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31 janvier 2005

Un lent reflux en Asie

Les opérations d'aide humanitaire se poursuivent en Asie du Sud, où la situation s'est très nettement améliorée au Sri Lanka et en Thaïlande, mais reste difficile dans la province d'Aceh, où 5000 cadavres ont été retrouvés et enterrés la semaine passée. C'est dire à quel point le cataclysme a dévasté la région, alors même que des combats - somme toute dérisoires - ont lieu entre les rebelles du GAM et les forces indonésiennes. Malgré cela, la vie retrouve peu à peu une certaine normalité, dans ces lieux où la malnutrition et l'épidémie menacent toujours. Un nouveau tremblement de terre s'est produit, le vingtième depuis celui du 26 décembre.

Du côté militaire, le repli progressif du dispositif a commencé, à l'exception des moyens de transport héliportés ; d'après le dernier rapport du Département britannique pour le Développement, pas moins de 350 mouvements d'hélicoptères ont désormais lieu quotidiennement. Une partie d'entre eux est certainement accomplie par les militaires américains, qui avaient dépassé les 80 vols journaliers, et dont les effectifs actuels vont diminuer avec le départ prochains de leurs 2 porte-avions. Les moyens français fonctionnent à plein régime, même si la Jeanne d'Arc devrait être remplacée par un bâtiment de commandement et de ravitaillement à la mi-février. Les navires japonais déployés après le tsunami viennent d'arriver sur zone.

On assiste donc à une relève entre contingents, avec en même temps une diminution des effectifs totaux déployés dans les jours qui ont suivi le séisme, et donc un transfert de l'aide humanitaire d'urgence entre les contingents militaires nationaux - notamment sous coordination américaine - et l'Organisation des Nations Unies, qui rassemble des moyens civils et militaires. Parmi ces derniers figurent naturellement les 3 Super Puma de l'armée suisse, qui effectuent leur mission apparemment sans problème, d'après ce briefing du HCR qui décrit plus en détail les tâches rendues possibles par l'action du contingent helvétique.

J'écris apparemment, néanmoins, parce que ces derniers temps je ne me suis pas spécialement renseigné à ce sujet. Dans quelques jours, je serai cependant amené à le faire, puisque j'ai reçu tout récemment la confirmation de mon déploiement à la fin février au sein de la Task Force SUMA, parmi le troisième contingent, pour une durée de 4 à 6 semaines. Ma demande de visa est même partie aujourd'hui à l'ambassade d'Indonésie à Berne. Ce sera donc l'occasion de vérifier par soi-même la situation sur place, de contribuer à soulager les populations locales, de vérifier l'organisation mise à place par l'ONU... et de vivre une expérience opérationnelle sans doute passionnante !

Posted by Ludovic Monnerat at 20h55 | Comments (3)

Huit millions de gifles

Dans la plupart des rédactions européennes, on doit avoir aujourd'hui les joues plutôt rouges et piquantes : les 8 millions de gifles que leur ont adressées les électeurs irakiens doivent un peu faire mal. La plupart des médias affirment que la hauteur de la participation a été une surprise, et on a trouvé au moins un éditorialiste pour refuser le chiffre de 60% avancé par la commission électorale ; pourtant, cette participation s'est avérée globalement conforme aux prévisions et aux sondages rendus publics la semaine dernière. La grande question du scrutin n'était pas de savoir si les Irakiens acceptaient l'idée d'une élection multipartite, mais bien leur offrir une protection suffisante et convaincante dans les 4 provinces vraiment touchées par la guérilla antidémocratique - comme il s'agit désormais de la nommer - d'origine sunnite. Seule la méconnaissance de l'Irak réel explique une telle erreur de jugement.

La vertu de ce scrutin est en effet d'avoir imposé - au moins ponctuellement - le message de la majorité silencieuse et supplanté celui des terroristes, d'avoir révélé au monde ces voix jusqu'ici ignorées par les médias et que seules les enquêtes d'opinion, et dans une moindre mesure les weblogs, permettaient d'entendre. En fait, les commentateurs européens sont responsables de leur surprise, c'est-à -dire de leur inaptitude à comprendre la population irakienne : voilà plus de 2 ans qu'ils s'auto-intoxiquent avec des idées aussi fumeuses que la « résistance à l'occupation », le « chaos généralisé » ou même le « regret du régime » de Saddam. Comment un pays où l'an passé l'activité économique a augmenté de 52% et où 20'000 nouvelles entreprises ont été créées peut être décrit comme une terre ravagée, un désert économique ou même un enfer quotidien dépasse l'entendement.

Ce retour au premier plan de l'Irak réel, au détriment de l'Irak virtuel vendu par les médias, confronte naturellement ceux-ci à une dissonance cognitive de grande ampleur. Pour la résoudre promptement sans disqualifier 20 mois de couverture alarmiste et catastrophiste, ils sont contraints de répandre une perception compatible avec leurs assertions passées et susceptible de représenter une rupture bien utile. Ce mécanisme a déjà été utilisé lors de l'invasion de l'Irak, comme l'a remarquablement analysé Alain Hertoghe dans son livre La guerre à outrances : pour expliquer à leur public comment 3 semaines d'« échecs » américains successifs se sont du jour au lendemain transformés en un succès retentissant, les médias ont été contraints d'inventer des explications déconnectées de la réalité, comme la brutalité inouïe et le déluge de feu de l'armada US. On a même vu un commentateur assez culotté pour affirmer que l'Irak en 3 semaines avait reçu plus de bombes que le Vietnam en 10 ans !

Le même mécanisme d'auto-justification est à l'œuvre aujourd'hui. La première perception consiste à louer l'héroïsme prêté à tous les Irakiens pour avoir osé se rendre en masse aux urnes malgré les menaces des terroristes (ou celles de la résistance, comme Le Figaro ose encore l'écrire). Autrement dit, le scrutin aurait dû être un échec caractérisé, mais le courage miraculeux des Irakiens - et non les efforts des Américains! - en a décidé autrement. Cette image ne tient pas la route une seule seconde : moins de 1% des quelque 5500 bureaux de vote ont été attaqués hier, presque tous dans des grandes villes à forte population sunnite. Dans le sud irakien, les élections se sont déroulées presque sans incident, conformément à la situation normale de ces provinces. Comme le 90% des 70 à 80 attaques armées commises en moyenne chaque jour en Irak se concentrent dans les 4 provinces du triangle sunnite, la majorité des Irakiens n'étaient pas menacés en allant aux urnes. Seuls ceux qui ont voté à Bagdad, à Mossoul et bien sûr à Falloujah ou Ramadi ont fait preuve d'un courage héroïque.

La deuxième perception destinée à justifier la surprise présumée consiste à dire que si les Kurdes et les chiites ont voté en masse, les sunnites ont massivement boycotté ces élections, et que celles-ci doivent donc être comprises comme une revanche des opprimés de Saddam. Mais cette notion de revanche - et donc de motivation haineuse - n'est pas crédible : d'une part, c'est bien la joie de participer à une élection qui animait les Irakiens dimanche, comme presque tous les reportages l'ont montré, dans un pays qui de toute manière pratique la vengeance par les armes ; d'autre part, les quartiers mixtes de Bagdad et Mossoul ont connu une participation très élevée, tout comme de nombreuses petites villes du triangle sunnite. Il apparaît aujourd'hui probable que les forces de sécurité irakiennes ont fait un effort principal sur la capitale, en renonçant à disperser leurs éléments pour protéger les électeurs de villes moindres, et que c'est la fluctuation de la sécurité qui explique avant tout les différences de participation entre sunnites.

La troisième perception poursuit sur la lignée de la précédente, en affirmant que ces élections ne sont que le préambule d'une guerre civile inévitable entre les différentes communautés. Les allusions à un vote « compact » des chiites vont dans le même sens. Là encore, cette interprétation destinée à expliquer le ton catastrophiste ne tient pas compte de la réalité : non seulement la communauté chiite est largement divisée et bien incapable de constituer un bloc, à la différence par exemple des Kurdes bien plus unis, mais les principales listes chiites comportaient un nombre non négligeable de sunnites, qui vont garantir la représentation de ceux-ci dans la future assemblée constituante. Le système électoral négocié par les Etats-Unis vise même explicitement à réduire les risques d'affrontements intercommunautaires, au risque de fragiliser le pouvoir par un trop grand émiettage des partis. La confession et l'ethnie ne sont pas les seules divisions de la société irakienne.

Il faut lire l'éditorial de Jean-Jacques Roth dans Le Temps pour mesurer la vraie dimension sémantique, dans les médias européens, de ces élections irakiennes. D'emblée, le rédacteur en chef du quotidien genevois parle de l'essentiel :

Bien sûr, les élections irakiennes n'annoncent pas la fin des problèmes, et elles ne justifient pas a posteriori une guerre qui a révélé toutes ses vilenies. La démocratie qui s'installe à Bagdad mérite péniblement son nom, mais un large consensus international est là pour en prendre acte, faute d'autre option.

Le vrai problème des rédactions est là : la participation élevée à ce scrutin menace l'argumentaire de ceux qui se sont opposés à l'opération Iraqi Freedom, à ce changement de régime promis par les Américains et qui maintenant prend forme. Personnellement, et comme je l'ai écrit voici longtemps, je suis d'un avis totalement opposé à celui de Jean-Jacques Roth, et j'estime au contraire que cette mobilisation démocratique des Irakiens confirme la légitimité de l'action militaire ayant renversé le régime de Saddam Hussein. Mais le plus important n'est pas là ; ce qui compte, c'est de montrer que le débat entre pro- et anti-intervention n'est pas clos, et que les efforts systématiques des médias pour noircir la situation en Irak visent à orienter les perceptions en faveur de leur opposition à cette opération. Cependant, si les arguments avancés pour justifier cette opération ont été largement discrédités, les arguments avancés pour s'y opposer l'ont été bien plus encore, et ces élections constituent un démenti ravageur et humiliant à ceux qui estimaient la démocratie impropre à l'Irak, ou l'Irak impropre à la démocratie.

Dans la lutte de perceptions à laquelle se livrent chancelleries et rédactions depuis presque 3 ans sur la question irakienne, les Irakiens ont enfin eu leur mot à dire. Et les 8 millions de gifles qui ont frappé hier les adversaires de leur libération augurent peut-être le mot de la fin, c'est-à -dire le jugement de l'Histoire.

COMPLEMENT I (1.2, 0900) : Deux jours après les élections, les éléments ci-dessus peuvent être complétés. Premièrement, comme l'écrit Le Figaro, ce sont également les chancelleries européennes - et pas seulement les rédactions - qui ont été surprises par le succès du scrutin et qui réagissent avec embarras. Saluer ces élections sans féliciter les Etats-Unis, sans lesquels celles-ci n'auraient jamais eu lieu, est un exercice plutôt délicat.

Ensuite, les médias ont ajouté une nouvelle perception à celles mentionnées hier, et selon laquelle les Irakiens retrouveraient l'espoir qui leur manquait, comme l'exprime Le Temps. Une fois de plus, il s'agit là d'une distorsion flagrante de la réalité : toutes les enquêtes d'opinion réalisés en Irak depuis la chute de Saddam Hussein ont montré au contraire un optimisme constant de la population ; la dernière d'entre elle, rassemblé dans l'Iraq Index (fichier PDF), montrait ainsi entre fin décembre et début janvier que 59,1% des sondés escomptaient une situation meilleure dans 1 an, 16,2% pas de changement et 9,2% une détérioration. Les faits continuent d'incriminer les médias.

COMPLEMENT II (1.2, 1540) : Comme souvent, le meilleur commentaire - et plus drôle - sur ces élections est celui de Mark Steyn. A ne manquer sous aucun prétexte.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h55 | Comments (5)

30 janvier 2005

Les leçons de l'élection

Les bureaux de vote ont fermé en Irak, et cette journée semble vouée à entrer dans l'histoire : les témoignages et les déclarations convergent en indiquant une participation massive aux élections, dans un climat de fête à Bagdad et dans d'autres grandes villes. Seules quelques zones particulièrement affectées par les attaques terroristes et par les menaces de la guérilla n'ont pas connu de vote ; mais à l'échelon national, la participation témoigne d'un intérêt généralisé pour ce vote, malgré des attentats qui ont entraîné la mort d'au moins 44 personnes - dont 9 terroristes. La violence n'a pas empêché les Irakiens de se rendre très nombreux aux urnes.

Comment estimer leur participation ? Le chiffre avancé de 72% avant la fermeture des bureaux semble une base crédible, puisque seules 2 provinces n'ont pas été intégrées à ce calcul - dont celle de Ninive, où la ville de Mossoul a connu une affluence respectable ; la participation annoncée à 60% dans la province de Salahuddin, en plein triangle sunnite et avec la ville symbolique de Tikrit, semble révélatrice. Les élections irakiennes ont donc été plébiscitées par la population, et au-delà des résultats qui seront certifiés dans une dizaine de jours, cet événement doit être analysé.

En premier lieu, cette journée montre l'impuissance de la guérilla sunnite à peser de manière décisive sur le destin du pays. Cela ne surprendra pas ceux qui suivent de près l'Irak et qui ne se laissent pas abuser par la couverture partiale et partielle des médias occidentaux. Jamais cet assemblage hétérogène de baasistes, d'islamistes, de criminels et d'opportunistes n'a représenté une volonté populaire à l'échelon national, et le qualificatif de "résistance" dont l'honorent une partie des commentateurs internationaux est un contresens particulièrement honteux. Les terroristes peuvent faire illusion en manipulant les médias, mais les élections donnent la parole à toute la population, et quelques bombes n'ont pas réussi à étouffer la clameur démocratique et l'hymne à la liberté des Irakiens.

Deuxièmement, les forces de sécurité irakiennes et les troupes de la coalition ont su fournir une protection suffisante pour la tenue d'élections dans les 4 provinces sur les 18 du pays qui sont vraiment menacées par la guérilla sunnite, et notamment à Bagdad. Cela devrait mettre un terme aux spéculations ridicules selon lesquelles seuls 4000 hommes seraient opérationnels et fiables dans les forces irakiennes. Aucun des 9 attentats suicides perpétrés aujourd'hui n'a pu avoir lieu devant les locaux de vote, là où des files d'attente de plusieurs dizaines de mètres auraient permis un carnage. Le bain de sang promis par Zarqaoui a été empêché par un dispositif imposant, par des forces locales présentes en masse, par une collaboration étroite avec la coalition, mais aussi par la campagne offensive lancée voici 4 mois par les unités US.

Troisièmement, ces élections lèvent le voile partisan qui dissimule l'Irak réel et jettent une lumière aussi crue qu'impitoyable sur l'Irak virtuel que nous servent les médias européens. Toute cette succession de bombes, de kidnappings, d'exécutions et de fusillade qui permet à des rédactions presque exclusivement opposées à l'opération Iraqi Freedom de parler de chaos, de bourbier et de désastre est aujourd'hui contredite par l'image du véritable Irak, par un pays en plein essor, dont la majorité des citoyens sont par exemple satisfaits des conditions de sécurité. Sur près de 5500 bureaux de vote irakiens, 99% d'entre eux n'auront pas été attaqués, et la concentration des "informations" sur le 1% devient plus ridicule que choquante. L'Histoire se fera sans les médias.

Quatrièmement, ces élections confirment - après l'Afghanistan, et dans une moindre mesure la Palestine, encore que l'espoir renaisse - que la liberté et la démocratie sont des valeurs universelles, et constituent les meilleures conditions de coexistence entre individus quels que soient les lieux et les populations. Comme les islamistes l'ont parfaitement identifié, le monde entier est désormais engagé dans une lutte mortelle entre le fondamentalisme musulman et la démocratie libérale, entre le droit divin et le droit humain, entre l'obsession de la mort et l'amour de la vie. Les Irakiens ont choisi aujourd'hui leur camp avec détermination. J'aimerais qu'il en soit fait de même, et aussi clairement, en Europe.

Ces quelques leçons stratégiques tirées à chaud ne remplacent pas une analyse plus détaillée. Mais elles indiquent que ces élections constituent un formidable révélateur des enjeux propres à notre époque.

COMPLEMENT I : En parlant de l'Europe, Madrid a connu aujourd'hui une manifestation pour protester contre la tenue d'élections en Irak, sous le prétexte qu'elles auraient lieu sous une prétendue occupation américaine. Est-ce que ces gens seront un jour capables d'ouvrir les yeux et de voir le véritable Irak ? Est-ce qu'ils vont un jour accepter d'écouter les Irakiens ? Pendant ce temps, quelque 90% des expatriés irakiens inscrits en France pour les élections ont participé à ces élections...

COMPLEMENT II : La participation a été revue à la baisse pour s'établir aux environs de 60%, avec plus de 8 millions de scrutins. Ces chiffres sont toutefois provisoires, même s'ils sont basés sur l'ensemble des provinces du pays. En l'état, ils constituent donc un beau succès pour la démocratie, et un plébiscite contre ceux qui la combattent.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h24 | Comments (9)

Suivre les élections en Irak

Il est rare que des élections à l'étranger suscitent autant d'intérêt : à part les récentes élections américaines, je ne vois guère de scrutin qui revêt une telle importance pour l'avenir de la planète, bien au-delà des Irakiens ou du Moyen-Orient. Ce qui se passe aujourd'hui en Irak est la première sanction populaire en-dehors des Etats-Unis de la stratégie mise en place par l'administration Bush pour lutter contre le terrorisme islamiste en s'attaquant à la fois aux symptômes et aux causes de ce mal profond. Que les Irakiens boudent les urnes, et l'entreprise américaine aura perdu l'essentiel de sa légitimité ; mais que les Irakiens se rendent en masse à l'isoloir, et cette légitimité sera incontestable, impossible à dissimuler - même pour les médias occidentaux.

Cette journée historique et décisive peut être suivie en direct, comme l'indique François Brutsch, sur Iraq Elections Newswire et la BBC, mais aussi sur Yahoo! News et chez Chester.

Naturellement, tout dépend de ce que l'on entend par bouder les urnes ou voter en masse. Et lorsque l'on se rappelle que les médias ont décrit une participation massive aux élections palestiniennes alors que moins de 50% des personnes autorisées à voter ont déposé un bulletin, on mesure la facilité à orienter les perceptions en fonction de ses opinions... En-dehors de ces réflexions sur la manière de mesurer le succès ou non de ces élections, et de ceux qui tentent de s'y opposer, disons que moins de 50% de participation représenterait un échec. Et plus de 75% un véritable triomphe !

COMPLEMENT I : Cette analyse de Bill Roggio sur les détracteurs de ces élections et les éternels parallèles entre l'Irak et le Vietnam mérite d'être lue.

COMPLEMENT II : A 1530, on peut déjà percevoir la lutte qui aura lieu autour du taux de participation. Les dépêches annoncent une participation massive dans les zones à majorité chiite ou mixtes, ainsi que kurdes, et un responsable à estimé ce taux à 72% ; mais apparemment les journalistes ont fait leur travail, et mis en doute les bases d'un tel chiffre. Comment se fait-il que les annonces similaires de la commission électorale palestinienne, voici 3 semaines, n'ont pas été accueillies avec le même sens critique ? Deux poids, deux mesures...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h55 | Comments (2)

29 janvier 2005

L'Afghanistan dans l'oubli

Alors que les élections en Irak ont lieu demain, il est tout de même étonnant de voir à quel point l'Afghanistan a été totalement oublié par les médias depuis la tenue des élections présidentielles. C'est la réflexion que mentionne Ed Morrissey, sur Captain's Quarters, en s'appuyant sur un article de l'American Journalisme Review, qui démontre le désintérêt des médias américains pour ce pays en comparant le nombre des journalistes :

Full time in January 200[5]
Washington Post: 1 reporter
New York Times: 1 full-time stringer
Newsweek: 1 reporter
ABC: 1 full-time freelance producer
Full time in May 2003
Washington Post: 1 reporter
New York Times: 1 full-time stringer
Associated Press: at least 3 reporters
Chicago Tribune: 1 full-time stringer
Christian Science Monitor: 1 reporter
CNN: a team of 4, including 1 reporter
NBC News/MSNBC: 1 reporter-producer
NPR: 1 correspondent
Reuters: a team of 5, including 3 print staffers

Pour Ed Morrissey, ce désintérêt s'explique par le fait que les médias ne trouvent plus en Afghanistan ce qu'ils recherchent - du sang, des larmes et des drames. Le devoir d'informer le public n'est plus pris en compte dans la répartition des correspondants, alors même que l'Afghanistan conserve une grande importance. Mais un échec américain dans ce pays n'aurait-il pas suscité une attention spectaculaire ? Le choix des sujets, en indiquant les idées préconçues et les opinions recherchées, constitue le premier indice d'orientation, d'omission et parfois de manipulation.

Raison de plus pour ne pas manquer les bonnes nouvelles d'Afghanistan compilées par Chrenkoff.

COMPLEMENT I : Une autre manière de se renseigner consiste à lire les communiqués du Pentagone, qui fournissent souvent des informations intéressantes sur l'activité des troupes déployées. Naturellement, la plupart des médias les évitent comme la peste en affirmant n'y voir que de la propagande... mais c'est aussi parce qu'ils n'ont pas les connaissances nécessaires pour les évaluer.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h20

Les kamikazes modernes

Bill Roggio a mis en ligne une analyse très pertinente des terroristes islamistes auteurs d'attentats suicides, en montrant quels parallèles peuvent être tirés avec les kamikazes japonais de la Seconde guerre mondiale. Le point le plus important, à mon sens, n'est pas nécessairement la détermination de mourir dans une attaque dévastatrice, ou encore l'héroïsme prêté à de telles actions, mais bien le fait que la propagande japonaise de l'époque a été remplacée aujourd'hui par les médias normaux, qui se chargent de répercuter les attentats et leurs revendications sans contexte ni sens critique.

Lorsque l'on constate que l'explosion d'une voiture piégée hier à Bagdad est photographiée en direct par 3 photographes différents, travaillant respectivement pour Reuters, AFP et AP, on est ainsi obligé de se demander dans quelle mesure les médias collaborent aujourd'hui avec les groupes terroristes islamistes qui luttent contre la tenue d'élections démocratiques en Irak. Ce manque de transparence n'est plus admissible.

COMPLEMENT I : Sur le même sujet, on peut lire cette colonne percutante de Thomas Sowell, qui revient sur la couverture médiatique très partielle de l'Irak et tire un autre parallèle avec la Seconde guerre mondiale. Extraits :

If a battle ends with Americans killing a hundred guerrillas and terrorists, while sustaining ten fatalities, that is an American victory. But not in the mainstream media. The headline is more likely to read: "Ten More Americans Killed in Iraq Today."
This kind of journalism can turn victory into defeat in print or on TV. Kept up long enough, it can even end up with real defeat, when support for the war collapses at home and abroad.
One of the biggest American victories during the Second World War was called "the great Marianas turkey shoot" because American fighter pilots shot down more than 340 Japanese planes over the Marianas islands while losing just 30 American planes. But what if our current reporting practices had been used back then?
The story, as printed and broadcast, could have been: "Today eighteen American pilots were killed and five more severely wounded, as the Japanese blasted more than two dozen American planes out of the sky." A steady diet of that kind of one-sided reporting and our whole war effort against Japan might have collapsed.

Mais comme ce texte le prouve, cela commence à se voir...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h39 | Comments (2)

28 janvier 2005

Les généraux au diapason

On trouve dans la Neue Zürcher Zeitung d'aujourd'hui un article de Bruno Lezzi sur les récentes directives du Chef de l'Armée concernant les rapports des Grandes unités, et plus largement sur la liberté d'expression restreinte des officiers généraux. Après avoir noté les textes du commandant de corps Keckeis publiés mercredi dans la NZZ et Le Temps sur le bilan après une année d'Armée XXI, Lezzi - accessoirement colonel EMG de son état - note que la conduite plus ferme du sommet de l'armée s'inscrit en contradiction avec le principe de la conduite par objectifs, et avec les lacunes constatées en matière d'information. Avant de conclure à l'importance du débat :

Ein Blick in die jüngere schweizerische Militärgeschichte zeigt deutlich, dass die einschneidenden Modernisierungen vor dem Ersten und nach dem Zweiten Weltkrieg nur im intensiven Austausch unterschiedlicher Meinungen, nicht aber mit verordnetem Denken realisiert werden konnten. Und das ist heute nicht anders.

En théorie, Bruno Lezzi a parfaitement raison : la liberté d'expression et de critique est indissociable d'une institution capable d'apprendre et d'évoluer. Ce sont les réflexions critiques et désintéressées qui font avancer les choses, ainsi que les débats argumentés sur des options stratégiques, opératives ou tactiques clairement définies. Le grand débat entre les "mobiles" et les "statiques" au début des années 50 a forgé la doctrine d'emploi de l'armée pendant toute la guerre froide, et ses effets se sont encore sentir aujourd'hui.

Cependant, je pense que le Chef de l'Armée sait parfaitement à quoi s'en tenir en matière de liberté d'expression, notamment dans certains cercles outre-Sarine. Trop souvent, ces dernières années, les débats sur des questions purement militaires ont été influencés par des pressions politiques auxquelles plusieurs officiers généraux se sont livrés. Des positions rejetées par le Conseil de direction de la Défense sont revenues par la bande, sous la forme d'interventions parlementaires téléguidées depuis les cantons. La nécessité de parler d'une seule voix sur les sujets les plus importants, afin précisément de réduire ces récupérations politiques, explique en partie les directives en matière de communication.

Au demeurant, les désaccords portent bien souvent sur des questions de préséance, d'autorité ou de budget, et non sur les adaptations à l'environnement stratégique. Le débat d'idées, porté sur la place publique, reste confiné aux organes de presse indépendants. L'armée suisse n'a pas encore pris le virage des nouvelles technologies de l'information et de la communication, en particulier dans la modification des échanges et des émulations qu'elles occasionnent. Espérons que les weblogs seront l'outil susceptible de faire évoluer la situation.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h56

Les trous de mémoire

Une réflexion particulièrement pertinente de Wretchard, sur son excellent Belmont Club, éclaire la question de la réécriture de l'histoire : de nos jours, il est devenu très difficile à un homme politique, à un expert ou à un journaliste de dissimuler ses déclarations ou ses écrits passés, et donc de faire en sorte que des "trous de mémoire" engloutissent des propos devenus gênants. Wretchard s'appuie en cela sur George Orwell et son 1984 toujours d'actualité :

The emergence of the Internet has closed down the "memory hole" within which the former apologists of Joseph Stalin, Kim Il Sung, Fidel Castro and Saddam Hussein could hide their bad advance and from which they could emerge at whiles to offer new sage advice. The term 'memory hole' itself was coined by George Orwell who used it to describe the mechanism through which the media manipulated historical memory. One of the tenets of the Party in Orwell's 1984 was that "Who controls the past controls the future. Who controls the present controls the past", and the key to achieving mastery over history was the liberal use of the 'memory hole'.

