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28 mars 2005

Des F-16 au Pakistan

L'administration Bush a annoncé la semaine dernière la vente d'un nombre indéterminé - peut-être 24 - de chasseurs-bombardiers Lockheed Martin F-16 Fighting Falcon au Pakistan. Immédiatement regretté par l'Inde, dont les relations "au beau fixe" avec le Pakistan ne vont pas jusqu'à tolérer sans autre l'augmentation de ses capacités militaires, cette vente illustre parfaitement les contradictions inhérentes à la politique étrangère américaine, qui appelle à la démocratisation du monde et s'oppose à plusieurs régimes tyranniques, mais qui est également contrainte de soutenir des Gouvernements autocratiques pour ses propres intérêts. Un équilibre délicat entre politique à court et long terme.

Naturellement, les cercles anti-américains en Europe ont rapidement tiré le parallèle entre cette annonce et la possible levée de l'embargo européen sur la vente d'armes à la Chine. En l'état des connaissances sur les futurs F-16 pakistanais, il s'agit là d'une distortion avérée : la transaction projetée ne peut en aucun cas provoquer de déséquilibre, car le Pakistan dispose déjà de 32 F-16 plus anciens, sur une vente de 40 exemplaires conclue en 1982, et parce que l'Inde et la Chine sont en train d'acquérir une flotte bien supérieure, devant compter respectivement 190 et 100 Sukhoï Su-30 - des appareils globalement équivalents au F-16. On peut même voir dans la vente au Pakistan une correction d'un déséquilibre en cours.

Cependant, un avion reste une plate-forme polyvalente, et tout dépend des armes et des systèmes qui seront accrochés sous ses ailes. Les nombreux clients du F-16 (les ventes récentes incluent 24 exemplaires en Egypte, 80 aux Emirats Arabes Unis, 20 à Singapour et 12 à Oman) utilisent prioritairement leurs avions pour la supériorité aérienne, mais ceux-ci sont des chasseurs-bombardiers très efficaces ; les modèles israéliens (102 commandés, en cours de livraison) sont d'ailleurs explicitement conçus pour les frappes air-sol dans la profondeur, comme leurs prédecesseurs l'ont fait en 1981 sur le réacteur nucléaire irakien Osirak.

Il vaut la peine de noter que les premiers F-16 pakistanais ont été équipés d'un pod de désignation laser Atlis II conçu dans les années 80 par Thomson-CSF, et ont reçu des bombes à guidage laser américaines Paveway. En d'autres termes, la capacité d'attaque air-sol est déjà en mains d'Islamabad, et elle ne peut être drastiquement transformée qu'à la condition d'intégrer à la vente des armes nouvelles - comme des missiles air-sol à longue distance. Dans le cas inverse, ces quelques 24 nouveaux appareils auront pour principal effet de rénover les capacités du pays à protéger la souveraineté de son espace aérien et à effectuer des frappes de précision en situation de combat.

L'importance de cette vente pour les Etats-Unis, au-delà des questions politiques (récompense à Pervez Musharraf et aux Pakistanais pro-occidentaux pour leur soutien à la lutte contre le terrorisme islamiste), réside bien entendu dans le contrôle accru qu'elle leur fournit. Un avion de combat moderne est un système d'armes des plus complexes, dont l'efficacité à l'engagement dépend de détails infimes - électroniques ou informatiques notamment. Or les entreprises de défense européennes se sont rendues compte qu'il est très difficile de réussir une intégration efficace de leurs produits (missiles ou équipements) sur un appareil américain ; le missilier MBDA en a fait l'expérience avec la vente de F-15 à la Corée du Sud.

Autrement dit, fournir des F-16 au Pakistan - et les offrir à l'Inde - est une manière pour Washington de contrôler bien davantage ce qui sera accroché sous leurs ailes au cours des prochaines années. Au lieu d'une rupture d'équilibre, cette vente préfigure une influence accrue de l'unique superpuissance planétaire - et une manière de contrer les ventes d'armes réalisées par le Russie. Qu'une vente d'armes européennes de haute qualité à la Chine ait les mêmes effets stratégiques pour l'Europe serait une conviction déraisonnable.

