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16 février 2005

Les défis de l'asymétrie

Tel est le titre d'un article écrit par le chef d'escadron Jean-Christophe Bechon et publié par Défense Nationale dans son numéro de février 2005 (non disponible en ligne). L'auteur vise à définir différentes catégories d'asymétrie, dans ce qu'il nomme des systèmes, avant d'en déduire les tactiques les mieux adaptées pour les outils militaires conventionnels, et notamment en France. De la sorte, il confirme l'intérêt que les armées vouent aux conflits de basse intensité impliquant des acteurs non étatiques, et donc l'importance des réflexions visant à adapter les effets obtenus par l'emploi des forces.

Ce texte définit trois types de systèmes asymétiques en fonction de la logique qui les anime : les systèmes de prédation, dont le but est avant tout financier et qui sont illustrés par la criminalité organisée ; les systèmes revendicatifs, dont le but est politique - prendre le pouvoir - et qui regroupent aussi bien les groupes terroristes que les milices ethniques ou les forces paramilitaires ; enfin, les systèmes subversifs visent à détruire tout ensemble de valeurs qui s'oppose à son idéologie, et dont les acteurs, nous dit l'auteur, peuvent être les mêmes que dans le système précédent. Cette articulation, axée sur les intentions et non sur les moyens, est intéressante dans le sens où elle va au-delà des apparences ; cependant, sa prémisse de départ est subjective et erronée, car l'asymétrie est une relation entre deux acteurs, et non un système : dans l'espace cybernétique, comme l'explique par exemple Jacques Baud, les relations sont essentiellement symétriques.

La compréhension incertaine du phénomène est ainsi soulignée lorsque Jean-Christophe Bechon écrit que l'asymétrie « naît d'un sentiment d'injustice ou d'oppression, rationnel ou non. » Il s'agit là d'un raccourci dangereux : il n'existe pas uniquement un lien entre les enjeux et les actions, qui dépendent étroitement des ressources (Clausewitz décrivait cela en termes de fins, moyens et voie ; ces mots sont d'ailleurs repris tels quels dans la doctrine de planification opérative de l'OTAN - voir AJP-3). En revanche, l'auteur a pleinement raison lorsqu'il affirme que les chefs militaires doivent en permanence garder à l'esprit l'état final recherché de leur action : c'est bien la situation à attendre au terme d'une opération, et non la seule lutte contre les acteurs asymétriques, qui détermine le volume, l'articulation et l'emploi des forces. Le Small Wars Manual des Marines explique par exemple que c'est la proportion de soldats par rapport à la population civile, et non par rapport aux ennemis, qui est décisive dans une contre-insurrection.

Le chef d'escadron Bechon cite ensuite des modes d'actions définis par une étude du CSEM, d'une part défensifs (contrôler, protéger, sauvegarder, rassurer, secourir) et d'autre part offensifs (isoler, entraver, conquérir, désarmer, subvertir, saisir, décapiter), pour faire face aux situations d'asymétrie, et permettre aux forces d'abaisser en définitive le niveau de violence. Il remarque cependant que l'action militaire doit nécessairement être intégrée à l'action globale de l'Etat et faire partie d'une stratégie qui imbrique les acteurs politiques, économiques, juridiques, policiers et militaires ; c'est là le Graal stratégique de la pensée contemporaine, codifiée dans les règlements des armées mais épouvantablement difficile à appliquer : concevoir l'action au plus haut niveau comme la synchronisation de plusieurs lignes d'opération - politique, économique, sécuritaire et sociétale - en vue d'atteindre un état final recherché.

Les barrières administratives et la présomption des spécialistes - diplomates ne jurant que par la discussion et la négociation, économistes résumant tout en masses monétaires et échanges commerciaux, etc. - sont ainsi un obstacle majeur à une telle vision. La linéarité des formations professionnelles s'y oppose également. L'auteur explique d'ailleurs crûment ce que l'avenir devra apporter :

Face à l'asymétrie qui prolifère loin de nos frontières, mais dont les effets se font sentir sur notre territoire, il faudra bien que nous parvenions à mener des actions où la Défense, les Affaires étrangères, l'Economie et l'Intérieur marchent main dans la main.

On fera juste remarquer à notre camarade français que l'asymétrie prolifère tout autant sur le sol de sa patrie, et que ce phénomène devrait l'inquiéter encore davantage - et renforcer son appel à une action stratégique conçue et synchronisée au plus haut niveau, avec pour les militaires la nécessité de penser interforces (interarmées en France), intercantonal (interdépartemental), interdépartemental (interministériel) et international. En même temps, comme Défense Nationale est une revue officielle, sanctionnée par les plus hauts échelons militaires, on comprend que tout ne peut pas y être dit!

Publié par Ludovic Monnerat le 16 février 2005 à 10:20

Commentaires

Je tiens à signaler que l'article publié par le CEs Jean-Christophe Bechon et qui définit trois systèmes asymétriques est un plagiat du travail de recherche d'Eurodecision-ais pour la délégation aux affaires stratégiques et que cet personne n'a pas eu l'élégance de citer l'auteur de cette étude. Les conclusions qu'il en tire sont comme vous le faites remarquer insuffisante et parfois criticable. Vous trouverez cette étude sur le site de la DAS:
http://www.defense.gouv.fr/sites/das/dossiers/e_-adaptation_des_outils_de_defense_francais_et_europeens/portal_repository/1667219724__0001/fichier/getData?_&ispopup=1
Je serai heureux que vous signaliez cet emprunt malhonnête.
Notre société est spécialisé dans les études stratégiques et je vous invite à visiter notre site:
www.eurodecision-ais.com

Avec mes salutations les meilleures.
Loup Francart
Avec mes remerciements.

Publié par Loup Francart le 5 mars 2005 à 16:57