Wretchard mentionne ainsi que Max Boot, l'un des meilleurs analystes contemporains des conflits de basse intensité, a largement discrédité l'article de Seymour Hersh sur les prétendues activités américaines clandestines en Iran, par la simple mise au jour des erreurs et distorsions passées de Hersh, et par l'exposé récent de ses convictions politiques comme de son obsession anti-Bush. Pour Wretchard, la fin du monopole de l'information que possédaient les médias signifie que le contrôle de la mémoire collective leur a également échappé, et qu'il est devenu plus facile de démasquer la réécriture de l'histoire.

Il s'agit cependant de différencier les vecteurs médiatiques, car la recherche des archives écrites est bien plus rapide et commode que celle d'archives audio-visuelles : les propos tenus à la radio ou à la télévision, en l'absence d'une transcription automatique, peuvent aisément n'avoir jamais existé. Prenez par exemple l'article assez objectif de Roger de Diesbach aujourd'hui dans La Liberté sur les élections en Irak et la démocratie face à la violence ; c'est pourtant le même Roger de Diesbach qui s'exclamait, un soir d'octobre 2001 sur la TSR, que l'opération militaire américaine en Afghanistan était une absurdité, qu'elle allait fabriquer les terroristes islamistes par millions et qu'il était impossible d'imposer la démocratie en employant la force armée. Les transcriptions si fréquentes des TV américaines seraient les bienvenues en Europe.

En revanche, dans la presse écrite, impossible de jouer au Ministère de la Vérité. Prenez par exemple le très militant Alain Campiotti, qui écrivait voici 2 jours dans Le Temps que "à la veille des élections irakiennes, les Américains découvrent qu'ils ne peuvent pas vaincre" et que "tout le monde songe à une stratégie de sortie, sous un autre nom" d'une situation qui "ressemble à une défaite". Est-ce là un jugement incisif, original, basé sur une large analyse des faits et des tendances, fondé par une prise en compte de tous les facteurs influents et de leur évolution ? C'est ce qu'un journaliste ayant l'ambition de juger un conflit dans un pays de 27 millions d'habitants - et une opération militaire qui implique 170'000 soldats - devrait effectivement faire. Et c'est ce que Campiotti n'a jamais fait.

Dans la réalité, voilà bien longtemps que ce journaliste-combattant typique a annoncé la défaite américaine. Le 29 mars 2003, sous le titre "L'idée d'un siège de Bagdad prend forme", il écrit ainsi que "le Tet est dans les têtes autant que Mogadiscio" et que les militaires US vont attendre des renforts avant de poursuivre leur offensive sur la capitale, en tirant un parallèle avec la situation du Vietnam de 1968. Le 1er avril, il écrit d'ailleurs un "premier bilan des fautes américaines" en affirmant que l'armée irakienne est fidèle à Saddam Hussein, que la stratégie de celui-ci est efficace, et que la population ne veut pas de la coalition. Pas étonnant qu'il souhaite faire oublier cela.

Trois mois plus tard, le 27 juin 2003, Campiotti relance le disque de la défaite américaine sous le titre "L'ampleur de la guérilla anti-américaine en Irak fait germer le doute à Washington", et annonce même une panique à venir : "De l'affolement? Pas encore, mais ça vient. La multiplication des accrochages en Irak et l'augmentation du nombre des morts commencent à ébranler l'assurance américaine." Le 8 juillet, il parle d'un bourbier dont il est impossible de sortir, "à moins bien sûr que l'armée américaine, désormais honnie, ne s'en aille." Le 10, il écrit même que "les Américains, soudain paniqués, ne veulent plus être seuls en Irak" ; à cette époque, il y avait pourtant 150'000 soldats US en Irak - comme aujourd'hui - et 21'000 membres de la coalition, avant tout Britanniques, mais aussi Italiens, Polonais, Tchèques, Hollandais et Espagnols...

Le 12 août 2003, Campiotti annonce que "George Bush revient en catastrophe à l'ONU" et que "l'armée américaine a un besoin absolu de renforts", alors qu'à cette date plus de 30'000 soldats non-américains sont sur zone ou en partance. Correction le 15 : sa théorie ayant été promptement démentie, il explique que "la ligne dure du Pentagone domine toujours". Le 8 septembre, il reprend néanmoins son thème en affirmant que "la confiance des Américains décroît rapidement", avant d'écrire le lendemain que "l'impasse américaine ressuscite l'ONU". Le 10 octobre, c'est même la perception du public américain qui "commence à ébranler la maison Bush."

Le 4 novembre, sous le titre "les Etats-Unis saisis par le doute", il continue d'insinuer son mot d'ordre : "Personne ne songe à une stratégie de sortie. Personne, vraiment? Le parti de la guerre [...] semble lui-même redouter que la tentation du repli ne commence à germer dans les esprits." Dix jours plus tard, il écrit carrément que "Washington cherche à qui rendre les clés de l'Irak" et annonce un transfert rapide du pouvoir au lieu d'un processus progressif : "les bombes qui explosent presque chaque jour, la guerre qui s'installe dans Bagdad même ont rendu intenable cette politique des petits pas." Le 17 novembre, le mot est lâché : "L'«irakisation» de la guerre et du pouvoir à Bagdad est interprétée aux Etats-Unis comme une stratégie préélectorale de retrait". Il parle même de "réveil" et de "réaction presque panique".

Le capture de Saddam Hussein ne change pas le refrain : il s'agit "d'échapper au piège irakien", écrit Campiotti le 15 décembre 2003, alors que d'après lui, le 20 janvier 2004, les Etats-Unis ont besoin de "résoudre l'impasse politique dans laquelle ils se trouvent". Le 12 février, "le doute s'empare des milieux conservateurs" notamment à propos de l'Irak, et 8 jours plus tard, l'accord sur la transition politique en Irak - et le maintien réaffirmé des Forces armées US - amènent Campiotti à écrire que "si, quatre mois avant l'élection du 2 novembre, le président peut affirmer que les Etats-Unis ont commencé leur désengagement d'Irak, l'opposition aura perdu l'un de ses premiers arguments contre lui."

Le 18 mars 2004, après un attentat à Bagdad, Campiotti ressort "le sentiment de l'échec" qu'il couve depuis si longtemps, en affirmant que les Etats-Unis sont "sonnés". Mais il s'affranchit de toute limite le 6 avril, sous le titre "Le Vietnam de George Bush", lorsqu'il affirme que "les chiites prennent les armes" et que "le piège s'est refermé" parce que nul aux Etats-Unis "n'ose demander le retrait du bourbier". Deux jours plus tard, en écrivant que les Américains "se retournent contre George Bush", il ne parle que du Vietnam, d'un "bourbier d'où on ne peut plus s'extirper" ; du "rêve brisé de George Bush en Irak" le 10 avril, en évoquant le fait de "retirer les forces américaines de certaines régions" pour calmer le "désarroi américain". D'ailleurs, le 23 avril, "rien ne va plus pour les Américains", alors que le 29 mai, "George Bush s'enfonce dans le bourbier" irakien. Et le 9 juin 2004, Campiotti est catégorique : "La force multinationale devra avoir quitté l'Irak dans dix-huit mois au plus tard".

Je pourrais continuer encore longtemps ce rapide tour d'horizon de mes archives, mais il suffit à illustrer la réflexion de Wretchard : un journaliste comme Alain Campiotti, qui depuis presque 2 ans annonce sans relâche l'échec de l'opération militaire américaine en Irak, essaie périodiquement de resservir la même rengaine en lui donnant un aspect nouveau - "cette fois-ci, c'est sûr, ils ont perdu !" Le lecteur normal n'a presque aucune chance de démontrer la supercherie, mais un système de stockage numérique permet de remonter le temps - sans jeu de mot - et de cerner la mécanique sémantique utilisée. Les trous de mémoire ne serviront plus longtemps à préserver les réputations.

En même temps, une boussole qui indiquerait toujours le sud a aussi son utilité...

Posted by Ludovic Monnerat at 18h36 | Comments (9)

Alerte média : La Liberté

C'est un ami qui m'a prévenu par SMS ce matin que La Liberté de Fribourg avait publié un commentaire d'un de mes articles, paru dans l'édition de janvier de la Revue Militaire Suisse et consacré au conflit israélo-palestinien. En fait, il a écrit "commentaire", de sorte que je pouvais redouter le pire ; au final, le texte de Patrice Favre (non disponible en ligne) et malgré son titre curieux ("Un officier donneur de leçon") vise surtout à résumer la version resserrée de cet article publié en septembre dernier sur CheckPoint.

Il est ainsi intéressant de voir comment Favre ressent l'analyse factuelle et stratégique d'un conflit :

Dans son genre, Monnerat ne fait pas dans la dentelle. Mais son regard de stratége en chambre tranche sur les analyses politiques, juridiques ou morales qu'on lit habituellement sur le drame palestinien. Monnerat est un soldat, il pense militaire, non sans cynisme : une bataille est faite pour être gagnée ou perdue.
[...]
Il admet certes que le conflit n'est pas terminé et qu'Israël peut tout au plus espérer un cessez-le-feu durable, mais "l'usage mesuré de la force au service d'une politique clairement définie a fait la preuve de son efficacité". Un vrai militaire, on vous l'a dit.

Le fait qu'un journaliste juge bon de signaler qu'un officier pense de façon militaire peut a priori surprendre, mais cela montre surtout à quel point les opérations militaires, les conflits armés et les réflexions stratégiques sont méconnus au sein des rédactions. Patrice Favre ne conteste en rien mes analyses, il semble d'ailleurs en être incapable (ce qui prouve que les bases factuelles de mon article étaient solides), et omet totalement le fond du texte, soit l'exemple d'un conflit asymétrique gagné - à mon sens - par une armée. Il se contente de mettre en exergue le "cynisme" supposé d'un "stratège en chambre" qui se permet de donner des leçons. A croire que je parle une autre langue !

En fait, Patrice Favre a l'habitude de lire la Revue Militaire Suisse pour trouver des sujets à traiter, ce qui est une pratique journalistique tout à fait régulière. Le 9 janvier 2003, il a ainsi résumé un article écrit par Raphaël Gerber et moi-même sur le problème croissant des Natels dans les écoles de recrues, ce qui a aussitôt déclenché un élan médiatique surprenant - la TSR, Le Matin et d'autres se lançant sur l'affaire. En conséquence, ses pointes de morgue à mon endroit ne m'effarouchent pas le moins du monde...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h19 | Comments (6)

Irak : un retrait éminent

La presse occidentale a souvent tenté de montrer la population irakienne sous l'angle d'un rejet absolu de la coalition, et on peut encore lire ou entendre très régulièrement le terme d'occupation alors même qu'une résolution du Conseil sécurité de l'ONU (1546) a légalement mis un terme à celle-ci. Un article du Christian Science Monitor paru aujourd'hui met cependant le doigt sur le sentiment majoritaire de la population à cet égard :

"Iraqis are struggling with exactly the same paradox," adds the diplomat. "They want the multinational forces to leave, but ask them if they want them to leave tomorrow, and they say 'no.' "

Les forces de sécurité irakiennes, qui depuis l'automne 2003 sont plus nombreuses et subissent davantage de pertes que les forces de la coalition, ne sont pas encore en mesure de faire face seules à la guérilla sunnite : on ne peut pas demander à un policier à la fois de lutter contre la criminalité et de se battre comme un soldat, alors que la formation de la nouvelle armée irakienne s'est faite bien plus lentement que prévu par le Central Command. Par conséquent, c'est dans ce sens qu'il faut interpréter les discussions anglo-américaines sur une "stratégie de retrait" : la stratégie de contre-insurrection actuelle sera poursuivie, et les forces coalisées maintiendront leur présence pour l'accomplir.

Cette analyse publiée par USA Today montre en effet que la stabilisation de l'Irak exige avant tout la prolongation, et parfois l'intensification, des efforts produits. Les expériences faites après la Seconde guerre mondiale sont une indication intéressante :

American efforts in postwar Europe practiced what military planners called the "disease and unrest formula." They outlined three tasks to keep a defeated nation from chaos: (1) avoiding a humanitarian crisis; (2) setting up a legitimate government; (3) establishing domestic security forces.
Security took the longest, but by 1948, the government [of Austria] could stand by itself.

De toute évidence, les élections qui auront lieu dans 2 jours constituent une étape essentielle de tout processus de stabilisation, et un succès stratégique pour les Etats-Unis. Mais il est probable que ceux-ci devront encore contribuer longtemps à la consolidation de leurs succès pour empêcher leurs adversaires de reprendre l'initiative. Autrement dit, tous les discours souvent recyclés sur un plan de retrait (on parlait déjà de retrait imminent en novembre 2003...) servent un intérêt politique en terme de perception publique, et ne correspondent pas à la réalité stratégique.

Il me paraît probable que les Forces armées américaines soient encore présentes en Irak dans 10 ans, avec un volume certes fortement réduit, mais en ayant maintenu une capacité d'intervention au service des Gouvernements irakiens successifs. Nous verrons...

Posted by Ludovic Monnerat at 8h45

27 janvier 2005

Les robots et le combat

Voilà plusieurs décennies que le Pentagone investit dans la recherche en matière de robotisation militaire, notamment en subventionnant des initiatives visant à développer l'intelligence artificielle nécessaire pour évoluer dans un secteur d'engagement. A l'heure actuelle, ce sont surtout les robots télécommandés qui attirent l'attention : après le drone Predator équipé du missile antichar Hellfire, le robot terrestre SWORDS a été présenté aux médias américains avant son déploiement en Irak. Conçu à partir d'un modèle utilisé pour la détonation de charges explosives, ce petit robot se déplace sur chenilles, porte une mitrailleuse - au calibre 5,56 mm ou 7,62 mm, bien qu'une 12,7 mm ait déjà été testée - et est dirigé par télécommande pour les mouvements comme pour le tir. Avec son coût unitaire de 200'000 dollars, ce modèle relève somme toute de l'improvisation découlant du champ de bataille.

Pour les responsables du programme, les avantages des robots au combat sont nombreux :

Military officials like to compare the roughly 1-meter-high (3-foot-high) robots favorably to human soldiers: They don't need to be trained, fed or clothed. They can be boxed up and warehoused between wars. They never complain. And there are no letters to write home if they meet their demise in battle.
[!]
Its developers say the SWORDS not only allows its operators to fire at enemies without exposing themselves to return fire, but also can make them more accurate. A typical soldier who could hit a target the size of a basketball from 300 meters (yards) away could hit a target the size of a coin with the SWORDS.

Ce type de robot autorise donc une prolongation et une augmentation des capacités du soldat, au même titre que d'autres systèmes d'armes (on peut en particulier penser aux tourelleaux télécommandés de certains véhicules blindés). Toutefois, le fait que l'US Army se prépare à envoyer 18 exemplaires en Irak illustre une nouvelle fois un processus constant : le remplacement de l'homme par la machine dans les missions les plus risquées - exploration, surveillance, déminage ou encore frappe aérienne. Les missiles de croisière mer-sol, les bombes planantes larguées à haute altitude et les drones qui rôdent en permanence ont tous pour but de réduire le coût humain des opérations, dans un camp au moins, et donc de limiter les pressions morales et psychologiques qui pourraient les entraver.

Bien entendu, le choix de préserver les vies des soldats amène à consommer des équipements et des munitions coûteuses : si une bombe à guidage GPS coûte moins de 20'000 dollars, un missile de croisière Tomahawk en coûte 700'000, alors qu'un drone Predator standard vaut entre 3 et 4 millions. La guerre robotisée est une guerre de riches. D'un autre côté, face à des groupes terroristes et extrémistes susceptibles d'engager des combattants fanatisés au point de vouer un culte au suicide, l'exécution imperturbable des algorithmes nécessaires à la détection, au ciblage et à la destruction d'une cible forme une réponse prometteuse. Les machines ignorent la terreur des hommes ; elles sont même capables d'infliger en retour une terreur plus grande encore. Et c'est là une perspective qui doit être prise en compte.

Aujourd'hui déjà , certains systèmes exigent un fonctionnement tellement rapide et précis qu'il est entièrement automatisé ; c'est le cas du système de protection antimissile et antiaérien AEGIS, mu par un radar surpuissant et capable tirer des missiles en rafale. Il est donc probable que toute une frange des opérations de combat d'intensité maximale vont certainement être de plus en plus confiées aux machines, afin d'exploiter au mieux leur puissance de calcul pour infliger une attrition aussi massive que précise, ce qui donnera aux nations high tech une capacité absolument dévastatrice dans l'élimination des installations, des soldats et bien entendu des robots d'une armée adverse. Une dissymétrie tellement ravageuse qu'elle pourrait abréger ce type de conflit et le rendre aussi peu probable qu'une conflagration nucléaire.

Avec pour conséquence d'encore renforcer l'occurrence de conflits asymétriques et déstructurés, où le crime se mêle au combat!

Posted by Ludovic Monnerat at 10h53 | Comments (1)

26 janvier 2005

La fin de l'affaire Al-Dura

Les images du petit Mohammed Al-Dura ont été l'un des symboles marquants de l'Intifada dite d'Al-Aqsa, c'est-à -dire la phase actuelle du conflit israélo-palestien - peut-être en train d'arriver à son terme, encore que j'en doute. Ces images - tournées par un caméraman de France 2 - ont été utilisées pour fustiger les Forces armées israéliennes, accusées d'avoir abattu l'enfant, et ainsi saper la légitimité de l'Etat juif, en particulier sur la scène internationale. Deux journalistes français ont enquêté en détail sur cette affaire et démontré la fausseté de ces accusations, avant que leurs propos soient amplifiés et amagalmés pour attaquer France 2. Ils se sont exprimés hier dans Le Figaro pour donner le fin mot de l'histoire.

De leur enquête, on apprend que l'envoyé spécial de France 2 Charles Enderlin n'avait aucune preuve pour accuser les Israéliens d'avoir tué le garçon, et qu'il a menti au moins 2 fois au sujet des bandes tournées par son caméraman. Si les auteurs renoncent à spéculer sur les raisons de ces libertés prises avec la déontologie comme avec la vérité, force est de constater que les médias européens - et pas seulement africains ou arabes - peuvent soudain jouer un rôle considérable dans l'incitation à la haine et l'inflation des conflits. Ce qui rappelle l'impact potentiel des journalistes-combattants qui évoluent librement dans les zones de conflit.

COMPLEMENT I : Il vaut la peine de lire la réponse de Charles Enderlin publiée aujourd'hui 27 dans Le Figaro. En effet, il reconnaît n'avoir eu aucune autre preuve que le témoignage de son caméraman palestinien pour avoir affirmé le jour même que Mohammed Al-Dura a été tué par des balles israéliennes, et il utilise des témoignages a posteriori et des arguments chiffrés biaisés (comme si toutes les balles tirées par les Israéliens visaient des manifestants, voire des enfants...) pour tenter de justifier une déclaration injustifiable. Un texte également instructif pour prendre conscience les pressions dont Charles Enderlin a été l'objet, y compris des menaces de mort.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h53 | Comments (1)

De nouvelles conventions

L'un des penseurs stratégiques les plus stimulants de notre époque est Thomas P. Barnett, qui a écrit un livre fameux (The Pentagon's New Map), qui répond à nombre d'interviews (une a été traduite par mes soins) et qui vient de rédiger une colonne pour le magazine Wired consacrée au droit de la guerre. Son propos est direct : le droit actuel, centré sur les Conventions de Genève, n'est plus adapté aux conflits contemporains, et il est nécessaire de constituer une nouvelle organisation pour définir les bases légales permettant aux Etats de se défendre sans tomber dans des limbes juridiques. Extraits :

Unless we want to spend the rest of this conflict trying to rationalize police brutality and torture, the US needs to acknowledge (1) that it's not above the law; and (2) that it needs a new set of rules for capturing, processing, detaining, and prosecuting such nonstate actors as transnational terrorists. In short, we need Dirty Harry to come clean. Frontier justice must be replaced by a real justice system.
The new rules need to define how the core countries cooperate to suppress terrorist activity within the core using police methods. And they'll lay out how and under what conditions it's OK for those same states' militaries to go into the unconnected regions of the world - what I call the nonintegrating gap - to snatch or kill suspected terrorists. [...] What am I talking about here? A WTO-like entity for global counterterrorism.

On notera avec intérêt que la Suisse lui paraît une base de discussion pour un lieu susceptible d'emprisonner des terroristes, au lieu de la base US de Guantanamo. En matière de réforme juridique, ou plus exactement d'emploi dépoussiéré de textes existants, il vaut la peine de relire les réflexions d'Arnaud Dotézac à ce sujet. Cependant, l'organisation dépositaire des Conventions de Genève - le CICR - ne semble guère encline à tolérer la moindre contestation à l'endroit de textes qui fondent aujourd'hui des interprétations de plus en plus tendancieuses...

COMPLEMENT I : On ne sait trop comment appréhender cette dépêche AP qui décrit la "torture" pratiquée à Guantanamo sous la forme de tentations sexuelles, et qui semble efficace. Ce n'est pas la première fois que des témoignages parlant de femmes légèrement vêtues lors des interrogatoires apparaissent. On peut donc logiquement penser qu'il y a du vrai dans tout cela...

Posted by Ludovic Monnerat at 22h37 | Comments (3)

Les élections comme une arme

Le premier scrutin démocratique de l'Irak aura lieu dans 4 jours, et l'événement est devenu la préoccupation centrale des Irakiens. La perception donnée à ces élections diffère grandement entre ce que les médias européens en disent et ce que la population irakienne ressent, au point que les premiers ont par avance tenté de délégitimer le vote alors que la seconde s'est inscrite en masse pour voter. Mais la notion centrale ici est celle de la légitimité : l'élection - comme le référendum - est le principal outil permettant à une majorité d'exprimer une opinion, et donc d'indiquer une orientation ou une représentation politique claire. Ce qui constitue une arme des plus efficaces.

Comment un simple bulletin en papier pourrait-il vaincre les voitures piégées, les enlèvements, les assassinats et les décapitations qui forment les reflets quotidiens - et partiels - de l'Irak aujourd'hui ? C'est que les conflits dépassent largement le cadre des apparences, malgré l'emprise des terroristes sunnites sur la couverture médiatique, et les éléments déterminants sont parfois les moins visibles. Les hommes, les armes, les équipements et l'argent fondent la capacité d'agir, et sont la pointe émergée des ressources combattantes ; les sentiments, les sensations et les désirs fondent la volonté d'agir, étudiée avec éloquence par Ardant du Picq. Mais ces deux notions ne limitent pas les ressorts des conflits, malgré les affirmations de certaines théories modernes (comme les Effects-Based Operations).

Il faut en effet prendre en compte la légitimité d'agir, qui découle des valeurs, des lois et des coutumes, pour cerner la dimension éthique des acteurs, alors que c'est leur dimension cognitive - fondée par les connaissances, les concepts, les interprétations - qui détermine leur opportunité d'agir. Il ne suffit plus d'être le plus fort ou le plus décidé pour l'emporter : lorsque les actions sont instantanément retransmises à des millions de spectateurs, il faut également être le plus juste et le plus sage. Telles sont les particularités des conflits contemporains, à l'ère de la médiatisation globale et de la démocratie conquérante. La conquête du terrain a fait place à la conquête des esprits, parce que les champs de bataille se sont élargis à la dimension des sociétés. Impossible de vaincre sans convaincre.

Et c'est là le rôle crucial d'élections dans un Etat encore en partie virtuel comme le Nouvel Irak. L'expression populaire qui devrait en résulter, par l'élection d'une assemblée constituante et de pouvoirs régionaux, va donner une légitimité sans précédent aux autorités et à l'ensemble de leurs services. Pour la première fois depuis des décennies, les Irakiens seront réunis par les urnes en un événement fondateur et catalyseur, qui leur fera prendre conscience d'eux-mêmes en tant qu'entité nationale (d'où l'opportunité), en tant que majorité composite (d'où la légitimité) et en tant que peuple souverain (d'où la volonté). En d'autres termes, ces élections donneront un élan et une force renouvelée à tous ceux qui luttent pour créer une nation libre et démocratique.

L'impact des scrutins populaires en situation de crise ou de conflit est une chose que l'on a tendance à oublier en Europe, et notamment en Suisse, où le ronronnement des votations bien huilées et peu fréquentées concourt à les banaliser, alors même qu'elles représentent un sommet de maturité civique et sociétale. Mais le bulletin de vote est une arme de légitimation massive face à laquelle ni les menaces des terroristes islamistes, ni les critiques des lointains commentateurs ne font le poids. La marche de l'Histoire se poursuit.

COMPLEMENT I : Cet autre sondage semble confirmer le succès annoncé de ces élections, mais aussi la différence entre la perception des Irakiens et celles des médias occidentaux quant à la sécurité. Extrait :

53.3% said the security is good in their area.
21.7% said that security was average in their area.
25% said that security was bad in their area.

Dommage que la source ne fournisse pas le découpage de ces réponses en fonction de la province.

COMPLEMENT II : Les Forces armées américaines en Irak annoncent une chute de 50% du nombre d'attaques, et interprètent cela le calme avant la tempête. En même temps, la chute d'un hélicoptère lourd en raison probablement du mauvais temps et plusieurs attaques ont provoqué la mort de 37 soldats. Il vaut la peine de noter que l'expression "le calme avant la tempête" précède le crash de l'hélico...

Posted by Ludovic Monnerat at 17h15 | Comments (1)

25 janvier 2005

Irak : la présence américaine

Alors que de nombreuses discussions ont eu lieu ces derniers jours sur une possible "stratégie de sortie" américaine en Irak, quand bien même ce terme n'appartient pas à la pensée militaire (on parle d'état final attendu ou recherché, ce qui n'est pas du tout la même chose), le chef des opérations de l'US Army a déclaré aujourd'hui qu'il comptait sur le maintien d'une présence en Irak identique à aujourd'hui jusque dans le courant de 2006, soit 120'000 militaires ; ce qui, avec la contribution des Marines et des autres services, aboutirait à un contingent de 140'000 à 150'000 Américains sur le sol irakien.

Ces prévisions concordent avec les propos du Premier ministre intérimaire irakien, Ilyad Allaoui, qui refuse d'exiger un plan horaire pour le retrait de la coalition internationale. Mais elles montrent surtout que le Pentagone reste décidé à poursuivre les opérations de contre-insurrection en Irak sur une intensité égale, et même à les étendre géographiquement en fonction de la diminution ou du retrait de plusieurs contingents européens (Pologne et Pays-Bas notamment). La question est de savoir s'il en a la capacité.

