchir.

La stratégie développée et mise en œuvre par la Maison Blanche et le Pentagone au lendemain des attaques du 11 septembre n'est pas parfaite, loin de là ; un analyste clairvoyant comme Laurent Murawiec le relève régulièrement. Cependant, elle est juste dans le sens où elle prend l'offensive, où elle porte le combat au cœur de l'ennemi, où elle libère et catalyse des énergies qui lui sont - à terme - favorables. Et cette stratégie est fondée sur l'idéal démocratique, c'est-à -dire sur la conviction que cette idée est juste et mérite une application universelle. Un concept pur, impossible à concrétiser pleinement, mais qui fait office de guide au-delà des tergiversations, frictions et compromis quotidiens.

Comme le souligne aujourd'hui Charles Krauthammer, la force de l'idéal a donné au Pape bien plus d'influence que ne pouvait l'imaginer Staline et son obsession de la puissance matérielle. De la même manière, l'influence des Etats-Unis en Irak va bien au-delà des 145'000 soldats qu'elle y déploie actuellement. Un autre parallèle est encore plus éclairant : alors que la Royal Navy et ses troupes embarquées ont été utilisées à l'ère victorienne pour imposer la liberté de commerce dont l'Empire britannique bénéficiait tant, l'US Army est aujourd'hui utilisée pour imposer une liberté d'opinion qui sert souverainement les intérêts de la République fédérale des Etats-Unis.

Que cette liberté corresponde aux inclinations individuelles explique pourquoi Washington va transformer le monde.

Publié par Ludovic Monnerat le 4 avril 2005 à 21:16

Commentaires

Vous étes optimiste tandis que les journaux retiennent que :

Il y a des attentats chaque jour contre les civils, il y a des attaques contre la coalition (attaque tres coordonné de la prison d'Abu Graib),les Chi'ites islamique veulent prendrent le pouvoir, les tortures dans les prison et les bavures US (l'agent secret Italien...) sont vraiment TRES préjudiciable à leur répution.

Au niveau des relations publiques, l'image des USA est ternie pour une grande partie de la population mondiale.

Cela aurait dut et put se passer autrement si l'aprés guerre avait été correctement planifié.

Publié par Frédéric le 4 avril 2005 à 22:25

C'est toujours un plaisir de vous lire.
Apres analyse de l'article de L. Murawieck, j'ai surfe un peu et je suis tombe la-dessus.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=287030

ma contribution bien modeste (un caillou a l'edifice) qui illustre un peu plus le "glissement" des redactions que vous evoquez.
Voila que l'objectivite revient dans un debat passionne (et essentiel!) qui en manquait singulierement depuis 2 ans. De l'hysterie a la raison, il aura suffit de quelques millions d'individus, assoiffes de liberte, se pressant aux urnes.

Publié par Stephane le 5 avril 2005 à 5:08

A Frédéric: l'image des USA est ternie - trainée dans la boue, même - par les médias occidentaux, quoi que les USA fassent.

C'est une loi de base de l'information partisane.

Les Américains agissent? On leur reproche les inévitables victimes civiles, le désordre dans les relations internationales, le chaos qui peut s'ensuivre. On leur reproche collectivement des errements individuels, des anecdotes sont montées en épingle (comme Abu Ghraïb) pour les clouer au pilori, sous les aplaudissements de membres de l'ONU pour qui la torture policière est un comportement de base (la Lybie des droits de l'homme...)

Lorsque les Américains agissent, on leur reproche l'excès de force, le déséquilibre des moyens qui n'est pas "fair-play", la mauvaise image qu'ils donnent de l'occident dans les tyrannies du tiers-monde.

Lorsque les Américains n'agissent pas, on leur reproche leur inaction coupable, leur manque de bonne volonté, leur refus d'assumer leurs responsabilité de superpuissance mondiale, leurs accomodements avec des régimes en place, leur cupidité, leurs économies mesquines face au coût d'une intervention.

C'est tout simple, les américains ont toujour tort. Voir à ce sujet l'excellent livre de Alain Hertoghe, "La guerre à outrances : Comment la presse nous a désinformés sur l'Irak".