COMPLEMENT I (29.3 1510) : L'édition du 21.3 de DefenseNews, que j'ai uniquement lu aujourd'hui dans son intégralité, a ajouté plusieurs informations sur les demandes d'offres faites par l'Inde en matière d'avion de combat occidental. D'après l'article, les offres reçues - pour un volume pouvant atteindre 125 appareils - comprenaient des F-16 à 28 millions USD la pièce, des MiG-29M2 à 37 millions, des Mirage-225 [sic!] à 50 millions (d'après le prix, je pencherais pour des Rafale) et des Gripen à 33 millions.

Publié par Ludovic Monnerat le 28 mars 2005 à 16:49

Commentaires

Comment certains vont lire cette vente de vecteurs par rapport à la prolifération nucléaire de marque pakistanaise?
Par rapport à l'emploi des avions de transport, supposés servir contre al-qaida, mais utilisés pour le transport de matériel nucléaire/missiles balistiques avec la Corée du Nord?
Par rapport au pied de nez servi par le Pakistan aux américains au lieu de la collaboration pour combattre le terrorisme?


Certains du coté de Téhéran?

Publié par mikhaël le 28 mars 2005 à 20:58

En matière d'armement nucléaire, un avion de combat polyvalent comme le F-16 reste un vecteur assez médiocre. La seule possibilité intéressante serait de lui adjoindre des missiles de croisière capables d'emmener une charge nucléaire (comme ceux que l'Ukraine a vendus à la Chine et à l'Iran...). Un avion capable de larguer des charges nucléaires sous forme de bombe doit avoir un profil et un équipement différents (le Mirage 2000N est un bon exemple).

Concernant le "pied de nez" auquel vous faites allusion, ce n'est pas l'impression que me donnent les actions d'Islamabad actuellement, dans la mesure où la majorité des dirigeants d'Al-Qaïda capturés l'ont été par les Pakistanais. Il est vrai que ces derniers sont entre le marteau et l'enclume...

Publié par Ludovic Monnerat le 29 mars 2005 à 19:34

Je ne me sens pas en état de trancher sur la capabilité nucléaire du F16 "avec retour", mais sans retour, version "shaïd" ... en tout cas ma remarque n'était pas centrée sur l'utilisation nucléaire du F16, mais sur le fait d'avoir récompensé un allié si peu fiable.

Le Pakistan a reçu des aides financiers USA dès le lendemain du 9-11, entre autre des avions de transports utilisé pour le traffic avec la Corée du Nord.
Le Pakistan a "partagé" le nucléaire sans punir personne (ne pas "humilier" le Pakistan).
Le Pakistan n'a pas arrété les gros bonnets des Talebans, mais la petite friture, rôle du ISI dans tout ça ...?

J'estime personnellement que la récompense est mal placée, non éducative et fait apparêtre les USA comme des "riches c.ns" qu'on peut "co.illonner" assez facilement.

Exactement le message le plus dangeureux à faire passer dans la région.

Publié par mikhaël le 29 mars 2005 à 20:03

Mikhaël, ne trouvez vous malgré tout pas globalement judicieux que les Etats-unis se soient alliés au Pakistan pour la lutte contre le terrorisme? Je pense qu'il faut tenter de séparer le problème de la prolifération de celui du terrorisme (bien que, j'en conviens, ces deux questions sont finalement liées). L'alternative aurait probablement été un Pakistan encore beaucoup plus rongé par l'Islamisme terroriste et éventuellement une chute du régime de Musharraf, qui est corrompu, certes, mais qui combat tout de même Al-Qaeda. Je ne pense pas que ce soit uniquement de la petite friture que l'on ait arrêté. Kaled Sheik Mohammed p.ex. a bien été arrêté au Pakistan?

Je ne pense pas non plus qu'il faut "éduquer" le Pakistan, mais bien plutôt l'intégrer et essayer d'en faire une puissance ou un allié "utile". Donc le stabiliser. Le "punir" pour le comportement et les contacts catastrophiques de ses scientifiques aurait peut-être été "justifié" mais surtout contraproductif...

meilleures salutations

Publié par Robert Desax le 29 mars 2005 à 21:32

Je suis comme Mikhaél dubitatif,le régime Pakistanais à t il des gages de sa bonne foie ?

Et proposer des F-16 au 2 pays ennemis du sous continents, franchement, cela passe mal dans l'opinion publique et dans celui de professionels...

Au fait, le F-16C à une capacité de bombardement nucléaire depuis depuis des années, avec un bon profil de vol, ils peuvent largué des bombes lisses à plus de 50 kilométres, voire 100 avec les munitions actuelles.

Publié par Frédéric le 29 mars 2005 à 22:37