Voici plus d'une année et demi que l'on entend des avertissements sur l'essoufflement supposé des Forces armées américaines. Actuellement, c'est l'état de la Réserve et de la Garde nationale qui inspire des inquiétudes, puisque ces soldats de milice alimentent plus de 40% des effectifs en Irak et que le volume susceptible d'être déployé apparaît inférieur aux besoins. Et les appels se multiplient pour augmenter le volume de l'armée d'active, tombé il est vrai de 750'000 à 500'000 soldats dans le courant des années 90. Au risque d'ailleurs d'augmenter considérablement les frais de fonctionnement.

Qu'en est-il réellement ? Les Etats-Unis sont confrontés aujourd'hui à l'inadaptation de leur outil militaire, qui a subi une diminution au lieu d'une reconfiguration durant la décennie précédente - ce nouvel entre-deux guerres. Les divisions d'active qui passent 12 mois en Irak et 12 mois dans leurs bases (moins le temps pris par les déploiements...) ne représentent qu'une partie des effectifs ; de même, les brigades de la Garde nationale qui partent en mission ne représentent qu'une partie des unités existantes. Certains soldats vont et viennent, alors que d'autres sont vissés à leurs bases. Un déséquilibre structurel qui commence seulement d'être corrigé.

Le problème est le suivant : les conflits de basse intensité n'exigent pas des armées les mêmes tâches dans les mêmes proportions que les conflits de haute intensité. En Irak, il y a un besoin impérieux de troupes de mêlée polyvalentes, capables de s'adapter rapidement à leur environnement, appuyées par des spécialistes dans des domaines tels que le génie, la police militaire, les affaires civiles ou encore les opérations psychologiques. Les besoins en logistique et en transmissions sont constants, et le renseignement ainsi que les opérations spéciales gagnent en importance. Mais l'artillerie - et l'aviation à aile fixe - ne sont que ponctuellement utiles.

Or les Grandes unités US restent structurées en vue de mener une guerre symétrique de haute intensité, et possèdent notamment des moyens de feu totalement disproportionnés même dans un tel cas. La Garde nationale possède ainsi 6 brigades d'artillerie prévues pour une guerre totale, et tellement inutiles qu'une petite partie a déjà été transformée en police militaire, dans des divisions maintenues à un bas niveau de disponibilité précisément parce que leur emploi est prévu pour un conflit de ce type. C'est toute la structure de l'US Army qui doit être repensée, et qui est en train de l'être, ainsi que les effectifs entre les services - l'US Air Force apparaissant de toute évidence surdotée.

Les Etats-Unis ont la capacité de maintenir indéfiniment leur engagement en Irak. Mais pour ce faire, ils devront rapidement réorganiser leurs Forces armées afin de les rendre aptes à mener les conflits dépareillés, dispersés et prolongés de ce siècle.

COMPLEMENT I : Un bel exemple d'information biaisée sur le même thème est fourni par Le Monde aujourd'hui, qui estime que "L'armée américaine souffre de graves problèmes de budget et d'effectifs" alors que rien ne permet de justifier pareille affirmation. La méthode de l'article est simple : accumuler les aspects négatifs en écartant soigneusement les aspects positifs de la situation (comme la rétention extraordinairement élevée dans les unités d'active, ou l'absence de problèmes de recrutement/rétention dans la réserve) pour donner une impression d'échec ou de crise imminents. Des distorsions qui expliquent pourquoi la confiance envers les médias est vouée à continuer sa chute...

COMPLEMENT II : Zut, j'ai oublié le lien de cet article. Le voici donc. Caramba !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h16 | Comments (3)

Les options face à l'Iran (2)

Pour approfondir la question des options militaires disponibles face au programme nucléaire l'Iran, je recommande la lecture de la synthèse réalisée à ce sujet sur GlobalSecurity.org. Une grande quantité d'informations y est compilée ou listée, et permet de mieux imaginer les défis d'une opération essentiellement aérienne destinée à ralentir ce programme. Les autres options militaires sont également mentionnées, mais le site possède bien moins d'informations disponibles à leur sujet.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h40 | Comments (3)

Un relativisme irrationnel

Claude Monnier, chroniqueur régulier pour 24 Heures, est sans conteste un homme très intelligent. Sans doute l'un des plus intelligents de la presse romande. Ce qui rend d'autant plus inquiétante sa dernière colonne, qu'il a écrite après avoir vu un documentaire consacré aux expérimentations japonaises sur des prisonniers de guerre dans l'Unité 731, et qui l'amène à un relativisme aussi répugnant que révélateur :

L'objectif premier de cette Unité 731 était de trouver une arme bactériologique imparable, comme la peste, et d'étudier la manière de l'utiliser efficacement. Les prisonniers ne ressortaient jamais vivants de l'Unité 731. On savait que les troupes japonaises s'étaient souvent comportées odieusement en Asie orientale, mais tout de même pas avec une cruauté aussi extrême.
[...]
J'observe d'abord que la cruauté n'a pas d'âge. Au contraire, l'inhumanité, les exactions extrêmes, semblent faire partie de la vie des groupes humains de toutes les époques, y compris de la nôtre - souvenez-vous des meurtres du Rwanda, commis à la machette; des camps de concentration serbes; des humiliations et tortures de Guantanamo et d'Abou Ghraïb.

Est-ce que nous sommes donc tombés aussi bas ? Est-ce qu'il est devenu tellement normal d'aligner dans une même phrase le génocide rwandais (environ 1 million de morts), le nettoyage ethnique en Bosnie (250'000 morts, dont 7000 en 2 jours à Srebrenica) et les prisons de Guantanamo ou Abou Ghraïb, où les auteurs de maltraitements sont tous en prison ou en attente de jugement, et qui jusqu'à preuve du contraire n'ont pas tué de prisonniers ? Peut-être Claude Monnier aura-t-il écrit sous le coup de l'émotion, aveuglé par le tourbillon d'images qui constitue notre actualité, ou peut-être aura-t-il voulu donner des gages à la rédaction farouchement anti-américaine de 24 Heures ; mais comment peut-on perdre à ce point le sens des proportions ?

On rappellera avec intérêt que l'essentiel des sévices qui ont fait éclater le scandale d'Abou Ghraïb se sont produits durant une tranche de 24 heures, et que c'est l'incompétence des officiers et l'incurie des lieux qui ont créé les conditions de ces exactions ; que la quasi totalité des hommes détenus à Guantanamo sont des combattants arrêtés l'arme à la main, susceptibles de reprendre le combat dès leur libération, et dont l'interrogatoire continue de fournir des renseignements permettant l'arrestation de cellules terroristes, notamment en Europe ; et que les combattants capturés lors d'un conflit ne peuvent être libérés qu'au terme de celui-ci. Mais à quoi bon fournir des faits lorsque les opinions s'en détachent ?

C'est l'un des faits centraux de notre époque : la raison perd sans cesse du terrain face à l'émotion. Tout devient comparable, tout peut être réécrit, tous les symboles se valent dès lors qu'il s'agit d'exprimer un sentiment, une position, une revendication. Où cela nous mène-t-il ? Spontanément, je n'en ai pas la moindre idée. Il faut s'en inquiéter et y réfléchir.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h33 | Comments (2)

Retour sur une extorsion

Dans Le Temps de ce jour, on trouve une colonne écrite par Marc-André Charguéraud, un historien qui publie un nouveau livre consacré à l'affaire des fonds en déshérence (La Suisse lynchée par l'Amérique, éditions Labor et Fides), 4 ans après un autre ouvrage consacré au même thême (La Suisse présumée coupable, édition L'Age d'Homme). Son objectif est de démontrer comment la faiblesse d'un dossier a été compensée par l'aspect émotionnel issue d'une cause juste pour procéder à une véritable extorsion de fonds dont ont été victimes les banques suisses, et par ricochet l'ensemble du pays, avec la complicité de l'administration Clinton.

Cette affaire a laissé un goût très amer dans la population helvétique. Voici presque 10 ans, le pays s'est soudain vu accuser d'avoir conservé des sommes colossales dans ses coffres, appartenant à des victimes du génocide juif, et ainsi d'avoir profité de la Shoah pour s'enrichir sans vergogne. Rapidement, l'opprobre s'est étendue à l'ensemble de la société sous l'action des médias domestiques et d'une partie de la classe politique, qui y ont vu une opportunité pour démolir certains mythes gênants et favoriser certains arguments militants. Le Conseil fédéral, après une résistance initiale littéralement fusillée par la presse (Jean-Pascal Delamuraz et ses accusations de chantage), a totalement capitulé et laissé faire la manoeuvre.

Car il s'agissait bien d'une manoeuvre, en l'occurrence une opération d'information visant à orienter les perceptions pour obtenir un bénéfice politique et financier, en utilisant l'accusation morale comme arme principale. Les sommes versées par les banques suisses - 1,25 milliards $ - n'étaient qu'une obole au regard des profits qu'elles ont continué d'enregistrer aux Etats-Unis. Mais la Suisse et les Suisses ont subi un "devoir de mémoire" particulièrement revanchard, organisé par des historiens regroupés dans la Commission Bergier, et dont les travaux ont sciemment écarté une partie des informations existantes (comme les travaux du professeur d'histoire suisse contemporaine Philippe Marguerat) pour publier un rapport accusateur, aujourd'hui déjà largement discrédité.

La réécriture de l'histoire à des fins d'ambition personnelle, politique ou idéologique, a cependant ses limites : la fameuse Fondation de solidarité, lancée par le Conseil fédéral au plus fort des attaques contre le pays pour reprendre l'initiative sur le plan éthique, a été refusée par près de 50% de la population le 22 septembre 2002. Et si le rapport Bergier a été vivement accueilli dans l'instruction publique par la frange la plus militante des enseignants, toute cette manoeuvre a abouti à accroître la méfiance des citoyens à l'endroit des médias, de la classe politique, et même des institutions internationales.

Manipuler les perceptions publiques a donc un prix.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h37

24 janvier 2005

Envers et contre tout

Deux reportages saisissants et totalement distincts montrent le visage de l'activisme militant actuel, perdu dans ses multiples griefs et incapable d'articuler un message : un tableau souvent ironique dans La Liberté de Fribourg, sur la manifestation "festive" des anti-WEF à Berne samedi (et oui, ils n'auraient pas pu remplir la Place Fédérale !), et un récit complètement sardonique dans le Weekly Standard sur des protestataires anti-Bush à vélo dans les rues de Washington. En lisant cela, il est difficile de ne pas conclure à l'échec absolu et au ridicule consommé de ces manifestations, et de s'interroger sur l'ambition de leurs auteurs.

Ces dernières années, nous avons assisté à l'éclosion d'une créature étonnante : l'activiste sans cause. Il proteste à tout va, conteste mille et une choses, de l'emploi des carburants fossiles aux salaires des grands patrons (pardon, des top managers, comme le dit Bilan), des organismes génétiquement modifiés aux opérations militaires coercitives (ou non coercitives, cela importe peu), des sommets internationaux au renvoi des requérants d'asile déboutés (ou des sans-papiers, puisque "personne n'est illégal-e"), infatigable, indécrottable, imperturbable, prêt à poursuivre envers et contre tout sa marche transcendante, sa campagne révolutionnaire, son grand soir en plein jour. Mais pour faire quoi, pour défendre quelle solution, pour construire quelle réponse ?

Autre chose que des saynètes inoffensives, apparemment :

Les policiers engagés à Berne samedi pour contenir les manifestants anti-WEF ont procédé à 654 contrôles d'identité et à 84 arrestations. [...] Parmi les objets retrouvés sur les manifestants contrôlés figuraient des cocktails molotov, des jerricanes d'essence, des frondes, des pistolets d'alarme, des pétards, des sprays de couleur et des masques.

La vacuité des perspectives abaisse un brin le niveau du débat...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h35

Mise à jour de CheckPoint

Plusieurs articles ont été mis à jour sur mon site d'information militaire et stratégique CheckPoint :

Comment les médias aident la guérilla en Irak

La grande majorité des soldats américains déployés en Irak ont une perception des événements totalement différente de celle véhiculée par les médias. Un commandant de bataillon de l'US Army, le lieutenant-colonel Tim Ryan, dénonce les causes d'un mensonge permanent.


La Suisse peut-elle se passer d'avions de transport militaires ?

La récente tragédie en Asie du Sud, en replaçant le rapatriement de citoyens en détresse et le transport d'aide humanitaire sur la scène médiatique, remet en cause le récent refus du Conseil National d'approuver l'achat par l'armée de 2 avions de transport.


La réorganisation de l'armée dans le sud de la Serbie inquiète

À l'approche des négociations sur le statut final du Kosovo en 2005, Belgrade renforce sa présence près d'une frontière sensible et prévoit d'édifier une nouvelle base militaire entre les communes majoritairement albanaises de Presevo et Bujanovac. Beaucoup d'Albanais voient cette décision comme une menace ou une provocation.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h09

Du consommateur à l'acteur

Un excellent entretien de Xavier Comtesse, réalisé par Jan Marejko, a été publié ce matin dans L'Agefi. Directeur d'Avenir Suisse pour la Suisse romande, Xavier Comtesse a écrit un livre sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication (Sur la route du savoir, aux éditions Tricorne), et se distingue par une compréhension aiguë de l'effet de ces technologies sur la manière à la fois de consommer, d'échanger, d'apprendre et de s'informer. Extraits :

Nous sommes en effet au début d'une véritable révolution qui fait entrer le consommateur dans la chaîne de production de valeur. [...] Alors que la consommation, autrefois, rendait non seulement passif mais isolait les gens les uns des autres, comme le disaient non sans raison les soixante-huitards, c'est le contraire qui est en train de se passer. Etant de plus en plus active, elle fait se rencontrer les gens, les amène à externaliser leur savoir, les encourage à mieux s'exprimer et, finalement, à mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent.
[...]
De la même façon que la relation qui subordonnait le consommateur au producteur est en train de disparaître, la passivité de l'étudiant censé recevoir le message d'un professeur va elle aussi disparaître au profit d'échanges horizontaux. [...] Le rêve du siècle des Lumières est en train de se réaliser: une société d'individus responsables qui apprennent par l'échange et non par la parole doctorale d'un individu qui se prétend maître d'un savoir clos sur lui-même, et surtout d'un savoir qui, aujourd'hui, est tellement fragmenté entre diverses branches, entre diverses disciplines qu'on peut se demander s'il n'est pas en train d'égarer les esprits au lieu de les aider.

Voilà qui donne vivement envie de lire son livre !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h46

Alerte média : la Julie

Autrement dit, la Tribune de Genève, dont le responsable de la rubrique Opinion m'a proposé un texte suite à mon ramonage d'un éditorial sur l'engagement de l'armée à Sumatra, texte qui a paru samedi passé - sans que je le voie !

J'apprendrai à mieux me servir du site de la Julie. Promis !

Posted by Ludovic Monnerat at 11h24

Vers l'euthanasie stratégique

Plusieurs réflexions et échanges ont eu lieu ci-dessous au sujet du programme nucléaire iranien. Le problème de la non-prolifération a été abordé, avec son double visage, à la fois restriction salutaire des pires armements et préservation du monopole nucléaire ; on peut d'ailleurs noter que Mohammed El-Baradei, le directeur de l'Agence internationale pour l'énergie atomique, peine parfois à conserver sa mission à l'esprit et confond les deux éléments. La spécificité des ambitions iraniennes a également été soulevée, en particulier par rapport aux détenteurs actuels d'un arsenal nucléaire dans le sud et le sud-ouest asiatique. Pourtant, il me semble que l'aspect central reste celui de la dissuasion.

Pendant toute la guerre froide, les armements nucléaires avec l'ensemble de leurs vecteurs ont constitué l'épine dorsale de la dissuasion et du statu quo est-ouest. Les raisonnements qui prévalaient à l'époque ont d'ailleurs largement cours aujourd'hui, comme le rappellent les investissements de la France dans sa composante nucléaire. Pourtant, un facteur ne doit pas être oublié : l'URSS pouvait être dissuadée uniquement parce que ses dirigeants pensaient avoir tout à perdre d'un échange de missiles. L'idéologie constituait leur grande force et leur principale faiblesse, parce qu'ils étaient persuadés que le monde marchait inéluctablement vers l'idéal socialiste puis communiste, et qu'ils se trouvaient par conséquent du « bon côté » de l'histoire.

C'est d'ailleurs lorsque cette conviction s'est avérée manifestement fausse, durant la première moitié des années 80, que le risque de guerre ouverte entre le Pacte de Varsovie et l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord a été le plus élevé. Les dirigeants occidentaux de cette époque - Reagan, Thatcher, mais aussi Mitterrand - ont su rester fermes, braver les ires de la rue gauchisante (« Plutôt rouge que mort », criait-on alors) lors de la crise des euro-missiles et adapter leurs capacités de dissuasion. Il est d'ailleurs probable qu'un conflit conventionnel est-ouest, dès le milieu des années 80, aurait tourné à l'avantage de l'OTAN - comme l'a décrit Tom Clancy dans Tempête Rouge. Les Soviétiques eux-mêmes estimaient que la supériorité technologique occidentale rendait nécessaires les armes non conventionnelles.

En d'autres termes, la tâche de l'Occident voici 20 ans consistait essentiellement - même si peu l'ont pensé - à simultanément précipiter et accompagner l'agonie du bloc communiste. Et c'est à mon sens la même tâche qui nous attend aujourd'hui avec les mouvances islamistes, dont l'Iran est le constituant le plus solide. Avant les attentats du 11 septembre, la planète comptait 2 Etats islamistes : l'Iran et l'Afghanistan. Ce dernier ayant été rendu à sa population par des élections triomphales, il ne reste plus que les mollahs de Téhéran et leur révolution islamiste en panne pour jouir des outils qui demeurent l'apanage des Etats : les relations diplomatiques, les recherches scientifiques, l'appareil militaire ou encore l'exploitation des ressources. La nébuleuse islamiste sunnite qui gravite autour d'Al-Qaïda rêve encore d'accomplir une prise de pouvoir analogue à celle des chiites de Khomeini.

Je pense que les dirigeants iraniens n'ont aucune illusion sur leur sort et sur celui de leur idéologie, au vu des revendications croissantes et enthousiastes d'une jeunesse majoritaire et pro-occidentale, qui a accueilli avec euphorie le discours d'investiture de George W. Bush. Ils se sont donc lancés dans une course contre la montre endiablée, comptant obtenir par l'arme nucléaire une sanctuarisation de leur fief et un gel stratégique de la région ; en même temps, ils ont affirmé à plusieurs reprises qu'un échange nucléaire avec Israël serait certes dommageable pour le monde islamique, mais qu'il occasionnerait au moins l'éradication définitive de l'Etat juif. En d'autres termes, la bombe atomique et les missiles à longue portée forment l'arme de la dernière chance, celle qui doit être jouée pour l'emporter en définitive - fût-ce dans la tombe. Et les islamistes sunnites partagent sans aucun doute ce point de vue.

L'Occident doit donc être en mesure de procéder à l'euthanasie stratégique de l'islamisme, lui assurer progressivement une mort tranquille : vivre et laisser mourir. L'engagement féroce des islamistes contre des élections démocratiques en Irak montrent qu'ils ont parfaitement identifié la menace mortelle que font peser les libertés humaines sur leur idéologie totalitaire. Ils n'ont pas d'autre place dans le monde individualiste qui prend forme sous nos yeux que celle d'une secte archaïque et dispersée. Ils sont en train de perdre, et c'est cela qui les rend dangereux.

J'espère simplement que la Vieille Europe n'est pas autant moribonde.

COMPLEMENT I : La pression se maintient sur la question du programme nucléaire iranien, puisque le chef du Mossad vient d'affirmer que celui est devenu autosuffisant. Extrait :

He said Iran is currently in the most advanced stage among countries in the region aiming to become nuclear powers. It has the capability to produce industrial quantities of enriched uranium and is advancing with the technology that will enable it to produce military quantities. When this technology is achieved, the "path is clear" for its nuclearization, and this is excepted to occur at the end of the year. Dagan said that the Iranian program is therefore at an important juncture, and now is the time to put pressure on the government to halt its development.

Entre temps, sur The Belgravia Dispatch, on peut lire comment une éditorialiste vedette du New York Times manipule les propos de Dick Cheney pour donner l'impression d'une offensive militaire en préparation contre l'Iran. Un classique, puisque l'éditorialiste en question - Maureen Dowd - a vu sa méthode recevoir son nom, à savoir la "dowdification", qui consiste à extraire des propos et à les mettre en forme pour corroborer une ligne prédéterminée.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h32 | Comments (5)

23 janvier 2005

Irak : SMS contre insurgents

Cette dépêche d'AP montre une nouvelle facette de la contre-insurrection en Irak : les messages textuels des téléphones portables sont de plus en plus utilisés pour transmettre des informations à la police concernant les activités des insurgents. Depuis quelques mois, un numéro de téléphone pour des appels anonymes avait déjà été mis en place par la 1ère division de cavalerie US à Bagdad, qui a reçu plus de 400 appels, mais les SMS semblent une manière encore plus discrète de contourner les menaces mortelles pesant sur tous les Irakiens, dans le triangle sunnite, qui collaborent avec les forces de sécurité et les troupes de la coalition.

Bien entendu, la dénonciation anonyme - car les réseaux ne semblent pas permettre d'identifier la source - comporte toujours des risques considérables de manipulation, que ce soit pour instrumentaliser les forces de l'ordre en vue de régler des comptes, ou au contraire pour tenter de leur tendre un piège, comme cela s'est produit à la fin décembre. Mais cette méthode s'explique également par l'explosion des communications dans l'après-Saddam : selon l'Iraq Index (document PDF), le nombre d'abonnés au téléphone est passé de 833'000 à 2'152'000, dont un tiers de portables, alors que le nombre d'abonnés à Internet a pour sa part été multiplié par 10 (ils étaient 110'000 en novembre dernier).

Cette évolution modifie très largement les rapports de force dans un conflit de basse intensité : elle permet à la population, aux masses silencieuses et inquiètes, de contribuer sans grand risque aux efforts des forces de sécurité, et donc de réduire l'effet psychologique des assassinats et des attentats terroristes. La montée en puissance de l'individu, en soi un phénomène neutre, aboutit ici à favoriser la grande majorité d'Irakiens qui soutiennent leur Gouvernement provisoire et aspirent à la liberté. Et si l'on ajoute à cela la multiplication des antennes satellites dans les villes irakiennes, on mesure mieux la nature privée des échanges - et l'impossibilité pour les médias, surtout étrangers, de les appréhender.

La guerre en Irak est bien annonciatrice du siècle qui vient. Un conflit de basse intensité qui mêle le courrier électronique, les carnets en ligne (les blogs, quoi !), les sites sur la Toile, les téléphones portables avec SMS puis MMS ou encore les télévisions par satellite génère un environnement nettement différent des conflits précédents. On peut d'ailleurs imaginer qu'un système de vote électronique fiable réduirait drastiquement l'impact des attaques de la guérilla sur les élections à venir, et bien entendu susciterait d'autres actions pour déjouer celles-ci... Une raison supplémentaire pour s'efforcer d'étudier en détail ce conflit.

COMPLEMENT I : Dans un registre différent, les rapports de force après les élections sont remarquablement analysés par Chester, qui indique que la majorité chiite va probablement s'impliquer de manière décisive dans la réduction de la guérilla sunnite.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h14

22 janvier 2005

Un portrait révélateur

Le Monde tire aujourd'hui un portrait sympathique et intéressant de Florence Aubenas, la journaliste de Libération enlevée le 5 janvier dernier en Irak. Il décrit le parcours professionnel de ce grand reporter et écrivain, sa personnalité et ses habitudes. On sent la volonté d'illustrer la qualité, l'énergie et l'humanité d'une consoeur en danger de mort. Mais on voit également que Mme Aubenas n'est pas uniquement une journaliste "sans parti pris, avec le seul souci de dire la vérité et d'éclairer la réalité." Sans doute l'auteur de l'article ne s'en rend-il d'ailleurs pas compte.

Florence Aubenas a couvert une diversité impressionnante de sujets, en France, en Asie et en Afrique. Elle s'intéresse "surtout aux sans-grade, sans-parole ou sans-papiers", auxquels elle donne la parole en priorité. Elle présente son métier au cercle Gramsci (Limoges) ou devant les Motivé-e-s (Toulouse), deux collectifs d'extrême-gauche. Elle s'engage, conteste l'existence d'une pensée unique dans les médias, publie un livre - Résister, c'est créer - dans lequel elle affiche ses idées altermondialistes. En d'autres termes, elle est une journaliste-combattante qui cherche à améliorer le monde par un "autre regard", à éclairer sa réalité sous un angle donné, et donc à le changer.

Florence Aubenas a été envoyée par Libération en Irak pour y couvrir le conflit de basse intensité qui s'y déroule. Mais quelle est sa formation et son expérience en matière d'opérations militaires, de stratégie, de contre-insurrection ? De formation théorique, aucune à son actif : son parcours très littéraire l'a apparemment mené dans d'autres directions. Elle est allée en Algérie dans les années 90, sans que l'on imagine qu'elle ait pu avoir une connaissance autre que superficielle du conflit qui s'y déroulait (faute notamment de parler arabe); elle était à Kaboul à Noël 2001, après la fin des combats, et en Irak à l'automne 2003. Un parcours risqué et éminemment respectable, mais un peu court pour apprendre.

Cette examen critique d'une personne en danger peut sembler cynique. Il n'en est rien : on souhaite évidemment que Florence Aubenas soit libérée, avec son interprète irakien, et qu'elle puisse poursuive intacte sur le plan physique et psychologique sa belle carrière. Cela n'empêche pas le lecteur de se demander comment ses articles doivent être reçus, et quels risques de déformations doivent être pris en compte. A priori, Mme Aubenas mérite une confiance totale pour ce qui est de rapporter des propos, de favoriser l'expression des "petites gens", de décrire le quotidien et les préoccupations des individus. En revanche, compte tenu de ses orientations idéologiques et de son ignorance manifeste en matière stratégique, ses jugements et ses évaluations sur l'Irak n'ont à mes yeux qu'une valeur anecdotique.

Il ne faut pas confondre senseur, effecteur et décideur.

COMPLEMENT I : Le cas de Florence Aubenas est bien entendu pas isolé. On peut lire chez Tim Blair une déconstruction particulièrement pertinente d'un article écrit par une reporter du Washington Post.

Posted by Ludovic Monnerat at 23h15 | Comments (3)

L'enfer du Darfour

Tel est le titre d'un reportage de L'Express qu'il vaut la peine de lire pour mesurer l'ampleur du massacre qui se déroule dans l'inaction caractérisée de la communauté internationale. La politique de la terre brûlée choisie par le Gouvernement soudanais et appliquée par des milices sanguinaires qui pillent, détruisent, tuent et violent dans l'impunité générale est particulièrement insoutenable. Et pendant ce temps, on trouve des beaux esprits qui imaginent confier l'affaire à la Cour pénale internationale, comme si une quelconque justice - au demeurant non reconnue par le Soudan - pouvait éviter la décision politique consistant à intervenir pour mettre un terme à une tuerie qui fait 10'000 morts par mois !

