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17 février 2005

Les soldats du 3e âge

Cet article de Stars & Stripes sur la mobilisation de réservistes et le réengagement de vétérans particulièrement âgés par l'US Army, en vue de les déployer en Irak, mérite le détour. Ce n'est pas la première fois que ce phénomène est signalé : on trouve dans les troupes américaines engagées en Irak un certain nombre d'officiers et de sous-officiers supérieurs qui ont servi au Vietnam, voici environ 35 ans. Demander à un officier de 69 ans de passer quelques mois à Bagdad, en temps que chirurgien des yeux, n'est certainement pas commun. Cependant, cette réalité peut donner lieu à deux interprétations complémentaires, qu'il vaut la peine de distinguer.

D'un côté, ce recours à des hommes âgés de plus de 55 ans, pour des fonctions autres que le commandement, est la preuve de pénuries aiguës en matière de personnel. Plusieurs fonctions-clefs dans le domaine sanitaire ne sont ainsi pas couvertes par les formations d'active et de réserve américaines, qui doivent faire appel à des hommes figurant sur des listes pour le moins anciennes. Les besoins des troupes engagées dans un conflit de basse intensité exigent clairement une articulation différente du personnel que pour un conflit de haute intensité, et l'US Army est obligée de recourir à des solutions limites pour combler les manques. Cela rappelle que rester scotché à la guerre froide a un prix.

D'un autre côté, cette disposition d'hommes âgés à partir en mission indique une mobilisation populaire intéressante : le fait que plus de 12'000 vétérans libérés de toute obligation militaire se soient portés volontaires depuis le 11 septembre 2001 est la preuve d'un mouvement profond, d'un patriotisme bien vivant au sein de la société américaine. Et si l'article de Stars & Stripes se focalise sur 2 médecins, dont les carrières civiles sont également prolongées, il révèle également une activité et un volontariat qui peuvent surprendre de la part d'hommes ayant largement atteint ou dépassé la cinquantaine. La population active reste le moteur d'une nation.

De manière générale, l'âge est un critère important dans les opérations militaires : les armées ont souvent trouvé un bon équilibre en ayant des commandants relativement jeunes et des aides de commandement relativement âgés, alors que l'inverse crée des conditions favorisant les catastrophes. Sauf erreur (je cite de tête), Gamelin avait 69 ans en 1939 [en fait, 68], ayant été chef d'état-major de Joffre 25 ans plus tôt, alors que son successeur Weygand en avait 73 (lui-même CEM de Foch) ; Itzhak Rabin avait 42 ans comme chef d'état-major général lors de la Guerre des Six Jours [c'est faux : il avait cet âge lorsqu'il a été nommé à son poste, 4 ans plus tôt] ; le général Gavin commandait à 36 ans la 82e division aéroportée ; et ne parlons pas de Napoléon ou de Hoche.

A l'inverse, Guisan avait 65 ans lorsqu'il a été élu général, même s'il paraissait "extraordinairement jeune" à l'Assemblée fédéral ; MacArthur avait plus de 70 ans [plutôt exactement 70 ans] lorsqu'il a pensé la manoeuvre d'Inchon en Corée, et Patton était l'un des généraux américains les plus âgés de la Seconde guerre mondiale, mais tous deux avaient une énergie hors norme. Et ces 3 officiers généraux avaient surtout une pensée très moderne lorsqu'ils sont arrivés au commandement d'une armée en temps de guerre. Autrement dit, l'âge n'est pas un handicap lorsqu'il fournit expérience et sagesse à un individu qui n'a cessé de grandir et d'apprendre sa vie durant.

COMPLEMENT I (19.2 2240) : J'ai vérifié les chiffres ci-dessus et apporté quelques corrections. On peut également ajouter d'autres exemples : lors de son entrée en fonctions comme chef de l'état-major impérial britannique, durant la Seconde guerre mondiale, le général Alan Brooke avait 59 ans ; lors de sa nomination au poste de Commandant de la Flotte du Pacifique, l'amiral Chester W. Nimitz avait 56 ans.

Publié par Ludovic Monnerat le 17 février 2005 à 22:17