Publié par Stéphane le 5 avril 2005 à 9:21

Je sais, on ne pardonne pas aux USA ce que peuvent se permettre les autres puissances.
Mais s'ils veulent maintenir leur leaderchip et étre un modéle pour les autres, les USA devraient apprendre au moins la discipline du feu à leurs troupes.
Tirer sur des soldats et des citoyens de pays alliés fait mauvais effet.
En Cote d'Ivoire, les forces Françaises sont dans une situation difficile mais elles ne sont pas laissé déborder lors des émeutes apres le bombardements de Bouaké et on fait un usage raisonné de la force.
L'US Army aurait sans doute fait une boule de feu pour ce dégager de ce pétrin et le nombre de victimes Ivoiriennes aurait été bien plus importants

Publié par Frédéric le 5 avril 2005 à 14:42

Les situations sont difficilement comparables, les militaires français parlent ... Français, comme les Ivoiriens et ils opèrent depuis longtemps dans ce pays. La présence de 5000 soldats en RCI permet d'engager en majorité des troupes d'élites (TDM, légion), maintenir un tel niveau de qualité est impossible pour les USA en Iraq qui sont obligés de s'appuyer sur des unités de réservistes. Les événements de Bouaké auxquels vous faites référence ont été menés par un des régiments les plus décorés de l'armée Française, et le résultat est loin d'apparaître comme étant positif pour une majorité d'Ivoiriens.

Si les USA devaient s'inspirer des événements de cote d'Ivoire, ce serait plutôt pour remarquer que des troupes engagées pour un objectif moralement honorable (l'arrêt effectif des massacres en RCI, l'instauration de la démocratie en Iraq) peuvent se retrouver dans une situation telle que les populations locales les assimilent à des forces d'occupation.

Ironiquement, c'est également l'instauration récente de la démocratie en RCI qui a autorisé le développement de la situation actuelle. C'est sans doute une constatation cruelle, mais la liberté de parole, c'est souvent la liberté de dire n'importe quoi (Je paraphrase quasiment M. Rumsfeld après la libération de Bagdad), et les leaders locaux Iraqiens, religieux ou non, ne vont pas s'en priver. Tout comme les Iraquiens, les Ivoiriens ont des « inclinations individuelles à la liberté », une fois cette constatation faite on est en droit de s'étonner du résultat lorsque l'on parcourt la presse de la "République de Cote d'Ivoire" : www.abidjan.net

Publié par nobody le 5 avril 2005 à 15:19

Bonjour,
Depuis le temps que les journalistes populaires décrient les Américains dans leurs actions et que les nouvelles des Etats majors USA affirme le contraire, il était temps de lire une bonne part de vérité...
On critique sans cesse les USA, pire que cela, de nombreux mouvements Anti Américain se sont propagés dans la population. C'est purement et simplement de la propagande anti américanisme camouflée... Cependant, cela rapporte à qui ? L'europe ? Sûrement pas, bon nombre de pays de l'UE on soutenu les USA lors de la guerre, l'angleterre également. L'Asie ? J'en doute fort, car il ne recherche pas "encore" le stade de suprématie mondial comme les USA detiennent. Seul les mouvements de fond, comme les activités terroristes, militaire non gouvernemental et autres en tirent parties... Et devant cela, je ne peux que me réferez à cette article : http://www.checkpoint-online.ch/CheckPoint/Forum/For0092-MediasAideGuerillaIrak.html

Maintes félicitations pour vos écrits ! C'est, je penses, la vérité la plus distincte.

Publié par Guillaume le 5 avril 2005 à 19:16

"L'image des USA est ternie - trainée dans la boue, même - par les médias occidentaux, quoi que les USA fassent.

C'est une loi de base de l'information partisane...

C'est tout simple, les Américains ont toujours tort..."