Si l'on cherche à deviner quels remords contrits viendront demain nous hanter, le Darfour en fournit un aperçu édifiant. On ne fait rien, mais on est prêt à juger les crimes contre l'humanité lorsque ceux-ci auront été pleinement accomplis. Une sorte d'attaque postemptive qui calmera les consciences et ne troublera pas les fosses communes.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h24 | Comments (1)

Les héros de Sumatra

C'est le Blick qui l'écrit : les soldats suisses déployés en Indonésie sont des héros ! Evidemment, de telles effusions font toujours plaisir aux militaires, et le travail quotidien - 12 heures d'engagement pour les Super Puma - dans une chaleur étouffante mérite effectivement d'être signalé de façon positive. Cependant, porter aux nues un détachement qui fait avant tout son travail montre les excès, dans un sens comme dans l'autre, auxquels peuvent se livrer les médias. Les portraits des différents militaires engagés - ou des fonctionnaires du Département militarisés pour l'occasion... - permettent d'humaniser les missions de l'armée à l'étranger et favorisent l'identification à l'opération SUMA. En même temps, d'autres missions tout aussi difficiles passent complètement inaperçues, comme le travail des observateurs militaires dans des régions aussi peu hospitalières que le Congo ou la frontière israélo-libanaise...

On voit bien l'intérêt du Blick dans cette couverture : suivre l'élan de solidarité suscité par le tsunami - plus de 185 millions de francs récoltés par la Chaîne du Bonheur ! - et montrer l'engagement de l'armée d'une manière telle que le public en sera touché. En l'occurrence, l'intérêt de l'armée est parfaitement compatible, et les responsables de la communication de la Défense sont enchantés de tels articles. Il faut cependant imaginer ce qu'il se pourrait se passer si un incident grave survenait en cours d'opération : un militaire qui meurt de causes non naturelles, un accident qui cause des victimes dans la population civile, etc. Le registre de l'émotion est versatile et sans nuance. Comme toujours, seuls la vue d'ensemble et le contexte global donnent du sens à un événement particulier.

En tout cas, ces grands titres du Blick ("Die Schweiz ist stolz auf euch !") viennent vivement contredire Le Matin, dont le rédacteur en chef avait affirmé voici quelques jours "qu'envoyer quelques malheureux soldats non armés" pouvait "ficher par terre l'image du pays." Un commentaire acerbe et primesautier que son auteur doit certainement regretter...

Posted by Ludovic Monnerat at 7h39

21 janvier 2005

Les dérives de l'ONU

Les opérations d'aide humanitaire en Asie du Sud ont très largement disparu des journaux télévisés ou des premières pages. Pourtant, l'évolution de la situation mérite toujours d'être suivie, non seulement parce que les contingents militaires effectuent toujours un travail déterminant et préservent les conditions d'existence minimales des populations, mais également parce que l'Organisation des Nations Unies continue de démontrer ses capacités terriblement limitées dans la gestion de crises et son honnêteté intellectuelle restreinte.

Il faut presque se pincer pour le croire : c'est 26 jours après la catastrophe que l'ONU a établi un concept de base pour les opérations d'aide humanitaire et l'a fait approuver par les autorités indonésiennes. Et il suffit de lire le résumé qui en est fait pour se rendre compte que l'urgence ne semble pas précisément la priorité principale :

The overall concept was well received. Two TECHNICAL WORKING GROUPS (SEA transport and LAND transport) are to be formed in the coming week to align all information related to the primary relief delivery modes (GOI/UNJLC). Through these working groups information will be collated to better assess infrastructural/geographic obstacles. Subsequent to this the UNJLC with the GOI will seek solutions to the road deterioration/capacity on major relief routes; as well as identify coastal access issues/solutions.

Les besoins restent pourtant considérables : on recense au moins 350 camps de refugiés sur la péninsule d'Aceh, de sorte que les demandes en termes de logement de fortune, de nourriture conservable et soins sanitaires exigent un effort majeur. En fait, les zones touchées par le tsunami en Indonésie nécessitent toujours des secours d'urgence transportés par les hélicoptères des contingents militaires :

West Coast of Aceh Province: The ICRC reports that small pockets of communities have yet to be reached by international assistance. WFP says that long stretches of the coast between Banda Aceh and Meulaboh have been totally destroyed, and that survivors would only be found some 5 to 10 kilometers inland. WFP says helicopters are the only way to reach these isolated communities.

Mais cela ne dissuade pas l'ONU de revendiquer la conduite et la paternité de toute l'aide humanitaire, comme le démontre cette invraisemblable factsheet concoctée son Bureau pour le coordination des affaires humanitaires, qui ne mentionne pas une seule fois l'action des contingents militaires. Je pensais voici 5 jours que la réalité avait fini par rattraper l'ONU, mais force est de constater que celle-ci tente toujours d'influencer les perceptions pour dissimuler son incroyable lenteur.

Ce qui n'est d'ailleurs pas très surprenant lorsque l'on constate l'attitude désinvolte et arrogante des fonctionnaires onusiens, si l'on en croit le témoignage d'un officier de marine américain servant sur le porte-avions USS Abraham Lincoln ; ce dernier met en effet équipages, hélicoptères, chambres et subsistance à leur disposition afin qu'ils puissent enfin procéder à des évaluations de la situation sur la côte ouest de l'Indonésie. Sans guère obtenir de marques de gratitude, bien au contraire.

Dans ces conditions, il n'y a guère lieu de s'étonner qu'une organisation fasse campagne aux Etats-Unis pour l'expulsion de l'ONU hors du territoire américain. La démagogie de sa publicité, qui conjugue l'arrogance de Jan Egeland (et son accusation de "pingrerie") aux vacances de Kofi Annan, trouve en effet dans les dérives onusiennes des arguments aussi faciles que percutants.

COMPLEMENT I : On peut lire cet article de L'Express pour mieux cerner l'offensive anti-ONU lancée aux Etats-Unis. L'auteur n'est pas parvenu à se départir entièrement d'une préférence onusienne, omet totalement le fond du problème (les tentations supranationales de l'ONU et la résistance de plusieurs nations) et décrit sous le terme de "haine irrationnelle et xénophobe" les réactions américaines sans même envisager que l'ONU puissent haïr les Etats-Unis, mais le texte n'est pas dépourvu d'intérêt.

COMPLEMENT II : On verse vraiment dans la schizophrénie, à l'ONU. Voilà que la "coordinatrice spéciale" de l'organisation pour l'aide humanitaire s'inquiète de voir le contingent militaire américain partir trop vite :

Today the UN and aid groups warned that it might be too early for the US military to scale-back its relief operations. UN special coordinator for tsunami relief, Margareta Wahlstrom says she hopes the US military would not immediately depart because relief operations depend on its "resources and machinery." Walhstrom says the need for foreign militaries will diminish in the coming weeks as the UN and other aid organizations organize their own transportation.

Autrement dit, cette brave dame reconnaît que l'ONU n'a aucune influence sur le déploiement et l'engagement des moyens militaires américains, alors même qu'elle prétend diriger les opérations, mais en plus elle avoue que leur rôle reste décisif, alors même que l'ONU évite soigneusement d'en parler dans sa communication officielle. Faudrait savoir !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h42 | Comments (6)

Le courage des soldats

J'ai pris le temps ces derniers jours de lire dans leur intégralité Les Etudes sur le Combat de Charles Ardant du Picq, dont je connaissais la pensée grâce à des extraits glânés au gré de plusieurs anthologies. Ce livre n'a guère vieilli, même si plusieurs considérations tactiques sont bien entendu périmées : le fait de prendre l'homme face au combat comme sujet d'étude assure naturellement la pérennité de l'analyse, et l'époque (1868) était déjà marquée par la mécanisation de la guerre, par la démultiplication des capacités destructrices. Les parallèles et différences entre combat antique et « moderne » du colonel du Picq restent presque intégralement valables. Et continuent de nourrir la réflexion.

L'un des aspects cruciaux de son propos reste la notion d'esprit de corps, la solidarité dans les rangs, la cohésion issue de la connaissance mutuelle, qui d'après lui constituent l'essentiel de l'organisation militaire. Ce ne sont pas les plus braves qui l'emportent, mais les plus tenaces, les plus disciplinés, les plus solidaires. Toute formation doit être articulée en vue de gérer la peur du combat, la crainte de la mort, l'instinct de conservation qui disloque et rend vulnérable. Pour Ardant du Picq, seule l'expérience et l'entraînement intensif permettent de donner aux soldats le courage qui leur sera nécessaire sur le champ de bataille pour supporter le risque de mourir. Surtout si la mort vient de loin et sans prévenir.

Cette importance centrale du courage et de l'esprit de corps amène naturellement à se demander si les priorités de l'armée suisse en matière d'instruction sont les bonnes. Même si certains excès en ce domaine ont été jugulés (cf AFUCO), les écoles de recrues et de cadres restent articulées autour de matières à inculquer et de normes de performance à accomplir, dans des programmes constamment surchargés qui obligent à rester superficiels. Le métier de soldat est à peine survolé, et les objectifs fixés par les échelons supérieurs et liés aux nécessités tactiques - atteindre le niveau compagnie - limitent au strict minimum l'instruction au niveau du groupe, voire de l'individu. On ne forge pas le courage des soldats. On fuit d'ailleurs ces facteurs psychologiques si difficiles à mesurer.

La nouvelle armée a certes réintroduit la notion d'éducation militaire, mais l'encadrement semble insuffisant pour l'inculquer de manière convenable. Et je me demande si nous n'avons pas perdu, par manque d'expérience et suite aux pressions civiles, des valeurs infiniment plus importantes que la maîtrise technique. En écoutant les anciens de mon bataillon aujourd'hui dissous, les officiers de ma génération restaient parfois sidérés devant les activités coutumières des cours de répétition dans les années 70 et 80, qui commençaient par des exercices de mobilisation générale (enfin, de mob G, quoi !) pouvant fort bien comprendre - du moins pour l'infanterie - une marche de 50 km avec paquetage complet avant la prise du dispositif assigné, toujours le même.

L'effort physique n'implique par la peur, mais il permet certainement de mesurer l'esprit de corps et le courage des formations. Or je me rappelle d'une semaine d'endurance vécue comme sous-officier à l'été 1996, dans l'école de recrues d'infanterie de Colombier, qui avait commencé par une marche de 35 km avec paquetage complet (quoique sans les armes collectives) sous une pluie intermittente et dans la boue glissante qui entourait le lac de Morat (si mes souvenirs sont bons, on marchait de Sugiez à Kleingurmels). La compagnie avait tant bien que mal réussi à rallier l'objectif de la marche, mais près de la moitié des soldats avaient été déclarés littéralement hors de combat, incapables de participer aux exercices du lendemain, et évacués par la voie sanitaire le surlendemain.

Ces recrues avaient été entraînées convenablement par des marches de 5, 10, 15 puis 20 kilomètres, et par l'habitude porter l'équipement régulier du fantassin. Le parcours avait certes été rendu difficile par les intempéries, quoique sa dénivellation ait été modeste. Mais c'est surtout le manque de détermination, d'orgueil et d'émulation qui m'avait frappé et qui expliquait ces défaillances nombreuses, et limitées à des hommes du rang pourtant pas pires ou meilleurs que d'autres. Dans ces conditions, on peut légitimement se demander ce qu'il serait advenu au cours d'une situation de combat, et donc s'interroger sur les capacités réelles de l'armée. Nous avons certainement l'équipement, les connaissances et les bases légales pour défendre le pays. Mais qu'en est-il du moral ?

Généralement, on part du principe qu'en cas de guerre menaçant la survie de la nation, les Suisses retrouveraient instantanément la détermination de leurs ancêtres et feraient front sans discontinuer. En d'autres termes, on estime que l'importance des enjeux suffirait à générer les ressources et les actions nécessaires, que les causes à elles seules produiraient les effets demandés. Je crains qu'il ne s'agisse là d'une illusion. Nos soldats font tous les jours preuve d'une générosité et d'un engagement remarquables, et pour rien au monde je n'échangerais l'armée de milice contre une armée de métier ; mais il y a une grande différence entre protéger des installations durant le WEF, crapahuter à Walenstadt sous le feu unidirectionnel des mitrailleuses ou distribuer des vivres à Sumatra, et affronter la mort pour remplir sa mission.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h55 | Comments (2)

20 janvier 2005

Le discours de Bush

Je viens de regarder le 19h30 de la Télévision Suisse Romande (TSR), qui a consacré à l'investiture de Georges W. Bush un reportage - comme toujours - centré sur l'accessoire, soit les cérémonies à coloration texane. Le discours prononcé à cette occasion représente pourtant une déclaration d'intention de première importance. Le commentaire de l'ineffable correspondante de la TSR aux Etats-Unis, Françoise Weilhammer, est - comme toujours - d'une affligeante inexactitude, parlant de "présidence qui se rêve impériale", de "conquérant de la liberté" alors que rien n'évoque ou ne mentionne cette notion de conquête.

Mais il y a plus grave : Mme Weilhammer fait croire à son auditoire captif - il y a une seule chaîne de télévision romande, qui plus est publique - que ce discours n'amène rien de nouveau. En fait, ce texte mérite d'être analysé en détail et comporte des éléments significatifs, comme l'indique ce bref extrait :

Today, America speaks anew to the peoples of the world:
All who live in tyranny and hopelessness can know: the United States will not ignore your oppression, or excuse your oppressors. When you stand for your liberty, we will stand with you.
Democratic reformers facing repression, prison, or exile can know: America sees you for who you are: the future leaders of your free country.

Il faut en prendre conscience : l'antiaméricanisme constitue un danger pour l'Europe dès lors qu'il empêche toute analyse objective et fausse l'appréciation de la situation. D'ailleurs, ce discours sera certainement perçu d'une manière très différente selon les continents... Raison de plus pour le lire soi-même et en tirer les enseignements qui s'imposent.

COMPLEMENT I : On trouvera deux commentaires diamétralement opposés à ce discours qui illustrent la diversité des médias américains - avec l'hebdomadaire de gauche The Nation et l'hebdomadaire de droite The Weekly Standard. L'un dans l'autre, ils fournissent une bonne image des aspects saillants et contradictoires de cette déclaration d'intention.

COMPLEMENT II : L'une des meilleures analyses lues depuis 2 jours sur ce discours d'investiture est en fait un parallèle historique avec la présidence de William McKinley, marquée par l'incident du Maine, la guerre hispano-américaine, les victoires à Cuba et aux Philippines, et la contre-insurrection sur une partie de celles-ci qui a coûté la vie à 4000 soldats américains. Plutôt intéressant !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h51 | Comments (8)

Alerte à la folie furieuse (3)

La cérémonie d'investiture de Georges W. Bush et l'audition devant une commission du Sénat américain de Condoleeza Rice devaient immanquablement amener des dérapages haineux et irrationnels dans la presse. C'est le cas aujourd'hui dans Le Nouvelliste de Sion, où le très ardent Antoine Gessler se livre à quelques ellipses paranoïaques en guide d'éditorial. Extraits :

Reparti pour une seconde période de quatre ans à la Maison-Blanche, George W. Bush a conclu sans vergogne que sa réélection signifiait un chèque en blanc accordé à sa politique. [...] Que cherche M. Bush? La déclaration de sa nouvelle secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, qui a vu dans le tsunami qui a ravagé l'Asie du sud «une merveilleuse occasion pour la diplomatie américaine dans les pays musulmans de cette région» a choqué. Car elle a clairement démontré que sur tout investissement, même humanitaire, Washington attend un bénéfice en retour.
Dans ce contexte, les gouvernements trop indépendants gênent l'impérialisme de l'administration républicaine. Pour ancrer leur hégémonisme, les Etats-Unis ont besoin de découper le monde en ensembles géographiques distincts, plus facile à contrôler que des nationalismes jaloux de leurs prérogatives. Persuadé d'avoir hérité de Dieu le droit d'user et d'abuser des richesses possédées par les autres peuples, George Bush junior a reçu 48 mois supplémentaires pour tenter de faire triompher sa croisade.

Naturellement, on peut me reprocher de tirer sur ambulance ou de m'acharner sur un cas désespéré, puisque ce pauvre homme semble incapable de différencier un investissement d'une donation ou une politique écrite noir sur blanc d'un blanc-seing laissé à la discrétion d'un dirigeant. De toute évidence, il n'a pas non plus remarqué que le tsunami a offert une opportunité merveilleuse pour nombre d'initiatives diplomatiques et pour le resserrement de liens distendus par la discorde ou la méprise - aussi bien pour les Etats-Unis que pour l'Union Européenne, la Chine et bien entendu l'ONU.

Mais c'est bien cette vision intégriste et impérialiste de l'administration américaine, dépeinte en mal absolu face à laquelle nul n'est coupable, qui relève de la folie furieuse. Ecrire que le seul défaut de Saddam Hussein ou des ayatollahs iraniens consiste à faire preuve d'indépendance est une assertion qui verse carrément dans le révisionnisme ; on se demande comment M. Gessler interprète le fait que 80% des Irakiens affirment vouloir voter le 30 janvier prochain - s'il est encore en mesure de distinguer les nuances de la réalité parmi les clartés aveuglantes de ses obsessions.

Cela dit, si les médias préfèrent remplacer l'éclairage de l'actualité par la fulgurance des illuminés, peut-être l'intérêt commercial saurait-il expliquer pareille dérive. Dès lors que le public dispose d'un large choix en matière d'information, cela ne me dérange pas le moins du monde. Et si l'on cherche à mieux comprendre les enjeux et les conséquences de la politique américaine notamment par rapport à l'Irak, je recommande chaudement Au Risque du Chaos, le livre collectif rédigé par le Réseau Multidisciplinaire d'Etudes Stratégiques sous la direction experte de Joseph Henrotin.

COMPLEMENT I : On lira avec intérêt le commentaire de Thomas Friedman aujourd'hui dans le New York Times sur l'humeur des Européens avec la réélection de Bush. Et on ne manquera pas de noter, à la fin du texte, que les Iraniens semblent les plus satisfaits de cette réélection - au contraire de leur Gouvernement.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h21 | Comments (6)

Une vérité tronquée

Sur le blog de Chester, on trouve une analyse de la couverture donnée hier dans les médias américains aux 5 attaques à la voiture piégée menées en Irak, en sélectionnant 4 grandes sources. Il constate que 3 d'entre elles - dont l'agence AP, qui abreuve les organes de presse par milliers - ne mentionnent pas un fait pourtant important : toutes ces attaques ont été contrées par les forces de sécurité, et chaque voiture a dû être mise à feu de manière prématurée, sans atteindre la cible prévue. En d'autres termes, les faits sont sélectionnés pour retranscrire uniquement l'activité des terroristes, et non celle de leurs ennemis.

Cette vérité tronquée l'est d'autant plus que ces médias reçoivent de toute évidence les communiqués du Commandement Central américain, puisqu'ils s'appuient sur eux pour avancer le nombre de victimes - en l'occurrence 26 - de ces attaques. Cependant, seuls les aspects négatifs de ces communiqués sont pris en compte, et les aspects positifs comme les bonnes nouvelles sont systématiquement écartés des compte-rendus de l'Irak. A la longue, cette manière de focaliser l'attention du public sur une partie seulement des événements équivaut à une tromperie caractérisée, dont les médias sont d'ailleurs eux-mêmes victimes puisqu'elle les intoxique constamment.

Je vais mettre prochainement en ligne sur CheckPoint la traduction d'un article écrit par un officier américain actuellement déployé en Irak qui analyse en détail les distorsions et les manipulations de la couverture médiatique. Mais ce dont il faut prendre conscience, c'est que l'impact de celles-ci peut avoir des conséquences graves en Europe s'il amène nos dirigeants à prendre des décisions erronées quant à l'évolution du Moyen-Orient. Espérons que les services de renseignements fournissent une image complète et réaliste de la situation.

COMPLEMENT I : On notera avec intérêt que 4 de ces attaques à la voiture piégée se sont toutes produites en 0700 et 0830, heure de Bagdad, ce qui confirme l'analyse mentionnée ci-dessus, selon laquelle les attentats sont programmés pour être couverts par les informations télévisées matinales des chaînes américaines. Par ailleurs, les communiqués de la Force Multinationale montrent bien toute l'activité qui est ignorée par les médias grand public.

COMPLEMENT II : L'indispensable Chrenkoff s'est donné la peine de faire un décompte, via Google News, de la couverture médiatique de l'Irak selon les aspects positifs et négatifs mis en avant. Il montre ainsi qu'il y a 4867 articles ou reportages négatifs consacrés directement à l'Irak (à l'exclusion de sujets touchant les Etats-Unis en rapport indirect avec l'Irak), 407 articles ou reportages positifs - soit moins de 8%. Mais le plus choquant reste le fait que 761 items traitent des activités en général et des déclarations des insurgents, à l'exception des attaques et attentats (1992 items), contre seulement 16 items pour les succès de la coalition contre les insurgents. Alors que ces succès font l'objet de plusieurs communiqués quotidiens de la coalition...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h49 | Comments (1)

19 janvier 2005

Asie : premières rotations

Les opérations d'aide humanitaire se poursuivent en Asie du Sud, et les actions initiées par l'ONU semblent lentement monter en puissance ; en même temps, on ne peut guère être satisfait d'apprendre que « les mécanismes destinés à améliorer la coordination entre l'ONU et les ONG sont en train de prendre forme ». La situation reste dramatique : près de 2000 corps sont déterrés chaque jour dans la province d'Aceh, et l'Indonésie a brusquement révisé le bilan des victimes à la hausse - de 115'000 à 166'000 morts. Un travail considérable de réhabilitation et de préservation doit encore être fourni avant de songer à la reconstruction.

L'action des contingents militaires reste cruciale : ce reportage de la Marine nationale l'indique clairement, surtout si l'on considère que la majorité des biens de première nécessité sont encore transportés par hélicoptère, contre 20% par camion. Les Super Puma suisses effectuent ainsi des vols Medan-Meulaboh-Calang-Banda Aceh-Medan pour transporter du matériel au profit du HCR, qui permet la construction de camps pour les dizaines de milliers de réfugiés que compte la région.

Cependant, les premiers retours sont annoncés, notamment par les Forces armées singapouriennes, qui vont prochainement redéployer leur contingent en ne laissant sur place que des hélicoptères lourds, ainsi que par les Etats-Unis, qui effectuent une rotation entre le navire d'assaut amphibie USS Bonhomme Richard - qui emmène ses Marines en Irak avec son groupe - et son sister-ship, l'USS Essex, qui revient seul du Golfe. On peut donc voir une rotation entre les premiers arrivés sur les lieux et les détachements dépêchés plus tard, notamment d'Europe.

Posted by Ludovic Monnerat at 20h18

Non conformisme british

Lire des éditorialistes originaux, intelligents, rationnels et stimulants est malheureusement une chose assez rare. C'est pourquoi je rends chaque semaine visite à Spiked, un site britannique dont les plumes sont à la fois piquantes et élégantes. Exemples récents :

Bonne lecture !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h50

Les options face à l'Iran

On trouve sur StrategyPage une très bonne analyse des options disponibles pour les Etats-Unis face à l'Iran et sa marche vers l'arme nucléaire : l'attaque aérienne pour interrompre ou ralentir le programme, et le changement de régime pour y mettre un terme - que ce soit par la subversion ou par l'invasion. L'auteur conclut en affirmant que les dividendes de la paix perçus durant les années 90 ont un prix élevé :

The options against Iran are limited, in large part due to the "peace dividend" of the 1990s, in which eight active-duty and four National Guard divisions were disbanded. [...] The Air Force and Navy suffered similar cuts (the navy lost over 200 ships, including three carrier battle groups, and the Air Force lost a dozen fighter wings and retired the entire force of FB-111A and B-52G bombers). The peace dividend is proving to be very costly three years into the war on terrorism.

Ce qui pose la question très ardue de la planification stratégique en temps de paix, c'est-à -dire entre deux conflits. Les Forces armées américaines ont procédé à un dégraissage massif sur la base de la stratégie dite des 2 conflits majeurs : se tenir prêt en permanence à repousser simultanément une attaque de l'Irak et une attaque de la Corée du Nord. Les plans n'avaient pas pris en compte le fait de mener des offensives en Irak et en Afghanistan, qui mobilisent actuellement près de 200'000 hommes, et donc n'avaient pas imaginé la guerre globale qui a lieu aujourd'hui. Pour leur part, les pays européens n'avaient pas pensé devoir déployer en permanence plus de 50'000 hommes pour des missions de stabilisation.

Mais le manque d'options n'est pas une cause d'inaction, simplement une limitation de la surprise, de la flexibilité ou de l'efficacité des actions. Quelles sont aujourd'hui les options stratégiques de l'Europe face au problème iranien ? Voilà une question à laquelle il serait souhaitable de répondre. A condition d'admettre qu'un Iran nucléaire puisse un problème, naturellement...

COMPLEMENT I : Cette dépêche de UPI sur l'entraînement de forces spéciales américaines et britanniques au Pakistan, avec apparemment un intérêt particulier en direction de l'Iran, est particulièrement intéressante. Quelle que soit la véracité de ses affirmations, elle participe à une pression et à un bruit croissants.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h59 | Comments (3)

Le commandement militaire futur

Le dernier numéro de la revue Doctrine, publiée par le Centre de doctrine d'emploi des forces de l'Armée de terre française, comprend un article (au format PDF) qui fournit une approche prospective du commandement. Rédigé par le lieutenant-colonel Patrick Raux, ce texte résume une partie des réflexions de fond faites en France sur l'avenir des opérations militaires, et des effets devant être exercés. De ce fait, il constitue une véritable exploration conceptuelle sur les fonctions opérationnelles des armées et vise à définir une articulation nouvelle, susceptible de dépasser la vision purement capacitaire et symétrique des conflits traditionnels :

Le fonctionnement d'une force, quelle qu'elle soit, repose, dans une approche anthropomorphique, sur quatre fonctions fondamentales vitales qui s'articulent autour d'une seule fonction primaire : la fonction « opérer ». Ces fonctions fondamentales interagissent entre elles et sont : commander, informer, déplacer et préserver.

Cette taxonomie est résumée sous la forme d'un schéma d'une certaine complexité, axé autour du concept de foudroyance, mais qui distingue également entre l'emploi des forces en situation conflictuelle - l'engagement - et non conflictuelle - l'action. On retrouve donc ici la poursuite des réflexions sur la maîtrise de la violence et sur la nécessité de varier les effets pour adopter la proportionnalité recherchée. Au demeurant, cette terminologie est préférable à celle de l'armée suisse, où l'influence germanophone nous a amenés à faire de l'action un terme générique recouvrant l'engagement et l'opération.

Mais l'articulation conceptuelle de cet article, qui reste certes un document de travail, pose un certain nombre de problèmes. En premier lieu, on n'y perçoit pas de différence entre l'échelon opératif et l'échelon tactique dans la manière de penser l'emploi, comme si la traduction des objectifs stratégiques en ordres pouvait se faire d'un seul tenant. Ensuite, les notions de supériorité - décisionnelle, cohésive, cinétique et énergétique - sont exagérément abstraites, car elles découlent directement de la confrontation des fonctions opérationnelles ; une méthode plus logique aurait consisté à confronter les ressources effectivement en jeu, car les acteurs impliqués peuvent avoir une gamme de fonctions très différente l'une de l'autre.

Néanmoins, toute démarche visait à élargir cette gamme au sein des armées est la bienvenue, et les réflexions en cours dans l'Armée de terre sont dans ce sens très positives.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h29 | Comments (1)

Une contre-insurrection classique

Le journal Stars and Stripes est certainement l'une des meilleures sources pour obtenir des comptes-rendus factuels et dépassionnés sur les activités des Forces armées américaines. Produit pour un public militaire largement captif, il se contente de décrire le quotidien des différentes unités, et forme ainsi à la longue une image d'ensemble très réaliste - et très éloignée des médias grand public. On en trouve un excellent exemple avec ce reportage sur la 2e brigade de la 2e division d'infanterie déployée actuellement à Ramadi.

Le texte décrit la situation telle qu'elle est vue à l'échelon de la brigade, et fournit de nombreux faits pour appuyer ou nuancer cette analyse. Il montre surtout que les officiers US sont pleinement conscients d'être au coeur d'une contre-insurrection classique, qui exige du temps et des efforts quotidiens pour progressivement prendre l'avantage. Les élections constituent ainsi une étape cruciale dans un processus long et pénible, qui a amené la brigade à perdre 36 soldats de la brigade - soit 1% de ses effectifs. Mais l'initiative est entre ses mains :

"Four months ago, we were doing 'movement to contact' patrols every day. We were an obtrusive presence," Col. Gary S. Patton, brigade commander, said Saturday. "Now, we've established a security base in the city, and we're doing more precision raids. We're getting good intel from the local population. When we first got here, that wasn't happening."
Patton points to two recent examples. Last week, acting on a tip, 2nd Brigade forces swept up 20 "named targets" in a single raid. A few weeks earlier, members of the unit performed something even more unthinkable when they first arrived. "We staged ambushes out of people's houses and killed nine-man terror squads," Patton said. Before, he said, someone would have alerted the insurgents to their presence.

Cependant, les actions offensives et la sécurité fournie par les mesures défensives ne sont pas décisives dans ce type de conflit. L'essentiel consiste en effet à restaurer et à préserver la normalité du secteur d'engagement afin d'obtenir le soutien de la population :

The brigade, which includes 3,500 soldiers, has completed $1.5 million worth of civil projects during that time and helped create 800 new jobs, officials said. Universities and schools opened on time this fall, and city officials are returning to their jobs.

En définitive, les officiers de cette brigade affichent un optimisme prudent : ils ne voient pas encore la lumière au bout du tunnel, mais ils ont effectué des progrès importants et connaissent les intentions comme les moyens de leurs adversaires. Et seuls des articles qui rendent compte de cette situation à la fois complexe et claire dépassent l'information brute pour livrer une véritable connaissance au lecteur.

Posted by Ludovic Monnerat at 0h11

18 janvier 2005

WEF : le discours de la violence

Le Forum économique de Davos commence la semaine prochaine, et le façonnement des perceptions publiques fonctionne à plein régime. Grâce à leurs fidèles relais dans les médias, les opposants au Forum tentent en effet de justifier par avance les violences issues de leurs rangs ; ils s'appuient pour ce faire sur les restrictions imposées par la ville de Berne à leur grande manifestation pour annuler celle-ci et crier au bafouement des droits élémentaires. Leur message est on ne peut plus clair : ce sont les forces de l'ordres qui sont dangereuses.

« L'Exécutif avait décidé de militariser la ville. Nous étions donc en souci pour la sécurité de nos militants », complète depuis Genève Alessandro Pelizzari, secrétaire d'Attac Suisse, qui a participé à la discussion de dimanche soir. Selon lui, le scénario des autorités augmentait sérieusement les risques de confrontations. [...] Mais les Black Blocks ne rêvaient-ils pas d'en découdre avec les forces de l'ordre? « Il faudrait savoir qui ils sont vraiment. Des membres de la coalition ou des infiltrés contrôlés par la police »

Les responsables de l'Alliance anti-WEF, qui rassemble une trentaine d'organisations militantes, n'ont donc pas peur des paradoxes : alors qu'ils visent à empêcher la tenue d'une manifestation publique, ils protestent contre toute entrave à leur propre manifestation. Et le lieu accordé pour celle-ci n'avait rien d'anodin ou d'excentré : la Place Fédérale, juste devant le siège du Gouvernement et du Parlement. Visiblement, un lieu pareillement idéal pour faire passer un message politique, directement sous les caméras des médias tout proches, ne satisfait guère nos militants altermondialistes.

Mais le plus intéressant reste le fait voir à quel point ce message est retransmis, confirmé et amplifié par certains journalistes, comme le fait Vincent Bourquin dans 24 Heures, qui s'est fendu d'un éditorial enflammé dans lequel il crie au non respect des droits les plus fondamentaux. Extraits :

L'Exécutif bernois voulait faire de même avec les anti-WEF. Les «parquer» durant quelques heures sur la place Fédérale, sans les laisser défiler dans les rues de la capitale. Des pratiques pas très éloignées de certains régimes totalitaires.
Le droit à la liberté de manifester est donc clairement attaqué par une municipalité, pourtant majoritairement à gauche. Et cette décision crée un dangereux précédent: à l'avenir sera-t-il encore possible de manifester à Berne? C'est loin d'être sûr. [...]
Des débordements étaient prévisibles. Mais la décision des autorités bernoises pourrait bel et bien générer des réactions beaucoup plus violentes encore.

On n'est pas loin ici de la folie furieuse que je prends plaisir à exposer sur ces pages, n'était ce fond idéologique tellement évident qui tord le sens et les perceptions : le droit de manifester est confondu avec le droit de manifester n'importe où et n'importe quand, les restrictions décidées par des autorités élues sont une incitation à la violence et le présage d'une tyrannie future. Aucune logique n'apparaît dans ces propos qui dégoulinent de militantisme d'extrême-gauche. Mais le camarade Bourquin aura fidèlement reproduit la ligne du parti !

Peut-être se trouvera-t-il une bonne âme à 24 Heures pour expliquer à ce malheureux garçon que le journalisme ne consiste pas à servir de porte-parole pour une mouvance politique, quelle que soit la légitimité ou non de sa démarche, mais bien de prendre du recul pour replacer objectivement les faits dans leur contexte. Et si possible faire preuve d'esprit critique : est-ce que par hasard les anti-WEF n'auraient-ils pas été effrayés par la perspective de devoir remplir la place Fédérale, sous peine de paraître - encore plus - ridicules ? Cette bonne place Fédérale, avec ses jolis jets d'eaux, peut accueillir facilement 30'000 personnes... Soit dit entre nous !

Posted by Ludovic Monnerat at 12h53 | Comments (3)

Médias : collusions inavouables

Un article explosif a paru aujourd'hui dans le Jerusalem Post, fruit d'une enquête certainement approfondie. Il analyse les liens qui existent entre les journalistes palestiniens travaillant pour des médias internationaux et l'Autorité palestinienne, et montre notamment que plusieurs journalistes sont payés par celle-ci ou sont liés à des partis politiques. Comment peut-on imaginer qu'un individu travaillant pour l'Autorité palestinienne puisse également fournir des reportages "objectifs" à une clientèle étrangère ?

Ainsi, il est particulièrement choquant d'apprendre que l'AFP, Reuters ou AP emploient des reporters qui s'engagent totalement dans la cause palestinienne, et que leurs textes ou leurs images sont intégrés et acceptés sans autre ; lorsque l'on sait à quel point les agences fournissent la base de l'information quotidienne, on mesure mieux les possibilités de manipulation que cela offre. L'article montre également comment les informations peuvent être sélectionnées pour systématiquement mettre un camp en accusation et négliger les aspects négatifs de l'autre.

Cependant, l'élément le plus intéressant reste le refus des médias de prendre en compte ce problème, et d'afficher la moindre transparence à ce sujet :

The AFP bureau chief in Jerusalem, Patrick Anidjar, refuses to discuss the issue, saying, "I don't understand why you have to have the name of our correspondents." Pressed to give a specific answer, he says: "I don't want our correspondents' names to go into print. I don't want to answer the question. What is this, a police investigation?"

Cette réaction hautement révélatrice n'est pas sans rappeler celle de CBS dans le Rathergate, pour laquelle l'idée même d'une infraction à la déontologie professionnelle était inconcevable. Aujourd'hui, tout l'édifice de la presse occidentale est basé sur la confiance, parce que les ressources manquent pour vérifier l'information reçue ou disponible : chacun reprend automatiquement ce que l'autre publie, pour être sur de ne pas manquer un sujet, et évite de se pencher sur la fiabilité des produits. Que cette confiance vienne à disparaître, et l'édifice menace de s'écrouler. Il n'est donc pas étonnant que la remise en question soit écartée brutalement.

Pareille attitude ne durera pas éternellement. Avec Internet, la vérification de l'information et la détection des manipulations sont grandement facilitées. Les consommateurs d'information deviennent également des producteurs. La valeur ajoutée n'est plus le fruit d'une caste professionnelle. Et les journalistes qui croient pouvoir s'abriter dans leur tour d'ivoire pour échapper à la critique et à l'exigence de transparence sont promis à des lendemains difficiles.

Quant aux produits des agences sur les événements en Palestine, force est d'admettre qu'ils deviennent a priori suspects. Sauf si elles prennent le soin de démentir l'article du Jerusalem Post et de démontrer l'objectivité de leurs employés.

COMPLEMENT I : Une réflexion intéressante sur l'évolution des médias et de leurs biais est disponible sur Evoweb, en particulier avec la phénomène de la rétroaction et l'accentuation des biais que l'on en redouter.

COMPLEMENT II : Cet exemple me paraît intéressant pour appréhender l'avenir. Une journaliste du New York Times peu informée fabrique un article médiocre, plein d'erreurs factuelles et de suppositions gratuites, enrobé de sensationnalisme pour attirer l'attention, et se fait littéralement défroquer - si j'ose dire - par plusieurs bloggers, certes de haute volée.

COMPLEMENT III : Le blog de Chester propose une initiative intéressante pour contourner le filtre des médias, en incitant les militaires américains en Irak à rapporter ce dont ils sont témoins. Extraits :

If you are in the US military and in Iraq, and have:
1. Witnessed an event that is notable, but not reported;
2. Been interviewed by a reporter, yet feel he didn't quite get it right;
3. Been present at a reported event, and have quite a different take on it than was reported;
4. Had someone in your unit awarded a Silver Star or higher for valor;
. . . then this is the series for you. Email what really happened to Chester, and include a link to any news stories you reference, or at least a headline and date, or a citation excerpt if a decoration was awarded.

Le résultat ne manquera pas d'être instructif. Pour les armées modernes, la difficulté à communiquer par l'entremise des médias est en effet devenue telle que les soldats sont devenus le meilleur vecteur pour transmettre au public, via les familles et les amis, la réalité des opérations. A suivre.

COMPLEMENT IV : On trouvera une autre analyse dévastatrice d'un article médiocre au possible de Stern sur Davids Medienkritik. Ou quand les stéréotypes racistes et sexistes sont acceptables lorsqu'ils sont appliqués à Condoleeza Rice.

COMPLEMENT V : Une version en français de cet article du Jerusalem Post est disponible sur le site www.upjf.org, grâce à une traduction de Menahem Macina.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h28 | Comments (2)

17 janvier 2005

Alerte à la folie furieuse (2)

Il fallait bien que cela se produise : le jugement du caporal Charles Graner et sa condamnation à 10 ans de prison pour les maltraitements infligés dans la prison d'Abu Ghraib devaient obligatoirement susciter au moins un éditorial délirant, tout dégoulinant d'anti-américanisme pathologique. C'est L'Express qui s'y colle aujourd'hui, sous la plume d'un certain Eugenio d'Alessio. Extraits :

Mais le sourire presque béat du condamné est encore lourd de mystères et d'interrogations. Car une fois le ou les salauds éliminés reste le système. Celui qui tire les ficelles et qui oblige parfois les individus à devenir précisément des salauds.
Charles Graner l'a répété à l'envi: il n'a fait qu'obéir à la hiérarchie militaire. Et comment pouvait-il en aller autrement sachant que le soldat est là pour exécuter et s'exécuter.
Ce qu'exprime le sourire du tortionnaire, c'est donc l'impunité dont jouit, pour l'heure, l'armée américaine en Irak. Laquelle mène une guerre raciale dominée par une idéologie antiarabe et antimusulmane radicale. Ce que nous dit le sourire du réserviste déchu, c'est que le système de gouvernement au cœur de cette entreprise n'est pas près, lui, de subir les foudres de la justice.

On se permet de remarquer que la condamnation du caporal Graner exclut précisément l'exécution d'ordres reçus des échelons supérieurs pour maltraiter les prisonniers. Et penser qu'un soldat se contente en permanence d'obéir montre une certaine méconnaissance de la réalité militaire. Quant à la notion de "guerre raciale", d'idéologie "antiarabe", il faut vraiment avoir un cerveau bien embrumé pour l'appliquer à la situation en Irak et à la lutte pour y instaurer une démocratie respectueuse des libertés individuelles.

De tels propos seront utiles dans quelques années pour comprendre comment et pourquoi les médias se sont totalement fourvoyés au sujet de l'Irak.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h37 | Comments (3)

L'Iran, plus que jamais

Le programme nucléaire iranien reste plus que jamais la préoccupation des Etats-Unis : un article du reporter Seymour Hersh dans le New Yorker affirme ainsi que des opérations clandestines sont en cours sous le commandement direct du Pentagone, avec des unités spéciales ultrasecrètes, afin d'exercer une action décisive sans recourir à une offensive militaire conventionnelle - ou sans laisser Israël effectuer celle-ci. Le coeur de l'article insiste sur les conséquences de cette subordination directe en vue de mener la guerre contre le terrorisme islamiste :

"It's a finesse to give power to Rumsfeld-giving him the right to act swiftly, decisively, and lethally," the first Pentagon adviser told me. "It's a global free-fire zone."

Il faut cependant signaler que les articles de Seymour Hersh sont d'une fiabilité douteuse, et que sa renommée date de la révélation de My Lai, ce qui ne rajeunit personne. Non seulement c'est un opposant féroce et déclaré à l'administration Bush, qui n'a pas hésité à déformer les faits pour mieux vendre ses prétendues révélations sur les sévices commis à Abu Ghraib (nombreux sont ceux qui croient encore que l'armée américaine n'a ouvert d'enquête et annoncé ces maltraitements qu'après ses révélations, alors qu'elle a informé le public des semaines auparavant), mais ses méthodes sont éminemment dangereuses : elles consistent à donner la parole à tous les mécontents, les frustrés et les évincés de l'administration américaine, sans les ancrer dans un contexte solide pour donner une vue d'ensemble exacte.

De ce fait, Hersh est particulièrement susceptible d'être manipulé à des fins politiques auxquelles il accorde son appui. Il s'est en particulier ridiculisé à l'automne 2001 lors de la campagne d'Afghanistan, lorsqu'il a accusé les opérations spéciales américaines d'avoir été un désastre et a propagé de nombreuses erreurs factuelles pour ce faire. Toutefois, ses propos sur l'Iran et les autres informations parvenues ces dernières semaines laissent penser qu'une action de première importance est en cours ou est considérée, et que ses opposants utilisent Hersh pour tenter d'alerter l'opinion publique et la classe politique afin d'y mettre un terme ou de l'empêcher. On peut notamment penser que la CIA tente par ce biais de préserver son monopole des opérations clandestines.

Quoi qu'il en soit, il apparaît logique que l'action indirecte et subversive soit retenue dans le cas de l'Iran : non seulement implique-t-elle bien moins de moyens et de risques qu'une opération aérienne de grande envergure, ou même qu'une offensive aéroterrestre durable, mais elle permet peut-être d'éviter le rapprochement autour du régime de Téhéran et cultiverait l'opposition que ce dernier suscite. Il faut espérer pour les Américains que leurs renseignements seront meilleurs qu'à propos de l'Irak...

COMPLEMENT I : Une récente étude d'un think tank israélien affirme que la destruction du programme nucléaire iranien est au-delà des possibilités de l'aviation israélienne, et que seuls les Etats-Unis ont les capacités de s'en charger. Mais l'auteur affirme également que désormais, l'Iran menace davantage les intérêts américains qu'israéliens, une manière de souligner que la démocratisation et la modernisation du Moyen-Orient trouvent à Téhéran leur principal obstacle !

COMPLEMENT II : Le Pentagone a publié hier un communiqué absolument dévastateur pour Seymour Hersh, en soulignant clairement que les sources uniques et anonymes ne sont guère une méthode adéquate pour traiter des sujets aussi complexes. Plusieurs éléments factuels sont ainsi réfutés, ce qui devrait être facile à contrôler, et donc indique que le Pentagone est sûr de son fait.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h06 | Comments (2)

16 janvier 2005

Asie : où est l'ONU ?

Trois semaines après le tsunami qui a ravagé l'Asie du Sud, qui assure la coordination de l'aide humanitaire et des moyens engagés dans le domaine du transport, du génie et de la logistique ? On se rappelle que l'ONU, par la voix de l'omniprésent Jan Egeland, avait émis la prétention exorbitante de diriger les opérations, avant de prendre conscience de la réalité et d'avoir une peine considérable à déployer des éléments au sol capable de jouer un rôle effectif. Habile à influencer les médias et obtenir des reportages favorables, l'ONU a ainsi été vilipendée et ridiculisée par des gens présents sur place.

Mais qu'en est-il aujourd'hui ? Il semblerait que l'ONU a consenti à diminuer ses prétentions et ne plus trop s'approprier les actions planifiées, préparées et exécutées par d'autres. Dans sa dernière conférence de presse, Jan Egeland a ainsi renoncé à ses rodomontades et montré la vraie dimension de l'engagement onusien :

The United Nations was now negotiating with governments for the use of 10 helicopters, which would slowly take over the work being done by the huge contingent of international military forces on the ground. Mr. Egeland commended the excellent relationship between relief organizations and those military assets in the region, and he had been pleased by reports that no government planned to pull out their assets until they could be assured there was no longer any need for them.

Finies les envolées lyriques sur le recours à des porte-hélicoptères : les Nations Unies ont enfin commencé à faire des demandes précises pour obtenir les moyens d'agir concrètement, et ont renoncé à faire pression sur les militaires américains et australiens pour qu'ils portent un drapeau bleu et se rangent sous le commandement de fonctionnaires cosmopolites. Le déploiement des 3 Super Puma suisses permet justement à l'ONU, par l'entremise du HCR, de commencer à mener de son propre chef des opérations aériennes qui restent indispensables dans la région. D'autres hélicoptères permettent à l'OMS de procéder à des évaluations précises de la situation sanitaire. La lente machinerie onusienne a démarré.

Pendant ce temps, les opérations militaires se poursuivent à un rythme constant. Le pont aérien mis en place par les Etats-Unis, Singapour ou encore l'Australie pour livrer des biens de première nécessité aux nombreux endroits inaccessibles continue de fonctionner à plein régime. Les navires déployés par la France et l'Allemagne sont arrivés sur zone. Pour sa part, l'Indonésie a renoncé à imposer une date limite pour la durée de ces opérations, reconnaissant aux Etats-Unis le rôle de "colonne vertébrale" pour toute l'aide humanitaire dans la province d'Aceh.

Le fonctionnement des principaux contingents militaires n'a pas changé : ce sont toujours les nations hôtes qui transmettent leurs besoins à la Combined Support Force 536, laquelle se charge de coordonner les actions en intégrant l'ONU à son fonctionnement, comme l'indique cette transcription :

Q Vicky O'Hara from National Public Radio. When you have a relief effort like this that involves assets from so many different countries, who coordinates the command and control component? Who plays traffic cop?
MR. FRY [de USAID, NDR] : That's -- I better take that one because that's one of the issues that -- one of the reasons I'm here.
There's a -- definitely within the military there's always the command-and-control element, but within the relief organizations and within any, in a sense, coalition partners or other countries that come to coordinate these relief efforts, I think that's the magic word, coordination. It's coordination, cooperation, consensus. There is no one in charge except for the host nation. They are in charge. They're ultimately responsible for this -- for coordinating -- I shouldn't say coordinating, but managing and telling us what to do and what their needs are, and if we can meet them we'll probably do that.
One of the unique things about CSF-536 is there's other representatives from at least five or six different nations' militaries as well as U.N. representatives, and we meet several times a day to coordinate our efforts with the understanding that we realize we have to work together to solve these problems and there is really no grand relationship other than coordination.

La réalité a donc fini par rattraper l'ONU. Il semble heureux qu'elle ait décidé de l'accepter et de mettre en sourdine son activisme pour s'occuper des populations dans le besoin.

COMPLEMENT I : Cet article fort intéressant d'un journal australien décrit la réaction des Etats-Unis et de l'Australie immédiatement après le tsunami, et comment le "groupe noyau" s'est formé. Une lecture hautement recommandée.

COMPLEMENT II : Décidément, il est difficile de trouver un impact positif de l'ONU dans la conduite des opérations ! Suite à la surcharge de l'aéroport de Banda Aceh, qui compte 200 mouvements par jour, les Forces armées indonésiennes ont décidé d'ouvrir un aérodrome militaire situé 20 km au nord, à Sabang, pour faciliter les choses. Pourtant, l'ONU a tenté de s'y opposer, et avoue maintenant le bienfondé de cette décision :

The opening of a military airport to relief planes on a small island off the northern tip of the devastated province of Aceh is easing the inflow of relief materials, a United Nations official said Monday.
"We were probably against the idea in the first instance," said Michael Huggins from the United Nations World Food Programme. "But it became obvious that the aid inflow was beyond the capabilities of the airports in Medan and Banda Aceh. It has taken a huge burden off the air shipments to Medan and Banda Aceh."

Une fois de plus, les capacités de l'ONU en matière de planification - notamment du transport aérien - sont vraiment lamentables. Ou faut-il comprendre que les fonctionnaires onusiens renâclaient à quitter leurs logements à Banda Aceh pour les baraquements spartiates d'un aérodrome militaire ? En tout cas, la plupart des vols de C-130 australiens se font désormais depuis Sabang.

Posted by Ludovic Monnerat at 17h10

La dissuasion nucléaire française

Une intéressante série d'articles a été publiée hier dans Le Figaro sur les armes nucléaires françaises, soit la modernisation des missiles et le débat des mini-bombes pour faire face aux menaces actuelles. Ce reportage rappelle que la France continue de dépenser des sommes considérables dans le maintien de ses capacités de dissuasion nucléaire, malgré l'abandon de la composante sol-sol : 8 milliards d'euros sont ainsi investis dans les missiles M51 d'une portée de 6000 kilomètres. Et ceci en dépit de contestations émises par l'opposition ou des doutes sur la finalité de telles armes.

A priori, investir autant dans des vecteurs conçus pour ne pas être employés peut sembler inutile. Pourtant, Isabelle Lasserre se trompe en affirmant que le débat sur l'évolution des doctrines nucléaires est tabou en France : il existe bel et bien, comme le montre les réflexions autour du concept de pressuasion - visant à rapprocher la prévention et la dissuasion - élaborées dans la revue Défense Nationale de janvier 2003, revue qui ne publie pas de texte sans approbation du Ministère de la Défense. La diminution des charges nucléaires et l'augmentation des charges classiques devraient ainsi permettre de rétablir la continuité de la dissuasion.

C'est donc vers une augmentation de la possibilité d'emploi de l'arme nucléaire que l'on se dirige, et non de sa probabilité : le problème reconnu de la prolifération et des installations souterraines diminue l'utilité de l'arsenal nucléaire actuel, conçu pour un conflit entre puissances nucléaires établies, et non pour faire face à des capacités nucléaires en mains d'Etats émergents ou de groupes non étatiques. Le développement des armes mininucléaires aux Etats-Unis, bien que suspendu par le Congrès, est ainsi observé avec attention de ce côté-ci de l'Atlantique. La nature même de la dissuasion exige la prise en compte des perceptions que véhiculent les capacités et les intentions.

Le nucléaire exerce-t-il une dissuasion sur les menaces asymétriques comme le terrorisme islamiste ? A une reprise au moins voici quelques mois, Michèle Alliot-Marie a indiqué que la France n'hésiterait pas à servir de l'arme nucléaire pour défendre l'Europe contre des Etats-voyous. La Grande-Bretagne a émis des intentions proches. Du côté américain, plusieurs analystes affirment que l'administration Bush a menacé de vitrifier La Mecque pour dissuader Al-Qaïda et Oussama ben Laden de poursuivre leur escalade d'attentats terroristes. L'emploi de l'arme nucléaire n'est donc pas un sujet tabou.

On peut se demander si ces affirmations sont fondées ou non, mais cela reste accessoire : le doute peut contribuer à nourrir la dissuasion. Et la force spirituelle qui meut une mouvance dispersée comme le fondamentalisme musulman reste suffisamment terrestre pour être vulnérable à l'arme nucléaire. La démarche française en la matière apparaît donc cohérente sur le plan capacitaire. Reste la volonté des dirigeants politiques...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h46 | Comments (10)

15 janvier 2005

Entraînement urbain en Israël

Ce reportage du Jerusalem Post décrit la nouvelle installation pour l'entraînement au combat en milieu urbain de Tsahal, située à la base de Tze'elim dans le désert du Neguev. Il s'agit apparemment d'un véritable village d'exercice, comprenant plusieurs rues et une casbah centrale, qui permet d'exercer cadres et soldats jusqu'au niveau compagnie avec des exercices à double action ou à munitions réelles. Les combattants palestiniens violant les lois de la guerre, les non combattants utilisés comme boucliers humains et les journalistes aux inclinations militantes sont représentés.