Les Etats-Unis sont effectivement perpétuellement décriés. Reste à savoir pour quelle raison... Primo je crois parce que l'Europe réagit en minoritaire, envieuse et incapable de se mettre à la hauteur... Deuzio parce que les USA font preuve d'un ego insupportable, qui ne laisse pas place à quiconque... Un équilibre entre les deux ne serait-il pas envisageable ? C'est ce que j'espère, aussi idéaliste puis-je sembler...

Publié par Myriam le 6 avril 2005 à 3:59

Voici une dépéche tombé aujourd'hui sur un sondage :

La France est le pays dont l'action est la mieux perçue dans le monde, alors que le rôle joué par les Etats-Unis sur la scène internationale est au contraire jugé négativement par une majorité de l'opinion mondiale, selon un sondage conduit dans 23 pays publié jeudi.

"Le pays bénéficiant de la meilleure appréciation est la France, perçue comme exerçant une influence positive dans 21 pays - avec une majorité de 58% en moyenne, contre 20% d'opinions négatives", relève le centre de recherches PIPA (Program on international policy attitudes) de l'Université du Maryland.

Il n'y a qu'aux Etats-Unis qu'une majorité de l'opinion (52% contre 37%) a une perception négative de l'action de la France.

Plus globalement, une majorité de l'opinion mondiale (58% au total, 53% en excluant les pays européens) souhaite voir l'Europe jouer un plus grand rôle que les Etats-Unis dans les affaires du monde. Les Mexicains (66%) et les Canadiens (63%) sont les plus demandeurs dans ce domaine. Seuls les Philippins (54%) et les Américains (55%) y sont majoritairement opposés.

Par ailleurs les Etats-Unis sont le pays le plus impopulaire, devant la Russie, avec des opinions majoritairement défavorables dans respectivement 15 et 14 pays.

"Notre enquête montre que la réputation de l'Europe s'est améliorée et celle de l'Amérique a décliné sous l'administration Bush", a commenté le président de GlobeScan, Doug Miller.

"Certains ont fait valoir que la puissance militaire américaine mérite gratitude pour avoir rendu possible l'ordre économique mondial, mais avec le souvenir de la guerre froide qui s'efface, ce point de vue semble aussi s'effacer", estime pour sa part Steven Kull, le directeur du centre Pipa.

Seuls six pays ont une appréciation positive de l'action des Etats-Unis. En moyenne, 47% de l'opinion mondiale (contre 38%) est critique du rôle des Etats-Unis.

Les Argentins (65%), les Allemands (64%), les Russes, les Turcs (62%), les Canadiens (60%) et les Mexicains (57%), et dans une moindre mesure les Français (54%) ont l'opinion la plus négative des Etats-Unis, alors que leur action est au contraire particulièrement appréciée aux Philippines (88%), en Afrique du Sud (56%), en Inde (54%), en Pologne (52%) et en Corée du Sud (52%).

Les plus grands soutiens de la France se trouvent en Allemagne (77% d'opinions favorables), en Italie (73%), en Chine (72%), en Corée du Sud (72%), en Afrique du Sud et au Liban (69%).

La perception de la Russie est particulièrement négative, seuls cinq pays ayant une opinion positive de son action. Les Allemands et les Français (57%) sont les plus hostiles à l'influence russe, suivis par les Brésiliens (52%), et les Polonais (51%). Les plus favorables à la Russie sont les Chinois (64%) et les Indiens (67%).

Enfin 14 pays ont une perception positive de la Chine. L'hostilité la plus forte à ce pays se rencontre en Allemagne (47%), aux Etats-Unis (46%) et en Pologne (33%), et n'est majoritaire nulle part.

Le sondage a été coordonné par l'institut Globescan et mené principalement en décembre dernier auprès de 23.518 personnes au total par des instituts locaux.
© 2005 AFP

Publié par Frédéric le 9 avril 2005 à 18:14

Je signale cette article en format PDF sur "Puissance structurelle des USA"

http://www.infoguerre.com/fichiers/Puissance_Structurelle_USA.pdf

En bref, la force militaire n'est pas tout et vive le "soft power".

Publié par Frédéric le 12 avril 2005 à 22:14