Il est intéressant de relever que sur la même base, un terrain plus vaste permet d'entraîner les formations jusqu'au niveau brigade dans un environnement de commandement et contrôle entièrement digitalisé. Pourtant, les offres de collaboration à d'autres armées sont restées sans réponse, alors que la nouvelle cité d'exercice suscite davantage d'intérêt, tout comme les compétences de Tsahal dans les conflits de basse intensité :

This March 7, the IDF is to hold its second annual conference on low-intensity conflict. According to Ron-Tal, hundreds of military and security officials from abroad have already registered for the conference, more than triple the number at last year's.
"We have a lot of experience with a certain type of terror, more than other countries, even more than the Americans," Ron-Tal says. "It's right to share this with other nations. We will share everything that is not classified, like new weapon systems, or certain operation methods we'd like to keep to ourselves."

Coopérer avec l'Etat d'Israël sur le plan militaire est aujourd'hui tabou pour de nombreux pays européens ; dans le cas de la Suisse, la coopération se poursuit à un rythme ralenti, et essentiellement parce qu'elle est très largement unilatérale - l'armée suisse ayant acheté plusieurs systèmes israéliens de première qualité. Pourtant, l'évolution de l'environnement stratégique amène aujourd'hui déjà les Etats démocratiques à se rapprocher les uns des autres, et la diplomatie militaire joue un rôle important dans ce cadre. Les Israéliens d'ailleurs en ont aussi besoin, comme un témoigne la fin de l'article :

As we make our way down one street to observe a company slowly advancing, a "Palestinian" gunman mingles among us and then opens fire at soldiers. The officer in command leads a charge in what turns out to be a nasty gun battle of blanks and shouts.
"You just killed all of the journalists!" says a brigade commander acting as an instructor.
"So what," replies the young officer.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h24 | Comments (2)

Armée : la surprise des médias

Le déploiement du contingent suisse en Indonésie, effectué hier, a reçu une couverture médiatique positive sous la forme de reportages montrant concrètement les activités des soldats. En revanche, les éditorialistes peinent à concilier leurs convictions avec la réalité des faits, soit celle d'une urgence humanitaire amenant une opération militaire multinationale inédite. Après Peter Rothenbühler hier, qui jugeait l'engagement suisse "un peu ridicule" et nuisible à l'image du pays, un certain Adrien Bron affirme aujourd'hui dans La Tribune de Genève que l'armée se rend enfin utile :

[O]n constate que pour la première fois depuis des décennies, l'armée suisse est engagée sur un terrain indiscutablement utile. Le déploiement des Super-Puma représente un effet spectaculaire de la réforme Armée XXI. En vigueur depuis un an, elle permet d'envoyer des troupes (limitées) à l'étranger sans suivre une longue procédure parlementaire.
Les opérations de maintien de la paix ne sont pas exemptes de critiques (hors de prix, ne seraient-elles pas mieux remplies par des civils?). L'engagement de l'armée pour les tâches de sécurité intérieure également (soldats insuffisamment formés). En revanche, la mission humanitaire semble cette fois inattaquable.

On ne peut qu'être surpris par l'incompétence crasse dont témoignent ces propos. Est-ce que leur auteur ignore les déploiements de 1999, lorsque l'armée a déployé en quelques jours 3 Super Puma en Albanie au profit du HCR ainsi qu'un détachement de sauvetage en Turquie - comprenant des soldats de milice - suite à un tremblement de terre ? Non seulement ces missions n'ont-elles pas attendu un débat parlementaire, mais elles répondaient également à une demande de tiers. De toute évidence, s'exprimer sur la chose militaire ne nécessite pas de connaissance particulière au sein de certaines rédactions.

Mais ces lignes laissent transparaître une vision encore plus éloignée de la réalité quant aux autres types de mission. Les civils seraient mieux adaptés aux engagements de maintien de la paix ? Allez donc expliquer cela à la MINUK au Kosovo, qui ne doit la poursuite de sa mission qu'à la réaction décidée et efficace de la KFOR suite aux émeutes de mars 2004, et alors que ses policiers ont subi ces violences. Au demeurant, j'aimerais bien savoir comment M. Bron compte remplacer les 18'000 militaires de la KFOR ou les 9500 de l'ISAF en Afghanistan. "Tout sauf des militaires" est une déviance bien helvétique.

De même, le rôle de l'armée dans la sécurité intérieure est considéré avec des oeillères étonnantes. Est-ce que Genève aurait pu être protégée comme elle l'a été - c'est-à -dire déjà insuffisamment - durant le G8 sans l'engagement massif de l'armée ? Est-ce que le WEF pourrait se tenir à Davos sans l'emploi de militaires par milliers ? Certaines lacunes ponctuelles en matière d'instruction, par exemple pour la garde des ambassades, n'empêchent pas l'armée d'être indispensable - et de répondre en cela au jugement puis aux ordres du Conseil fédéral, suite aux demandes des autorités cantonales.

En définitive, on doit admettre que ce M. Bron fait partie de ces journalistes viscéralement antimilitaires, incapables d'étudier le sujet mais prêts à le juger de façon définitive, qui peuplent encore les rédactions. Les faits l'intéressent moins que les mots. C'est dire à quel point il nuit à son métier !

COMPLEMENT I : Cet article du Matin dimanche retrace l'origine de l'engagement militaire, et montre que c'est la neutralité helvétique ainsi que la volonté du HCR de ne pas dépendre des Etats-Unis qui expliquent la demande d'appui faite à la Suisse. Il est intéressant de voir que ce texte ridiculise largement l'édito enflammé du rédacteur en chef publié 2 jours plus tôt... En revanche, ce qui est choquant à défaut d'être surprenant, c'est que le HCR n'a songé que le 3 janvier à demander l'appui d'hélicoptères, soit 8 jours après le cataclysme ! L'incapacité de l'ONU à réagir aux crises n'en est que davantage soulignée...

Posted by Ludovic Monnerat at 10h52 | Comments (2)

La malédiction du terrorisme

Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour vérifier l'impact limité des élections palestiniennes : non seulement leur participation modeste a montré la puissance des groupes terroristes ayant appelé à son boycott, contrairement aux louanges unanimes des médias, mais ces groupes se sont manifestés jeudi soir par un attentat suicide qui a abouti à la mort de 6 civils israéliens, et qui a nécessité une préparation considérable. Et l'on retrouve immédiatement les rôles traditionnels : Israël qui affirme avoir la preuve que l'Autorité palestinienne est liée à l'attentat, celle-ci qui condamne officiellement l'attentat sans s'attaquer à ses auteurs, et la majorité des médias qui refusent d'appeler le terrorisme par son nom.

Le conflit israélo-palestinien se poursuit donc, et la décision immédiate d'Ariel Sharon de fermer les points de passages de la bande de Gaza et de suspendre ses contacts avec Mahmoud Abbas montre bien que la tolérance visant à faciliter la campagne électorale a cessé. C'est simplement une nouvelle phase d'une guerre que la société palestinienne ne peut plus s'empêcher de mener : le fanatisme diffusé dans les écoles, la réécriture de l'histoire et la haine systématique ont fait du djihad l'exutoire à toutes les frustrations d'une population jeune, démunie et jalouse. Continuer à se battre est plus important que gagner. Quitte à prendre en otage tous ceux qui aspirent à une vie normale.

Le favoritisme choquant des journalistes occidentaux pour la cause palestinienne ne doit pas nous aveugler : le terrorisme palestinien est un chancre maudit qui menace bien plus que la sécurité des Israéliens. Il représente l'archétype de la fanatisation idéologique, à la fois nationaliste et religieuse, qui aboutit à justifier et à célébrer les pires horreurs. Et comme l'Etat d'Israël a pris des mesures radicales pour en limiter les effets sur son territoire, tout en admettant progressivement que le retrait des colons est inévitable, les groupes palestiniens finiront par mettre en cause la stabilité - ou l'existence - d'autres Etats.

On voit mal comment le Proche-Orient pourrait trouver une paix durable sans l'élimination du Hamas et du Djihad islamique, et sans l'intervention armée d'un Etat arabe pour ce faire. Voilà des mois que l'Egypte est sollicitée pour prendre en charge la Bande de Gaza, ce que ni Israël, ni la communauté internationale ne seraient en mesure de faire. Peut-être une solution négociée entre Etats offre-t-elle de meilleures chances qu'une feuille de route partant du principe utopiste que tout le monde souhaite la paix...

COMPLEMENT I : Le problème de la participation modeste aux élections palestiniennes sera-t-il admis par les médias qui ont clamé une mobilisation massive ? L'annonce de démissions dans la commission électorale palestinienne, suite aux pressions du Fatah pour artificiellement augmenter la participation, confirme en tout cas la manipulation survenue le 9 janvier.

COMPLEMENT II : L'attentat de jeudi soir a été célébré par les groupes terroristes palestiniens comme une victoire. Voilà qui en dit long sur leur volonté d'accepter une solution négociée. Et les membres du Fatah ont récemment exécuté deux "collaborateurs" présumés sans autre forme de procès. Les Palestiniens semblent condamnés à poursuivre une existence misérable...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h48 | Comments (6)

14 janvier 2005

Pas de drone pour Genève

La demande faite par l'Etat de Genève pour obtenir un drone de l'armée afin de détecter les incendies de voiture, après avoir suscité des commentaires pour le moins ridicules, a finalement eu un effet positif : les bases juridiques et les capacités techniques n'autorisent pas, pour l'heure, les Forces aériennes suisses à répondre positivement à une telle demande. Le risque à engager un ADS-95 sur la ville de Calvin pour des missions de longue durée - jusqu'à 4 heures - était tout simplement trop grand. Les accidents de drone n'amusent personne !

Dès que les textes légaux auront été adaptés et complétés, ce type d'engagement sera néanmoins une possibilité croissante. Il se trouve en effet que armasuisse a développé une console mobile pour le drone ADS-95 qui permet de fournir très rapidement une capacité de commandement et contrôle aux forces de sécurité, sans devoir installer à chaque fois les grandes antennes nécessaires aux liaisons entre l'appareil et l'emplacement où ses images sont reçues en temps réel. L'interconnexion des systèmes favorise ainsi la coopération civilo-militaire et élargit les options des exécutifs cantonaux, voire communaux. Même si l'emploi de minidrones offre encore plus de souplesse technique et permet d'utiliser des altitudes réduisant les coordinations dans l'espace aérien.

Certes, la Cité de Calvin a dans l'immédiat davantage de souçis avec ses policiers qui manifestent pour leurs salaires qu'avec d'éventuels avions sans pilote...

Posted by Ludovic Monnerat at 20h32

Tortionnaires à la Une

Un "Abu Ghraib suisse" : voilà comment la presse suisse dite de boulevard présente une affaire pour le moins trouble, qui voit un soldat autrichien se plaindre de "tortures" subies par des policiers militaires suisses lors d'une séquence d'instruction avant le déploiement d'un contingent SWISSCOY au Kosovo. Basé exclusivement sur un article du Blick publié le jour précédent, sans le moindre indice de vérification des accusations portées, l'article du Matin est complété par un éditorial particulièrement extrême de Peter Rothenbühler, qui accuse les soldats de nuire au pays :

Les actes commis par des soldats suisses sur un appointé autrichien renvoient une image détestable de la Suisse. On apprend que le pays de Dunant torture aussi bien que le pays de Bush. Götzendorf comme Abou Ghraïb. En peu de temps, nos boys de la Swisscoy ont atteint le niveau mondial.
[...]
Par pitié, arrêtons d'envoyer un peu partout quelques malheureux soldats non armés, capables de ficher par terre l'image de notre pays.

Axés sur le premier incident apparemment grave vécu par la SWISSCOY en plus de 5 ans de mission au Kosovo, ces propos ne sont pas crédibles. Au pire, seule l'Autriche est touchée par un tel incident, et les accrochages ou maltraitements entre soldats d'une même mission dans une caserne n'ont de toute manière rien à voir avec des maltraitements exercés sur des détenus en cours de déploiement. Les soldats suisses ont au contraire une excellente réputation à l'étranger, et constituent une image de marque de première qualité.

Mais cet intérêt pour l'image du pays amène également Peter Rothenbühler à critiquer le déploiement du contingent suisse en Indonésie, qu'il juge "un peu ridicule" et que la population suisse à son avis ne soutient pas. Au vu des critiques subies par d'autres nations pour leur engagement insuffisant, notamment en France, on ne peut qu'être surpris par cette affirmation ; quant à connaître l'avis des Suisses, seul un sondage permettrait de fournir quelques indications à ce sujet. Pourquoi Le Matin ne déciderait-il pas de poursuivre l'affaire et de commander un sondage des Suisses ?

On se demande d'ailleurs quelle image la Suisse pourrait avoir en refusant une demande d'appui du HCR pour contribuer à l'aide humanitaire en Asie du Sud. Peter Rothenbühler a la plume leste et critique, mais son goût pour la dénonciation l'a ici emporté sur sa capacité de raisonnement.

COMPLEMENT I : Cet engagement "un peu ridicule" semble en tout cas bienvenu par le HCR, qui vient de localiser des milliers de réfugiés isolés supplémentaires et qui compte sur les 3 Super Puma suisses pour augmenter notablement ses capacités de transport.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h57 | Comments (2)

13 janvier 2005

Asie : soldats armés ou non ?

Le Temps a annoncé ce matin que les soldats suisses déployés en Indonésie ne seraient pas armés, affirmant que Berne avait initialement prévu le contraire. Le texte laisse en effet penser que les quelque 50 soldats suisses, qui devaient initialement être armés pour leur propre protection, laisseront finalement leur fusil à domicile et seront protégés par l'armée indonésienne durant toute leur mission.

Il s'agit ici d'un contresens du à une mauvaise compréhension de la protection des forces. Imagine-t-on des soldats travaillant à des tâches logistiques ou sanitaires au profit d'une population civile et portant l'arme en bandoulière, prêts à prendre la position de contact à la moindre alerte? Non : la majorité au moins des soldats suisses travailleront sans la moindre arme sur eux. Mais si les conditions de sécurité devaient brusquement se dégrader, ce qui est tout à fait possible, les armes maintenues sous clef dans un conteneur dédié seront rapidement distribuées à la troupe.

Cette disposition est absolument normale : les Australiens ont certainement adopté une pratique identique, alors que les Marines débarquant en Indonésie ont laissé leurs armes à bord de leurs navires. Toutefois, ce qui est logique pour un soldat suisse ne l'est pas nécessairement pour un militaire australien, et moins encore pour un Marine américain : les islamistes désireux de "faire un carton" sur leurs ennemis trouveront des cibles nombreuses en Indonésie, et la présence d'un porte-avions au large ne peut en aucun cas les dissuader.

Dans ces conditions, est-il permis d'espérer que les ennemis des puissances occidentales fassent la différence entre un soldat américain, français, australien, hollandais ou suisse ? Déployer un contingent militaire helvétique en terre musulmane, même pour une mission d'aide humanitaire absolument limpide, rappelle que nous ne sommes pas indifférents au monde - et réciproquement. Dans une planète qui rapetisse au fur et à mesure que l'effet de la distance s'amenuise, la solidarité implique également la similarité.

COMPLEMENT I : Eh bien, les conditions ont changé le temps de mon bref déplacement ! Le contingent suisse sera effectivement dépourvu de toute arme, et le conteneur spécifique prévu initialement - et jusqu'il y a peu - restera bel et bien en Suisse. L'exigence très précise du Gouvernement indonésien ne laisse pas de choix. Et l'article du Temps était tout à fait correct, même si la politique suisse n'a aucun rapport avec cette décision.

En revanche, plusieurs autres contingents auront bel et bien leurs armes à disposition en-dehors du territoire national indonésien, et donc le plus souvent sur des bateaux croisant dans les eaux internationales.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h30

De retour d'Ajoie

Après 2 journées de travaux d'état-major aussi longues que 4 journées "civiles", mais passionnantes à tous points de vue, me voici de retour à mon domicile. Le Swiss Raid Commando avance à grands pas, et les inscriptions pour l'édition 2005 sont sur le point d'être ouvertes !

Posted by Ludovic Monnerat at 22h21

12 janvier 2005

Déplacement en terre ajoulote

La mise à jour de ce carnet sera quelque peu ralentie ces deux prochains jours, puisque je suis en service sur la place d'armes de Bure, dans le Jura. Le privilège de porter l'uniforme et de travailler à la planification du Swiss Raid Commando impose un certain éloignement de la toile et de ses informations...

Posted by Ludovic Monnerat at 13h38 | Comments (2)

11 janvier 2005

Mise à jour de CheckPoint

Plusieurs articles ont été mis à jour sur mon site d'information militaire et stratégique CheckPoint :

Asie du Sud : la plus grande opération militaire d'aide humanitaire

Les dégâts entraînés par le gigantesque raz-de-marée ont déclenché des déploiements militaires sans précédent dans la région, motivés autant par l'urgence humanitaire que par l'intérêt des Etats. Tour d'horizon.


Deux conceptions différentes de la civilisation

Les élections américaines ont rendu évidentes le décalage religieux entre les deux moitiés de l'Occident, c'est devenu une banalité que le dire. Mais ce décalage a toujours existé. Comment se fait-il qu'il ressurgisse aussi violemment à l'occasion des évènements actuels ?


La division allemande des opérations spéciales

Les forces spéciales sont un outil stratégique que les armées développent en réponse aux défis de notre ère. En Allemagne, une récente réorganisation a vu le rassemblement de forces spéciales et spécialisées dans une division.


Le cauchemar d'Oussama : des élections démocratiques en Irak

L'intervention du terroriste islamiste le plus célèbre contre les élections en Irak est pour l'analyste américain Ralph Peters un signe clair de leur importance, et du fait que la démocratie est bien la meilleure voie contre l'extrémisme.


De l'Europe à l'Inde : l'évolution des alliances américaines

Comme les déploiements militaires en Asie du Sud l'ont confirmé, les Etats-Unis et l'Inde sont aujourd'hui des partenaires très proches. L'éditorialiste indien Raja Mohan en explique les raisons.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h07

Participation modeste en Palestine

Les questions que je posais hier étaient bel et bien fondées : les chiffres officiels des élections palestinienne font état de 775'146 suffrages enregistrés. Le taux de participation claironné par les médias à la suite des dirigeants palestiniens n'était donc pas exprimé par rapport à la totalité des électeurs autorisés, comme le montre cette analyse, qui estime que 46,7% des Palestiniens se sont rendus aux urnes. Par conséquent, le "vote massif" que l'on a pu lire et entendre était - encore une fois - contraire à la réalité : avec moins d'un électeur sur deux aux urnes, les Palestiniens ne se sont que modestement mobilisés.

Cette réalité met une sourdine à tous les commentaires optimistes sur la supposée santé de la démocratie en Palestine. A ce sujet, le rapport préliminaire de la mission d'observation de l'Union européenne fournit des indications intéressantes, et souligne les défis qui attendent les Palestiniens - et l'homme qu'ils ont élu Président.

Posted by Ludovic Monnerat at 21h55 | Comments (2)

Le calvaire de l'ONU

Les opérations d'aide humanitaire se poursuivent en Asie du Sud, et la survie de dizaines de milliers de personnes dépend toujours de l'aide internationale. Largement coordonnées par les Etats-Unis, les actions des contingents militaires fournissent une contribution qui reste cruciale. A la date du 11 janvier, on pourrait cependant s'attendre à ce que l'ONU soit en mesure de concrétiser ses prétentions, et de commencer enfin à travailler efficacement au sol. Malheureusement, il n'en est rien, d'après le département britannique pour le développement, qui note à propos de l'Indonésie les éléments suivants dans son rapport quotidien :

In spite of reports that relief provision is gaining momentum, local media states that relief not yet reaching all needy areas on the west coast. Serious logistics bottlenecks. Estimated 35,000 unaccompanied children. Access still difficult to west coast and some other areas. Government and UN coordination structures building up - not yet in a position to provide firm and comprehensive coordination of the relief effort. Inter Agency assessments continue. Some sensitivities over the presence of foreign military and civilian staff. Security concerns persist.
Focus on reconstruction as well as on relief is a priority.

Le passage ci-dessus a été souligné par mes soins. Il est révélateur de la réalité telle qu'elle perçue sur le terrain par une partie au moins des acteurs, et il contraste avec l'arrogance de certains hauts fonctionnaires onusiens. Mais l'incapacité de l'ONU à agir dans une situation d'urgence devient chaque jour plus évidente, et ce tsunami pourrait bien être le calvaire dont l'organisation aura besoin avant d'être réformée en profondeur - ou avant de disparaître et de céder la place à une structure adaptée au XXIe siècle.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h32

Alerte à la folie furieuse

Nul n'ignore que la quotidien vaudois 24 Heures a pris un sérieux virage à gauche ces dernières années, ce qui est son droit le plus strict. En revanche, cette xénophobie consensuelle que l'on nomme antiaméricanisme le touche de plein fouet et amène périodiquement dans ses colonnes des éructations haineuses et irréelles qui rappellent à quel point le "Bush derangement syndrome" est répandu dans nos contrées.

Ce matin, c'est ainsi l'historien de l'art Michel Thévoz qui s'abandonne à un délire purement pathologique :

Les mêmes culs-bénits ne seraient-ils pas tentés de récidiver à propos du tsunami, qui nous reporte d'une certaine manière au déluge de la Bible? [...] Dieu aurait ainsi manifesté son courroux sans faire le détail, à l'instar de ses puissants alliés sur la Terre, Bush, Blair, Sharon, Poutine, qui n'hésitent pas à décimer une ville entière pour atteindre quelques terroristes présumés.
De fait, visiblement, George W. Bush reste prisonnier de cette logique de croisade contre le Mal. C'est un intégriste de la pire espèce, on le sait, qui prend la Bible au pied de la lettre, et qui se considère comme le bras armé de Dieu. Après la campagne contre l'Irak qui a assuré sa réélection, n'a-t-il pas tenté de rempiler en entraînant la même coalition dans la campagne humanitaire et en éconduisant pareillement l'ONU et les pays trop agnostiques? Il aura fallu que Colin Powell le raisonne et le dissuade d'attribuer au raz de marée une origine criminelle ou terroriste.
Quant à la réaction des pays occidentaux civilisés, évidemment plus éclairée, elle s'explique aussi par le caractère inédit du tsunami.

On se perd en conjecture pour trouver des faits et une logique dans ces élucubrations. Et au lieu de perdre du temps à raisonner, il vaut mieux se dire qu'un thérapeute spécialisé saurait trouver les mots pour apaiser M. Thévoz et lui permettre de poursuivre plus tranquillement sa vie, au lieu d'étaler sa folie furieuse et vaine.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h14 | Comments (2)

Le Rathergate en détail

La chaîne américaine CBS a fini par livrer son rapport sur l'émission 60 Minutes du 8 septembre dernier, qui accusait George Bush de favoritisme dans le cadre de son service militaire comme pilote de chasse. Ce document de plus de 230 pages a provoqué la démission de trois dirigeants et le licenciement de la productrice de l'émission ; un désastre pour la crédibilité des médias, pour cette conviction que les professionnels de l'information travaillent avec exactitude et objectivité dans l'intérêt du public.

Ce rapport ne constitue pas une accusation en règle de CBS ; il affirme en particulier, quoique sans le démontrer, qu'aucune préférence politique n'est à l'origine de cette affaire. En revanche, le rapport démontre que la productrice, Mary Mapes, a ouvertement menti à ses supérieurs, a écarté les informations qui contredisaient sa thèse, est entrée en contact avec un dirigeant principal de la campagne de John Kerry et a tenté d'influencer l'élection au profit de ce dernier.

Il est assez rare de prendre un journaliste en flagrant délit de manipulation politique, même si les rédactions comptent de nombreuses personnes qui, comme Mary Mapes, se sont engagées dans ce métier pour changer le monde. Avec le développement des weblogs, la probabilité de telles révélations a cependant massivement augmenté, et on lira avec intérêt les 2 sites qui ont le plus contribué à démasquer CBS, à savoir Power Line et Little Green Footballs. On notera que Power Line a été nommé blog de l'année par le magazine Time, avant tout pour son rôle dans cette affaire.

Les médias européens feraient bien de s'inspirer des déboires de CBS pour reconsidérer leurs processus de travail, leurs méthodes de vérification, leurs sources d'information et l'honnêteté des journalistes qui militent en interne pour une cause ou l'autre. Le Rathergate démontre que tout cela ne va pas de soi.

COMPLEMENT I : Pour en savoir plus, on peut consulter la compilation de liens réalisée sur PundiGuy.

Posted by Ludovic Monnerat at 11h43

10 janvier 2005

Palestine : succès démocratique ?

La grande majorité des médias ont aujourd'hui célébré sans mélange les élections palestiniennes, qui ont vu la victoire du supposé modéré Mahmoud Abbas, mais aussi tissé des éloges nombreux à l'endroit des Palestiniens :

"Les Palestiniens ont démontré hier une très grande maturité démocratique. [...] En se rangeant massivement sous la bannière de Mahmoud Abbas (Abou Mazen), la population n'a pas seulement élu un homme, elle a surtout dit, et avec quel enthousiasme, sa confiance dans la capacité de la démocratie à exprimer leur souffrance et leurs espoirs. Pour un peuple soumis depuis quatre ans à une occupation impitoyable, la leçon est exemplaire", écrit Pierre Meyer dans la Tribune de Genève.
"Les Palestiniens se sont rendus en masse dans les bureaux de vote dimanche pour élire le successeur de Yasser Arafat. [...] Dimanche matin, les électeurs n'étaient pas nombreux à se presser devant les urnes. Parce que l'Autorité palestinienne (AP) avait décrété un jour de congé dont beaucoup voulaient profiter? Peut-être. En tout cas, le taux de fréquentation des urnes qui était évalué à 15% est passé à 30% trois heures plus tard avant d'entamer une ascension exponentielle dans le courant de la soirée", explique Serge Dumont dans Le Temps.
Les Palestiniens se sont mobilisés massivement pour élire le successeur du chef historique des Palestiniens, Yasser Arafat. Dans toutes les villes des territoires palestiniens occupés, les citoyens ont fait la queue en famille devant les bureaux de vote. Les Palestiniens n'ont pas laissé passer cette occasion de choisir démocratiquement leur futur dirigeant et de s'offrir un nouveau départ après la mort du symbole de la cause palestinienne. [...] Environ 1,8 million de Palestiniens avaient le droit de participer à ce scrutin. La Commission électorale centrale (CEC) estimait hier soir la participation à 70%", raconte Patrick Saint-Paul dans Le Figaro.

Mais est-ce que ces appréciations visant à démontrer un succès démocratique incontestable correspondent à la réalité ? On peut, on doit en douter si l'on tient à l'honnêteté intellectuelle. Dès dimanche matin, et comme d'ailleurs le signale Serge Dumont, une faible affluence a été relevée aux urnes. Devinant que la légitimité de l'élection était menacée, le Fatah a alors exercé une pression intense sur la commission électorale pour prolonger de 2 heures l'ouverture des bureaux de vote, mais aussi permettre à n'importe quel Palestinien de voter n'importe où, ce qui constitue un changement non négligeable des règles en pleine journée de votation. Peut-on y voir la cause de l'augmentation "exponentielle" des bulletins ?

Qu'en est-il donc de cette participation, essentielle dans un tel scrutin ? Les envoyés spéciaux du Monde constatent "une affluence honnête" dans la bande de Gaza. Leur homologue du Figaro visite 2 bureaux : "sur 1 500 inscrits, nous n'avons eu que très peu de gens", entend-il au premier ; "sur 1 266 inscrits, nous n'avons pas eu plus de 200 personnes", écoute-t-il au deuxième - ce qui ne l'empêche pas de titrer "Gaza n'a pas boudé les urnes" ! En est-il de même en Cisjordanie ? Les accusations de fraude du Fatah et de manipulation des listes ne sont guère rassurantes.

Une participation de presque 70% comme annoncée serait certainement un succès démocratique. Mais si ces 70% s'appliquent aux 1,1 millions d'électeurs enregistrés initialement, et non aux 1,8 millions qui ont finalement été autorisés à voter, alors ce pourcentage tomberait à environ 42%, et la légitimité de ces élections serait pour le moins douteuse. Et le vote présumé massif des Palestiniens, que les correspondants sur place n'ont guère vu, ne serait qu'une chimère de plus suscitée par l'adhésion si répandue à la cause palestinienne au sein des rédactions.

On notera au passage que de nombreux correspondants francophones ont jugé que les forces de sécurité israéliennes entravaient fortement la capacité des Palestiniens à aller aux urnes, alors que les observateurs internationaux ont conclu au contraire, comme l'a relevé Michel Rocard :

"On ne peut pas dire que la présence de trois policiers se livrant à des contrôles soit une entrave à la libre circulation."

Affaire à suivre...

COMPLEMENT I : On peut lire ce matin dans 24 Heures un portrait de Mahmoud Abbas qui à l'honnêteté de rappeler que celui est un révisionniste, mais qui confirme surtout le problème de l'élection :

Le taux de participation parmi les quelque 1,1 million de personnes inscrites sur les listes électorales s'est élevé à 70%.

Et comme 1,8 millions pouvaient voter, ce taux tombe donc à 42%. Quand donc le nombre de suffrages sera-t-il annoncé ?

Posted by Ludovic Monnerat at 23h35 | Comments (1)

La pingrerie de l'Europe

Un jour après le tsunami qui a frappé l'Asie du Sud, et alors que l'ampleur de la catastrophe était loin d'être apparue, un haut fonctionnaire de l'ONU a jugé bon de reprocher aux nations développées leur « pingrerie » après les premières annonces de dons. Piqués au vif, les Etats-Unis ont immédiatement doublé leur contribution, et décuplé par la suite ; il peut être intéressant de relever que George Bush était alors en vacances, tout comme Kofi Annan, ce qui explique certainement leur lenteur à réagir dans les médias et à satisfaire leurs exigences (dans un autre registre, on notera que la Ministre suédoise des Affaires étrangères a jugé bon d'aller voir une pièce de théâtre le soir de la catastrophe, ce qu'elle doit à présent amèrement regretter).

Aujourd'hui, il est temps de se demander si ce n'est pas l'Europe qui devrait être accusée de pingrerie au vu des moyens somme toute restreints qu'elle déploie en Asie du Sud pour venir en aide aux populations touchées et réhabiliter leur environnement. Les promesses de dons sont en effet moins importantes en situation d'urgence que les hommes et femmes, les moyens de transport et les prestations logistiques disponibles sur place. Pour un article qui sera mis en ligne ce soir sur CheckPoint, j'ai ainsi procédé à un dénombrement des déploiements militaires effectués ou en cours dans la région, et la comparaison n'est pas favorable aux Européens. Et malgré l'orientation des médias, cela commence à se voir.

Globalement, on peut estimer le volume global de moyens militaires en action ou en transit à environ 80'000 hommes, 100 navires, 180 hélicoptères et 80 avions de transport, sans compter un pont aérien qui a impliqué près de 75 avions de transport supplémentaires. Sur ce total, l'Europe fournit à peu près 3100 hommes, 8 navires, 22 hélicoptères et 11 avions de transport, avec un levier aérien qui compte en tout 37 avions, mais dont moins d'une dizaine volent encore régulièrement aujourd'hui. C'est peu, surtout si l'on considère que 4 de ces navires et leurs 5 hélicoptères ont été retirés à la Task Force 150 engagée dans l'opération Enduring Freedom, alors que 2 autres - le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc, la frégate Georges Leygues et leurs 6 hélicoptères - devaient de toute manière croiser à proximité de la région.

Retirer des moyens à une force multinationale en cours de mission n'est pas une pratique bien considérée, loin s'en faut, au sein des armées. Et ceci d'autant plus que ce ne sont pas les navires, les hélicoptères et les soldats européens qui manquent, ni les tâches à accomplir, ni les bénéfices à en retirer sous forme d'expérience opérationnelle, de contacts multinationaux et bien entendu de réputation nationale. Les Etats-Unis pour leur part déploient 16'500 militaires, 27 navires, 90 hélicoptères et 42 avions de transport, et au moins un tiers de ces moyens n'étaient pas positionnés dans le Pacifique Sud lorsque la catastrophe s'est produite ; un navire-hôpital géant offrant 1000 lits a d'ailleurs quitté la Californie et ne sera qu'à la fin du mois dans les eaux indonésiennes.

Cette pingrerie européenne face à un drame de dimension planétaire et à une mission qui durera plusieurs semaines montre les limites du soft power. Les Européens peuvent être fiers de leur générosité, et les 1,5 milliards d'euros promis seront très utiles à long terme, s'ils sont effectivement versés et employés à relancer les activités économiques locales, et non renforcer l'assistanat des populations. Mais dans une situation de crise, c'est bien le hard power et la volonté politique de l'utiliser qui font la différence. Et la véritable démonstration militaire américaine qui se déroule depuis plus d'une semaine, et qui commence à être comparée avec le pont aérien sur Berlin, montre bien que la puissance se conjugue toujours dans ses 4 dimensions majeures - politique, économique, culturelle et militaire.

COMPLEMENT I de 2145 : L'article mentionné ci-dessus est désormais disponible sur CheckPoint. Pour compléter cette lecture, je vous conseille de consulter ce communiqué du Pentagone sur la conduite des opérations militaires en Asie du Sud. Comme je l'affirmais précédemment, les Etats-Unis assurent bel et bien le leadership des contingents militaires en coordonnant leurs actions :

Initially the responsibility of a U.S. joint-service task force, the job of picking up the pieces was turned over to a combined support force comprised of the United States and 12 other countries - Australia, Austria, China, France, Germany, India, Japan, Korea, Malaysia, New Zealand, Pakistan and Singapore.
[...]
"This is a very unique organization here in that it's more of a cooperative arrangement," Krieg said. "It's not a command structure."
The nations comprising the CSF are pooling their resources to support Operation Unified Assistance, the name given the post-tsunami relief efforts focused on Indonesia, Sri Lanka and Thailand.
"We're really approaching it as almost three separate operations," Krieg said.
To work these operations, diplomats from the three countries are communicating their nations' needs through CSF liaisons, who in-turn divvy up the tasks according to the country with the greatest capabilities. The requests are then relayed to the operational base at Utapao Thai Royal Naval Air Base here for action.

Est-ce que les médias qui ont fidèlement relayé les prétentions de l'ONU à diriger les contingents militaires vont corriger cette assertion pour le moins erronée, et décrire objectivement la lutte d'influence que se joue en ce moment ?

COMPLEMENT II : Ce bref reportage du Monde fournit un aperçu très intéressant des activités sur l'aérodrome de Banda Aceh.

COMPLEMENT III : Ce commentaire dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung est certainement plus accusateur que mes propos : "Amerika handelt, Europa diskutiert" (trouvé sur Davids Medienkritik).

Posted by Ludovic Monnerat at 11h02 | Comments (10)

9 janvier 2005

USA : déserteurs et menteurs

Depuis un mois, on peut régulièrement lire des articles qui se penchent sur le moral des Forces armées américaines et qui jugent ce dernier critique, notamment en affirmant que 5500 soldats américains ont déserté les rangs depuis le début de l'opération en Irak. Sorti de tout contexte, ce chiffre impressionne et paraît accroire l'idée d'un moral en berne, tout en rappelant que 55'000 jeunes américains avaient déserté durant la guerre du Vietnam.

Etant donné que la chaîne CBS a rendu public ce chiffre dans son émission 60 Minutes, la même qui a présenté les fameux mémos truqués à la base du Rathergate, je n'ai guère prêté attention à ce chiffre. J'ai même cru qu'il ne s'agissait que d'une compilation entre les soldats désertant effectivement pour refuser le service en Irak et les réservistes demandant un délai à leur mise sur pied, et donc d'un amalgame digne d'une émission racoleuse et peu scrupuleuse.

Un article du Telegraph paru aujourd'hui m'a cependant incité à revoir la chose, car il reprend sans sourciller les "informations" de CBS et leur interprétation :

American Army soldiers are deserting and fleeing to Canada rather than fight in Iraq, rekindling memories of the thousands of draft-dodgers who flooded north to avoid service in Vietnam.
An estimated 5,500 men and women have deserted since the invasion of Iraq, reflecting Washington's growing problems with troop morale.

Qu'en est-il exactement ? Quelques minutes de recherche avec Google ont suffi à tirer la chose au clair, et le résultat est absolument sidérant. En fait, le chiffre de 5500 est relativement exact, mais sa signification est complètement biaisée : non seulement le nombre de déserteurs au sein de l'Army ne cesse de diminuer depuis 2001, avec une chute notable en 2004, mais en plus la plupart des cas impliquent des actes criminels et n'ont aucun rapport avec l'objection de conscience. Autrement dit, l'émission de CBS le 8 décembre dernier a totalement transformé la réalité, pour des motifs que je laisserai à chacun le choix d'imaginer...

Il est néanmoins surprenant que des journalistes continuent à reprendre une interprétation mensongère sans la vérifier. Surtout lorsque Internet permet justement de le faire en moins de temps qu'il n'en faut pour avaler un café !

Posted by Ludovic Monnerat at 19h58 | Comments (2)

La démocratie en marche

Il suffit donc désormais en Suisse d'une réunion nationale de l'UDC dans une ville traditionnellement de gauche pour que des incidents violents éclatent par la faute de militants extrémistes et anarchistes. Lorsqu'un parti représentant près d'un tiers de l'électorat helvétique et comptant 2 Conseillers fédéraux sur 7 se fait agresser par une bande de voyous dont aucun - pas même les 4 interpellés - n'a été inculpé, est-il encore possible de dire que les libertés démocratiques restent intactes ? Quels que soient les excès verbaux et visuels de l'UDC dans ses campagnes électorales, rien ne justifie l'emploi de la force pour tenter d'influencer le débat politique.

Il faut se demander si la diabolisation continue de l'UDC dans une grande partie des médias ne joue pas un rôle dans ce processus, ne fournit pas par avance une justification aux sous-développés du bulbe qui trouvent dans la violence un exutoire à leurs frustrations. L'incapacité des partis traditionnels de gauche et de centre-droite à contrer les arguments de l'UDC qui font mouche dans des domaines tels que l'asile ou l'intégration européenne, parce qu'ils abordent des vrais problèmes à défaut de leur trouver des solutions valables, explique sans doute cette moralisation du débat politique. L'UDC est ainsi désignée comme un parti-voyou, à condamner sans écouter.

Le seul point positif de l'affaire, c'est que les polices suisses n'auront absolument aucun doute lors du prochain Forum économique de Davos sur la menace qui pèse dans ce pays sur la liberté de réunion et d'expression...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h31

8 janvier 2005

L'armée suisse se déploie

Assez peu de réactions ce matin à l'annonce du déploiement de l'armée suisse en Indonésie, avec un détachement de 50 hommes et 3 hélicoptères. La presse n'accorde d'ailleurs qu'une place réduite à cette projection totalement inédite de moyens militaires suisses, en urgence, sur plus de 10'000 kilomètres. Dans l'ensemble, un tel engagement relève de l'évidence au vu des conditions de vie des populations locales et de l'importance que prennent les hélicoptères de transport dans ce contexte.

Les adversaires traditionnels de l'armée, que même un cataclysme ne parviennent pas à guérir du réflexe antimilitaire, avancent tout de même une opposition partielle, comme le rapporte Le Temps :

Jo Lang, conseiller national (Verts/ZG) et membre de la Commission de la politique de sécurité, s'interroge sur ce point. S'il soutient l'action de l'ONU, il ne comprend pas pourquoi les militaires dépêchés porteront les armes. «Le danger est civil dans cette zone», estime-t-il. Pour lui, la communauté internationale aurait mieux fait d'investir dans des systèmes d'alerte pour éviter le tsunami plutôt que de déployer ses forces militaires après coup.

Au risque de surprendre ce brave homme, on peut rappeler que la péninsule d'Aceh abrite un conflit de basse intensité qui s'est rallumé en 2003, et qu'il existe une menace terroriste dans la région. L'armement pour l'autoprotection est donc indispendable. De plus, on se demande comment un système d'alerte permettrait d'éviter le tsunami (on suppose que ces propos ne reflètent pas la pensée de leur auteur), c'est-à -dire les dégâts matériels qu'il a entraînés et donc le besoin en transport aérien pour les populations isolées.

De l'autre côté de l'échiquier politique, bien entendu sans préjuger de la fonction échiquéenne de l'un ou l'autre, on trouve également l'UDC Hans Fehr qui s'oppose à l'envoi de militaires armés avec les hélicoptères Super Puma de l'armée et qui, puisque ces appareils sont nécessaires, demandent tout bonnement à ce qu'ils soient pilotés par du personnel civil ! On voit bien à quelles extrémités casuistiques et stupides l'idéologie peut mener, sans même se soucier de la faisabilité des "solutions" proposées. Reprendre contact progressivement avec la réalité serait une mesure thérapeutique adaptée.

Quoi qu'il en soit, je souhaite plein succès à mes camarades qui vont se déployer et qui ont commencé à le faire.

COMPLEMENT I : Concernant la menace existant sur place, quoique avant tout dans la province d'Aceh, il vaut la peine de lire l'analyse de Bill Roggio sur The Fourth Rail. La présence ouverte de groupes islamistes affiliées à Al-Qaïda rappelle l'intérêt évident à participer à l'aide humanitaire face à la gigantesque opération américaine.

COMPLEMENT II : Autre information intéressante dans ce contexte, le dernier rapport de situation rendu public par le Département du développement international britannique. On y apprend ceci à la page 8 sur l'Indonésie :

The security situation is described as "calm but fluid" and escorts are required for convoys on the Medan-Banda Aceh road.

Peut-être pourrait-on demander à M. Lang de s'intéresser de plus près à la réalité...

Posted by Ludovic Monnerat at 9h58 | Comments (3)

ONU : silence complice - suite

L'agence de surveillance interne de l'ONU a rendu public hier un rapport décrivant les exactions du personnel civil et militaire des Nations Unies au Congo. Le communiqué plutôt sobre qui accompagne cette publication sera-t-il accepté sans autre par les médias, qui préfèreront négliger ce scandale pour ne pas saper la perception de l'ONU dans l'opinion publique, ou est-ce qu'au contraire elle sera le point de départ d'approfondissements et de commentaires critiques ? Nous verrons bien. Je reste sans illusion.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h42 | Comments (9)

7 janvier 2005

Une nouvelle ère au Proche-Orient ?

Voici quelques semaines, j'ai eu l'occasion d'écouter l'un des plus proches conseillers d'Ariel Sharon s'exprimer devant une petite assemblée sur la situation stratégique de son pays. Une expression revenait sans cesse dans ses propos : « une nouvelle ère ». La mort de Yasser Arafat et la campagne électorale en Palestine étaient synonymes de nouvelle ère, de nouvel espoir pour une solution négociée au conflit israélo-palestinien. Tous les pays de la région en convenaient, et un optimisme prudent s'était installé dans les esprits - la première fois depuis 2000, voire plus tôt encore.

Pourtant, le déroulement de la campagne électorale palestinienne et le double langage de Mahmoud Abbas semblent contredire pareil optimisme : comme argumente avec éloquence Charles Krauthammer, la signature des Accords d'Oslo s'était faite dans la même atmosphère optimiste, et tous les experts ou presque avaient écarté les preuves de l'intention réelle de Yasser Arafat :

What of Abbas' vaunted opposition to violence? On Jan. 2, he tells Hamas terrorists firing rockets that maim and kill Jewish villagers within Israel, "This is not the time for this kind of act." This is an interesting "renunciation" of terrorism: Not today, boys; perhaps later, when the time is right. Which was exactly Arafat's utilitarian approach to terrorism throughout the Oslo decade.

Ce qui est surprenant, c'est que le Gouvernement Sharon semble décidé à faire confiance à Mahmoud Abbas et à effectuer un retrait unilatéral de la Bande de Gaza, même au prix de vives dissensions internes. Le conseiller de Sharon expliquait ainsi que ce dernier est prêt à risquer sa vie pour accomplir sa volonté, et que seule la Knesset - et encore... - parviendrait à l'en empêcher.

Savoir si la méfiance de Krauthammer est justifiée est bien difficile ; en revanche, il est certain que la vie de Mahmoud Abbas dépend de sa disposition à ménager les groupes terroristes palestiniens - même si certains reportages de journalistes européens apparemment acquis à la cause palestinienne évitent soigneusement d'en parler. En d'autres termes, l'espoir de paix semble bien ténu, et il faut trouver ailleurs une explication au comportement d'Israël.

En définitive, l'Etat hébreu se trouve aujourd'hui en position de force après avoir gagné, quoique douloureusement, la guerre déclenchée par Yasser Arafat en 2000. Mais sa sécurité stratégique n'est pas pour autant assurée, et ses Forces armées vivent constamment dans un état d'alerte élevé, prêtes à réagir à une agression des pays qui l'entourent. De plus, le programme nucléaire iranien menace de rompre le monopole israélien, alors qu'au moins deux de ses voisins - l'Egypte et l'Arabie Saoudite - vont vivre une transition de pouvoir délicate ces prochaines années.

On peut donc en conclure qu'Ariel Sharon cherche aujourd'hui à poser des jalons destinés à consolider l'existence de son pays - car c'est bien de cela qu'il s'agit. Obtenir un cessez-le-feu avec les Palestiniens pour légitimer le retrait des territoires aux yeux de son public, tout en renforçant les mesures de protection pour réduire les capacités des groupes terroristes ; normaliser les relations avec les pays du Moyen-Orient en les aidant - discrètement - sur la voie de la démocratisation et de la modernisation, et ainsi déjouer les visées subversives des islamistes ; et reprendre vigoureusement l'immigration pour compenser le déséquilibre démographique de la région.

Il est donc un peu tôt pour affirmer qu'une nouvelle ère est venue. Si Mahmoud Abbas survit et si les groupes terroristes palestiniens réduisent leurs activités, des conditions plus favorables seront créées. Pas davantage.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h43 | Comments (5)

ONU : mensonges et réalité

Le sommet de Djakarta destiné à fédérer l'aide humanitaire en Asie du Sud s'est tenu hier, et la presse francophone s'en fait l'écho ce matin en célébrant l'autorité supposée de l'ONU dans la conduite de l'opération en des termes pour le moins grandiloquents :

L'ONU, maître du terrain - titre La Libre Belgique ;

En Asie du Sud, les Nations unies aux commandes - affirme Libération ;

L'ONU prend la tête de l'opération de secours - précise Le Monde ;

Les secours sous la bannière de l'ONU - souligne Le Figaro ;

L'ONU reprend l'initiative à Jakarta - ajoute 24 Heures.

Ces exemples parmi d'autres permettent au moins de conclure que les prétentions de Jan Egeland, coordination de l'aide d'urgence à l'ONU, étaient effectivement infondées. Mais il faut surtout remarquer que les médias se contentent de relayer le message dicté par Kofi Annan, sans y apporter la moindre note critique, même dans leurs pages de commentaires. L'ONU est de facto intouchable, et ses propos le sont également.

Pourtant, les affirmations de l'ONU sont contredites par la réalité. En premier lieu, les Etats-Unis ne font pas "marche arrière" et n'ont pas cédé la direction de leurs opérations, comme tente curieusement de nous le faire croire la TSR. En fait, la position américaine est assez claire, dans les termes de Colin Powell :

Powell agreed the U.N. would have "a lead role" on aid efforts but said others may take the lead elsewhere, suggesting that a U.S. military task force recently set up in Thailand may coordinate work among the many military forces in the area. Powell [...] hinted at some impatience to see the U.N. take charge, saying: "We talked about the need for the U.N. agencies -- if they are going to play that coordinating role -- to get on the ground and start playing it."

Les Etats-Unis sont donc parfaitement d'accord pour voir l'ONU coordonner l'action humanitaire civile, internationale et non gouvernementale, et attendent qu'elle commence à s'impliquer sur le terrain dans ce but. Mais il est exclu que l'ONU dirige les contingents militaires, puisqu'elle n'en a ni le droit, ni les compétences. Et comme les armées jouent un rôle décisif dans l'aide d'urgence, aujourd'hui et pour plusieurs jours encore, l'ONU devra soit désigner une ou plusieurs nations pour commander les contingents déployés, soit renoncer à prétendre diriger leurs actions.

Il faut remarquer que le travail de coordination de l'ONU a démarré sur le terrain avec une partie au moins des détachements civils, comme le montre ce reportage de La Tribune de Genève ; cependant, les militaires se chargent eux-mêmes de la coordination à leur échelon, et ils restent seuls à intervenir dans plusieurs régions parmi les plus dévastées :

Marine Col. Dave Kelley, chief of U.S. Support Group-Indonesia, based at the airport, said he is trying to boost the facility's capacity for handling so much aid and was searching for other landing fields.
[...]
King [operations officer for the International Organization for Migration] showered praise on the U.S. military effort. Although the Indonesian military is providing some aid, "Without these guys, there would be nothing going down that coast."

Que peut-on conclure de tout cela ? Une lutte de pouvoir se joue depuis plus d'une semaine entre les Nations Unies, soutenues par de nombreux pays européens et défendues sans relâche par les médias, et plusieurs nations contestant au mieux son efficacité, au pire son autorité, et rassemblées autour des Etats-Unis. Mais les affirmations mensongères de l'ONU ne parlent pas en sa faveur, et elles n'honorent pas ceux qui les propagent à tout va sans la moindre vérification de leur exactitude.

COMPLEMENT I : Ce reportage du Telegraph confirme l'analyse faite ci-dessus, en montrant l'absence de l'ONU dans les secteurs employés par les contingents militaires. Je doute que les médias ayant répété fidèlement le message onusien feront demain une correction...

COMPLEMENT II : Une conférence de presse tenue hier par le Commandement Pacifique américain en présence d'un délégué de l'ONU précise la situation. Une question d'un journaliste japonais a permis au commandant de la Command Support Force 536 de décrire la coopération militaire :

Q Hi, General. This is Yui with NHK, Japan Broadcasting Corporation. You said that you are coordinating with other countries' military forces. Could you tell us as to how you are coordinating with other countries, for instance such as Japanese troops?
GEN. BLACKMAN: Yes. And let me say that we have had an assessment team from Japan in here for the last few days. In fact, I believe it was yesterday they were up in northern Sumatra. That team is back now. And I believe it's either tonight or tomorrow we will see the initial contribution from Japan of a C-130. That C-130 right now is planned to make a daily logistics run with relief supplies from here at Utapao to Medan in northern Sumatra, on to Banda Aceh, back to Medan, perhaps with any medevac casualties that are being brought out of Banda Aceh to the better-equipped hospitals in Medan, and then back here and do it again the next day. So we, in particular, are very thankful for the contribution from the Japanese Self Defense Force.

Le représentant de l'ONU, Gerhard Putnam-Cramer, chef des services d'urgence au bureau onusien des affaires humanitaires, décrit ensuite le fonctionnement de l'ensemble :

We have placed here with the general's headquarters in Utapao civil military coordination officers who are assisting in the effective tasking of the assets in question.
The U.S. military and others are assisting us, basically, to assist the effective countries who have the ultimate responsibility in terms of response to the catastrophe at hand.

On voit bien ici la problématique : une double chaîne de transmission, militaire (USA - armées locales) et civile (ONU - agences locales), qu'il s'agit de faire fonctionner. Que l'ONU ait fini par dépêcher des officiers de liaison auprès du commandement américain montre bien que les deux organisations travaillent en parallèle, et que l'une n'est pas subordonnée à l'autre.

Posted by Ludovic Monnerat at 12h50

Déploiements militaires en Asie

Mieux vaut tard que jamais : la plupart des médias soulignent désormais le rôle vital joué par les armées dans le sauvetage et l'aide en Asie du Sud, et on peut par exemple trouver dans Le Monde une liste des différentes contributions fournies dans ce domaine par les nations. Cette liste reste incomplète, n'établit pas de différence entre déploiements ponctuels et durables, n'aborde pas la question du commandement et n'offre pas vraiment de perspective à court terme, mais c'est toujours mieux que rien !

Le cas de l'Asie du Sud aura ainsi imposé l'importance des armées dans les situations de crise les plus graves et mis sur le devant de la scène les problèmes liés à la projection. On espère que l'Union européenne parviendra à en tirer des leçons utiles pour le développement de ses capacités de transport aérien et maritime, et conclura à la nécessité d'agir plus tôt et plus rapidement. Les armées européennes, pour leur part, récolteront nombre d'enseignements en termes de logistique, d'aide au commandement, d'interopérabilité et de coopération civilo-militaire.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h13 | Comments (1)

6 janvier 2005

Les journalistes-combattants

Le site HonestReporting.com vient d'épingler le quotidien britannique de gauche The Guardian pour un mensonge caractérisé dans un incident survenu hier dans le conflit israélo-palestinien. Un article a en effet affirmé qu'un char israélien a tiré sur des enfants en train de cueillir des fraises, alors qu'en réalité ce sont des combattants palestiniens tirant au mortier qui ont été pris pour cibles. Pour HonestReporting, ce sont ces manipulations quotidiennes qui expliquent pourquoi le public britannique a une opinion aussi mauvaise d'Israël.

En fait, le Guardian n'a rien fait d'autre que propager la version palestinienne des faits sans la relativiser avec la version israélienne, et donc sans la vérifier - dans la mesure du possible. Ce comportement est d'autant moins admissible que les Palestiniens ont derrière eux une longue histoire d'allégations outrancières et de mensonges caractérisés, comme l'a démontré le cas du faux massacre de Jénine, qui d'ailleurs rebondit avec la plainte de soldats israéliens contre un réalisateur palestinien propagateur de telles manipulations.

Nous vivons désormais à une époque où la couverture de l'actualité est influencée par des opinions politiques et des objectifs militants, sans que ceux-ci ne soient ouvertement proclamés ; on remarque d'ailleurs que quand Ignacio Ramonet tente de décrire ce mal sournois dans Le Monde Diplomatique, il omet soigneusement d'examiner le comportement de la presse française quant à l'Irak ou à l'Afghanistan, alors même que ses manipulations ont été démontrées - notamment par Alain Hertoghe. Les médias sont devenus des protagonistes dans la lutte pour les perceptions, et les journalistes des combattants de la persuasion.

Ce statut explique en partie pourquoi les reporters sont de plus en plus victimes des conflits. La disparition apparente de l'envoyée spéciale de Libération en Irak, Florence Aubenas, rappelle que la sécurité physique des journalistes est une manière courante d'orienter la couverture médiatique. En même temps, les écrits de Mme Aubenas montrent bien qu'elle aussi tente d'influencer le public dans le sens de ses opinions : en écrivant hier que "plusieurs groupes armés de la minorité sunnite ­[...]­ menacent tous ceux qui participeront au vote tant que les Américains occuperont le pays", elle déforme complètement le message des terroristes qui refusent toute élection démocratique, indépendamment de la présence américaine.

Ces dérives déontologiques se font en définitive au détriment des médias eux-mêmes. En perdant la neutralité et l'objectivité de leur démarche, les journalistes se divisent automatiquement en opposants et en soutiens d'une idée, d'un parti, d'un gouvernement ou d'une armée, et sapent la crédibilité de leurs contributions. Ce qui, avec la perte du monopole de l'information, les place sur une pente dangereusement glissante, ne serait-ce que sur le plan économique.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h49 | Comments (1)

Irak : un claquement de doigts

Un excellent reportage dans Stars & Stripes sur une patrouille américaine à Bagdad montre la dualité des soldats dans les conflits de basse intensité : à la fois militaires et humanitaires, bienfaiteurs et interrogateurs, souriants et menaçants, en passant de l'un à l'autre le temps d'un claquement de doigts. Cet article ne donne que la perspective américaine, mais il résume bien les activités quotidiennes des troupes.

Pour être plus précis, les formations militaires modernes doivent être capables de simultanément déployer trois types d'actions dans un secteur donné : la coercition (ou l'usage décisif de la force), la contention (ou la maîtrise de la violence) et la coopération. Les Forces armées américaines ont désigné sous le terme de "three-block war" cette réalité qu'elles vivent au quotidien en Irak et en Afghanistan.

La principale difficulté consiste non seulement à réussir le passage délibéré d'un type d'engagement à l'autre, mais à le faire également en guise de réaction à des activités hostiles. Le claquement de doigts peut fort bien provenir d'une attaque ennemie, ou de la suspicion d'une telle action, au cours d'activités planifiées. Et ce sont d'un seul coup d'autres comportements, d'autres positions et d'autres règles d'engagement qui doivent être adoptées - ce qui exige une doctrine claire, un entraînement intensif et des soldats de qualité pour être maîtrisé.

Le point essentiel à ne pas perdre de vue est le suivant : l'emploi des armes, l'acquisition du renseignement ou les chasses à l'homme ne sont pas des mesures offensives dans un tel contexte, mais au contraire défensives ; c'est la reconstruction, l'aide humanitaire, le développement économique, l'éducation et la participation politique qui forment la véritable offensive, celle qui touche le coeur et l'esprit de la population, et donc le centre de gravité de toute opération de stabilisation.

Une compréhension qui manque à la plupart des "bilans" que l'on peut lire, entendre ou voir sur l'Irak, parce qu'ils se concentrent sur quelques incidents marquants au lieu de prendre en compte l'essentiel.

COMPLEMENT I : Pour souligner mon propos, l'agence AP rapporte qu'un groupe islamique radical s'est rendu dans la province d'Aceh pour contribuer à l'aide humanitaire en cours. Une offensive mineure, mais à prendre en considération.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h57 | Comments (1)

La roquette et l'Empire

Sur Tech Central Station, Ralph Kinney Bennett raconte brièvement l'histoire des roquettes au sein des armées occidentales, qui existent depuis près de 200 ans aux côtés de l'artillerie traditionnelle. Il établit également un parallèle avec les roquettes Qassam tirées par des organisations palestiniens sur terre israélienne, en montrant bien le caractère ancien d'une telle arme. On peut également trouver des informations complémentaires sur les systèmes lance-roquettes modernes sur Army Technology.

Un point de son exposé mérite le détour : le premier commandant occidental à faire l'expérience terrifiante d'un tir de roquettes sur ses troupes était un certain Arthur Wellesley, qui sera connu plus tard comme duc de Wellington. Il rappelle que l'Empire britannique, un siècle avant son apogée, envoyait ses soldats de métier sur des théâtres d'opérations les plus divers et les plus éloignés en vertu d'une vision stratégique, qui à l'époque comprenait l'extension du commerce et le contrôle des voies maritimes.

C'est une réflexion assez proche qu'émet aujourd'hui Ralph Peters, dans un éditorial du New York Post, en montrant l'importance à ses yeux déterminante de l'Océan Indien et la nécessité pour la marine américaine de se concentrer sur la maîtrise des mers. Son nouveau livre sera d'ailleurs consacré à ce sujet, et il contribuera certainement à réorienter la pensée stratégique américaine sur d'autres lignes directrices - au même titre d'ailleurs que Thomas P. M. Barnett et sa nouvelle carte du Pentagone.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h35

L'histoire réécrite en direct

Les grands journaux francophones ont fini par s'intéresser à la démonstration militaire américaine en Asie du Sud que je décrivais voici 2 jours, avec son impact sur la perception de l'action armée ; on peut supposer que Le Temps (accès gratuit, en bas de page) ou Le Figaro ont dû faire un effort sur eux-mêmes avant d'écrire des lignes positives, bien que l'on note l'influence du New York Times dans leurs propos (suivre en tous points la Grande Dame Grise semble le privilège des correspondants de presse francophones aux Etats-Unis...).

Pourtant, ces louanges sont dressés pour mieux blâmer les opérations militaires en Irak, et notamment pour établir une distinction absolue entre militaire et humanitaire (suivant en cela les décrets idéologiques des ONG françaises, qui sont vivement attachées au monopole de la générosité). Et cette condamnation explicite s'appuie sur une réécriture spontanée et mensongère de l'histoire, comme le démontre Charles Lambroschini dans le même Figaro :

« Au Vietnam, les Américains échouèrent à séduire «les coeurs et les esprits» car les bombardements au napalm annulaient les soins prodigués à la population civile par leurs médecins militaires. De même lorsqu'en Irak leurs unités du génie prétendent reconstruire les immeubles détruits pendant la bataille de Faludja. Cette confusion des genres n'est d'ailleurs pas propre aux Américains. Au temps de leurs expéditions coloniales, les Français ne furent guère plus sages. Qu'il s'agisse des soldats laboureurs de Bugeaud en Algérie ou des officiers pratiquant au Maroc la vocation sociale chère à Lyautey, un obstacle essentiel demeurait. Il est impossible d'être simultanément occupant et libérateur. »

Il n'est pas utile d'entrer en matière sur le Vietnam ou l'Irak, tant ces propos sont à des années-lumières de la réalité et illustrent le peu de connaissances de cet éditorialiste pour les conflits contemporains. En revanche, on ne peut que condamner cette manipulation consistant à faire croire que l'histoire coloniale française se résume à une occupation ou à une absence de libération : si la France est restée plus d'un siècle en Afrique du Nord, c'est bien parce que ses officiers coloniaux n'étaient pas des occupants, mais des civilisateurs qui cumulaient les métiers pour transformer ces régions et leur apporter les bienfaits de la modernité.

C'est un signe révélateur de notre époque que de voir un quotidien français censé être conservateur réécrire en quelques mots des décennies d'histoire, et nier catégoriquement tout ce que la France a apporté au monde. La condamnation irréfléchie du projet américain a pour conséquence automatique un déni du passé européen, au lieu d'en montrer les aspects négatifs et positifs. Et ce réflexe masochiste, lourdement influencé par le politiquement correct, amène à se demander si ce continent a vraiment un avenir propre.

COMPLEMENT : Après réflexion, on peut se demander si ce n'est pas l'inverse, à savoir que le déni du passé européen et sa criminalisation expliquent cette condamnation irréfléchie. Je laisse ouvert ce point pour l'instant...

Posted by Ludovic Monnerat at 11h16

Une journée de deuil

La Suisse a donc vécu hier un deuil national, en raison des centaines de victimes helvétiques du tsunami, en plus des autres conséquences de la catastrophe. Tous les drapeaux étaient en berne, notamment devant les différents bâtiments du quartier-général de l'armée. Dans l'aile où se trouve mon bureau, une collecte a été organisée pour être versée à la Chaîne du Bonheur. Quelques personnes avaient des amis comptant des disparus dans leur famille, et racontaient la difficulté à affronter le doute et l'incertitude sur leur sort.

En proportion de sa population, la Suisse est l'un des pays les plus touchés par la catastrophe, probablement derrière la Suède ; cela n'enlève rien à l'ampleur du drame vécu par les résidents asiatiques, mais montre qu'un événement tragique survenu à 10'000 kilomètres de notre pays peut avoir des conséquences majeures et directes sur celui-ci. Notre planète rapetisse chaque jour davantage, et l'écrire est déjà devenu un lieu commun.

Puissent toutes ces victimes reposer en paix.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h22 | Comments (1)

5 janvier 2005

Les Canadiens en rade

Le Canada a récemment annoncé qu'il va déployer en Asie du Sud le DART (Disaster Assistance Response Team), une formation de 200 militaires spécialisés dans l'aide en cas de catastrophe. Cette annonce survient dans une atmosphère de polémique, en raison de la lenteur prise par la décision et par l'exécution de ce déploiement. En clair, les Canadiens ont une unité de réaction rapide incapable de réagir rapidement. Plutôt problématique.

Le problème est lié au transport : le DART exige une capacité de 225 tonnes pour être engagé quelque part, et il compte des équipements lourds (înstallation de purification d'eau) ainsi que des véhicules. Or les 5 Airbus A310 des Forces armées canadiennes peuvent embarquer le personnel, le matériel sur palettes mais pas les véhicules, alors que leurs 32 C-130 Hercules sont difficilement en état pour projeter une telle unité. La solution classique, louer des gros transporteurs russes Antonov, s'est révélé vaine : la crise due au tsunami a multiplié les demandes pour ces appareils et donc imposé des retards. De toute manière, ces avions géants ne peuvent atterrir n'importe où.

L'exemple canadien doit servir de leçon pour la Suisse : seuls des moyens de transport aérien propres, modernes et suffisants constituent un outil efficace en cas de crise. Faire appel à un pool d'avions militaires ou louer des avions civils fonctionne à merveille, sauf lorsque l'on en a le besoin le plus urgent. Autrement dit, les avions de transport dont la Suisse a besoin ne peuvent pas se limiter aux 2 petits Casa C295M que le Parlement rechigne à accepter pour un coût de 109 millions de francs : d'autres avions de transports, de taille supérieure, seront probablement nécessaires dans un deuxième temps. Comme par exemple 2 Airbus A400M, à 125 millions la pièce...

Posted by Ludovic Monnerat at 13h41

Coordination ou ventilation ?

Un article hagiographique publié dans Le Monde contribue partiellement à éclaircir le rôle de l'ONU dans l'aide humanitaire en Asie du Sud. Le texte est consacré aux efforts de Jan Egeland, présenté comme le grand coordinateur de toute l'aide déployée actuellement, et ce même si ses bureaux onusiens à New York étaient désertés le 3 janvier pour cause de jour férié...

Malgré le ton éminemment laudateur et l'absence totale de sens critique quant aux déclarations de M. Egeland, cet article fournit matière à réflexion. Ses véritables activités laissent en effet pantois :

Depuis qu'il a été prévenu du séisme du dimanche 26 décembre, Egeland n'a pratiquement plus quitté son bureau. Tous les jours, il reçoit des centaines d'offres d'assistance, plus ou moins réalistes. Un pilote d'hélicoptère s'est mis à sa disposition avec un appareil. C'est formidable, dit-il. "Mais ce sont des porte-hélicoptères que nous cherchons pour l'instant. Nous devons penser en grand." D'après lui, même en travaillant 23 heures sur 24, les personnels qui organisent la logistique (à Genève), les apports militaires (à Bangkok) et les opérations (à Djakarta) ne parviendraient pas à répondre à toutes les propositions et à les coordonner.

Quelle pauvre organisation pourrait-elle fonctionner dans ces conditions ? Apparemment, la planification n'existe pas au sein de l'ONU : on sépare artificiellement les opérations de la logistique ou les moyens civils et militaires, et on attend scotché à son bureau les propositions, au lieu d'établir un plan horaire, de séparer les problèmes partiels et de créer un concept opérationnel pour les régler. En fait de coordinateur, M. Egeland n'est qu'une sorte de centrale d'appels susceptible de mettre en contact les demandeurs et les fournisseurs de prestations. Et croire que penser à un porte-hélicoptère est un exploit intellectuel montre bien le degré zéro des compétences onusiennes en matière opérationnelle.

Pourtant, cet homme sans doute bien intentionné n'a aucun doute sur l'importance de sa tâche :

Tous les soirs, à 22 heures, Jan Egeland participe au briefing des quatre pays du "groupe central" ("core group"), constitué par l'Inde, le Japon, et l'Australie, et dirigé par les Etats-Unis. [!] Dans ce contexte, Jan Egeland n'exprime que des éloges pour la contribution de Washington, qui a répondu avec "efficacité" aux 12 points de sa liste de vœux (avions, contrôleurs aériens). Et il n'a rien contre les groupes. Il y a celui de l'Union européenne, coordonné par la France etc. "Tout le monde est d'accord sur un point : c'est l'ONU qui dirige les efforts", a-t-il souligné, lundi, pendant sa conférence de presse.

Une belle bravade que seule l'indulgence de la journaliste du Monde permet de faire passer. Qu'est-ce que M. Egeland peut bien diriger, lui qui n'a aucun état-major autour de lui pour concevoir et conduire une opération ? En fait, la coordination des actions militaires entre les nations se fait de manière traditionnelle, par l'échange d'officiers de liaison et par interaction directe dans le secteur d'engagement. Est-ce que l'ONU dirige les opérations américaines, conduites depuis la base d'Utapao en Thaïlande, ou les opérations australiennes conduites depuis le pays ? Non seulement elle ne le fait pas, mais elle n'a pas le droit de le faire : seule une résolution du Conseil sécurité peut décider de la création d'une force multinationale avec une chaîne de commandement onusienne.

Finalement, cet article souligne crûment le parti pris pro-ONU dont témoignent spontanément une grande part des médias. Les explications de M. Egeland appelleraient des dizaines de questions critiques sur la manière avec laquelle ONU tente de s'impliquer dans cette crise, mais pas une seule d'entre elles ne lui est posée. Le message est on ne peut plus clair : l'ONU s'occupe de tout, elle compte des gens formidables, donnez votre argent - et vos porte-hélicoptères - et tout ira pour le mieux.

En fait de coordination, les Nations Unies semblent plus habiles à se charger de la ventilation. Avec 2 conférences de presse par jour, M. Egeland parle infiniment plus qu'il n'agit.

COMPLEMENT I : Cet article du Temps (accès gratuit) rédigé par un envoyé spécial à Banda Aceh montre bien le manque d'organisation de l'ONU sur place. Pourtant, au fur et à mesure que les opérations passent du sauvetage et à la réhabilation, c'est bien l'ONU qui devra assumer la conduite de l'affaire, et plus le noyau de nations mené par les Etats-Unis. Preuve supplémentaire que les propos de M. Egeland n'étaient que du vent, et que la vraie action de l'ONU commencera prochainement.

COMPLEMENT II : Un éditorial du Telegraph résume aujourd'hui à merveille le contexte de l'affaire, et le caractère défi de la réponse de l'ONU pour sa propre survie.

COMPLEMENT III : Ce remarquable reportage du New York Times décrit la planification et la conduite de l'opération américaine à partir d'Utapao en Thailande. Il confirme encore une fois que l'ONU n'est pas impliquée dans l'aide humanitaire fournie par les armées :

In Sri Lanka, Brigadier General Frank Panter of the Marine Corps, the ranking American military commander, meets daily at 10 a.m. with aid representatives of Britain, Canada and India. He is inviting Russia and Bangladesh to join.

"It is a coordinating meeting," Blackman said. "There is no formal command structure." The purpose, he said, "is to ensure that the resources of the U.K., Russia, India - those big world powers - are being applied most effectively and most efficiently."

With the United Nations expected to emerge as a major source of aid, potentially rivaling the $350 million promised by the United States, Blackman plans to offer the United Nations a desk in his planning room.

Est-il imaginable qu'un média européen fasse une enquête critique sur le rôle de l'ONU et sa prétention à prétendre "diriger" une opération lorsque de toute évidence elle est absente ?

Posted by Ludovic Monnerat at 12h48 | Comments (3)

Vers des soldats invisibles ?

L'un des problèmes liés aux opérations en milieu urbain réside dans la difficulté à se camoufler : les tenues adoptées par les armées modernes permettent au soldat de se fondre dans un décor forestier, désertique ou hivernal, mais pas citadin. Les recherches destinées à développer une technologie s'orientent aujourd'hui vers le camouflage adaptatif, qui vise à fournir une sorte d'invisibilité aux hommes comme aux véhicules en simulant leur transparence par la projection d'images, de couleurs et de textures semblables à celles se trouvant derrière l'objet à dissimuler. En évitant les mouvements trop rapides, une telle capacité promet d'être révolutionnaire.

Les troupes utilisent aujourd'hui deux méthodes pour se camoufler en ville : la normalité et l'obscurité. D'une part, un petit nombre d'unités - essentiellement des forces spéciales - sont capables d'opérer en habits civils et de remplir des missions délicates en adoptant l'habillement, le comportement et même le langage de leur environnement ; on peut ainsi citer l'exemple de quelques formations israéliennes, dont les membres déguisés en Palestiniens opèrent librement en Cisjordanie et tentent d'éliminer des chefs terroristes. D'autre part, la nuit crée des conditions que préfèrent désormais les soldats équipés d'appareils de vision nocturne, comme le démontrent quotidiennement les unités coalisées en Irak.

Ces méthodes demeurent insuffisantes, parce que les unités en civil ont une marge de manœuvre restreinte au regard du droit, à l'exception de la sécurité intérieure, et parce que la nuit - sauf dans les régions polaires - n'a qu'une durée limitée. Un axe de réflexion que j'ai tenté de développer est l'adaptation graduelle de l'apparence à la situation, avec différents degrés de visibilité entre tenue militaire et civile, en indiquant la marque de l'autorité lorsqu'une action coercitive est entreprise. Il existe en effet de nombreuses situations hors des combats de haute intensité dans lesquelles les armées doivent être vues pour influencer leur environnement ; la sécurité n'est pas invisible.

Dans un premier temps, la technologie du camouflage adaptatif semble de ce fait réservée à des opérations ponctuelles en milieu non permissif ou semi-permissif, menées par des forces non conventionnelles, pour lesquelles l'aptitude à littéralement se fondre dans le décor peut fournir un avantage décisif. On peut imaginer une application à plus large échelle, mais un emploi généralisé en combat symétrique n'est concevable qu'à la condition d'ajouter le domaine infrarouge, la signature radar et la réduction des émissions sonores - voire olfactives - au camouflage visuel. Un défi pour le moins complexe et coûteux à relever.

Il reste bien plus simple et rentable de combattre en habits civils, en utilisant la population comme bouclier humain, ainsi que le font de nos jours nombre de groupes irréguliers et terroristes. Un avantage qui explique pourquoi le chaos et non la défaite sont la hantise des armées contemporaines.

Posted by Ludovic Monnerat at 10h02

4 janvier 2005

Démonstration militaire en Asie

Les ravages apocalyptiques du tsunami asiatique qui se révèlent chaque jour davantage forment une scène médiatique que les militaires américains - et australiens - exploitent avec brio. Alors que les survivants du cataclysme sont éparpillés et à la merci des éléments, sur l'île de Sumatra, ce sont les hélicoptères de la marine américaine qui sauvent des vies et qui le montrent au monde entier. De nombreux reporters des grandes chaînes de TV occidentales et des journaux - y compris des vedettes, certes parfois en bout de course - accompagnent les troupes et illustrent une conjonction d'intérêts qui sert l'image des armées.

Alors que l'ONU continue de détacher des fonctionnaires occupés en premier lieu à mettre en place leurs propres structures de fonctionnement, une coalition de nations conduite par les Etats-Unis et comptant également l'Australie, le Japon, l'Inde, le Canada ou encore les Pays-Bas se charge du travail de sauvetage et, avec le labeur inestimable des ONG déjà présentes sur place, des tâches d'aide sanitaire. Le contraste ne saurait être plus saisissant entre ceux qui discourent et ceux qui agissent. Les ambitions supranationales de l'ONU en pâtissent.

Cette perception n'a bien entendu rien d'innocent, et il est certain que l'administration Bush a rapidement vu tout le bénéfice qu'elle pouvait tirer d'une opération militaire majeure en Asie. Un temps critiqués pour la modestie de leur aide financière, les Etats-Unis démontrent que ce sont les moyens disponibles sur place et non les promesses de dons qui comptent pour l'instant. Et que ces moyens aujourd'hui applaudis sont les mêmes que ceux engagés en Irak ou en Afghanistan.

Ce message fort, cette démonstration militaire sous les yeux de la planète suscitent un certain agacement, et plusieurs médias tentent déjà de leur donner une coloration négative. De plus, ils aboutissent à relativiser la contribution d'autres nations, comme la Chine, qui mesure encore le chemin à parcourir avant d'atteindre un vrai statut de puissance. Mais il faut également inscrire l'impact de cette opération dans la cadre de la guerre contre le terrorisme, afin de prendre conscience à quel point les islamistes illustrent chaque jour davantage leur incapacité à sauver, à aider et à protéger.

En rappelant que le séisme s'est produit le 26 décembre et que les porte-avions US ont levé l'ancre le 28 pour effectuer cette opération, on conviendra que le commandement stratégique américain n'a pas tardé à saisir cette opportunité. Reste à savoir s'il parviendra à maintenir le contrôle de son message.

Posted by Ludovic Monnerat at 22h36 | Comments (2)

Vieille Europe et Nouvelle Delhi

Un texte venant d'être mis en ligne sur CheckPoint décrit la position actuelle de l'Inde par rapport aux Etats-Unis, et notamment le rapprochement rapide qui s'est produit sous l'administration Bush. Il conclut en indiquant qu'un déplacement de pouvoir se produit en direction de l'Orient, et laisse entendre que l'Europe avec sa position presque "non-alignée" pourrait en faire les frais. Cela écrit sans une once de regret ou de triomphalisme, mais comme une tendance irrémédiable.

De telles réflexions doivent nous interpeller. Si l'Europe donne d'elle-même l'image d'une entité dont l'unique stratégie consiste à tenter - souvent sans succès - de contrer les actions et les initiatives américaines, est-ce que cela correspond à une stratégie réfléchie, à un objectif délibéré ? On peut certes imiter Emmanuel Todd et consorts en croyant dur comme fer au déclin des Etats-Unis pour minimiser le problème, mais une telle attitude ne prend en compte qu'une évolution possible et donc n'est pas responsable.

Le plus dangereux me semble l'adhésion spontanée aux institutions et processus mis en place au lendemain de la Seconde guerre mondiale, et la ferveur presque religieuse qui aujourd'hui les entoure. Peut-on vraiment penser que les outils nécessaires à la gestion de la planète au XXIe siècle puissent être ceux fondés dans l'immédiat après-guerre, alors même que la redistribution du pouvoir déclenchée par l'évolution technologique menace les fondements des Etats-nations ?

S'accrocher aux acquis en leur conférant de manière arbitraire une supériorité morale censée tout justifier, y compris l'abandon généralisé de l'esprit critique, n'est pas une manière de penser l'avenir. Il est ainsi frappant de constater à quel point, au sein des élites européennes, on préfère évoquer avec regret les années 90 et ses espoirs que construire de nouvelles bases pour cette décennie et les suivantes.

Par conséquent, il est probable que plusieurs idoles largement considérées comme intouchables fassent ces prochaines années les frais d'un tel passéisme : le Traité de Kyoto, les régimes de non-prolifération ABC, le Conseil de Sécurité à 5 membres permanents et les Conventions de Genève sont menacés par la seule impossibilité de leur adaptation. Douleureux déchirements en perspective...

Posted by Ludovic Monnerat at 16h09

Avions US sur l'Iran

La pression sur l'Iran n'est pas relâchée : après la publicité accordée à un jeu de guerre visant à simuler une invasion du pays, des incursions ont apparemment été effectuées par l'aviation militaire américaine. La presse iranienne - du moins celle contrôlée par le Gouvernement - accuse ainsi les Etats-Unis d'espionner les sites nucléaires avec des avions de combat F-16 (basés à terre) et F/A-18 (basés en principe sur porte-avions : l'USS Truman est actuellement dans le Golfe).

Si ces survols ont bel et bien eu lieu de manière délibérée, ce qui semble probable, cela n'a cependant rien à voir avec un quelconque espionnage - un avion militaire portant une identification nationale n'a rien d'un espion - mais suggère au contraire un "jeu" classique visant à tester les défenses antiaériennes adverses, et notamment les radars utilisés. On peut ainsi parier que des avions d'exploration électronique couvrent soigneusement ces incursions afin de récolter le plus de renseignements possible.

On ne peut certes pas écarter que ces survols soient déjà des actions de déception, destinées à habituer l'Iran à une présence régulière d'avions de combat américains prompts à pénétrer son espace aérien. Ce qui pourrait aboutir à réduire progressivement la méfiance et l'attention suscitées par ces incursions, jusqu'au jour où l'une d'entre elles constitue une attaque aérienne. Une technique utilisée à merveille par les armées arabes à l'occasion de la guerre du Yom Kippour en 1973...

COMPLEMENT : Un article du Jerusalem Post, écrit par son chroniqueur militaire, affirme que l'Iran est en train de renforcer ses défenses antiaériennes autour de ses sites nucléaires, et cherche notamment à acquérir un radar indien capable de détecter des objets volant à très basse altitude.

Posted by Ludovic Monnerat at 9h23 | Comments (5)

Haro sur les munitions !

On peut lire ce matin dans 24 Heures une attaque en règle d'un principe-clef de l'armée de milice : la possession d'armes militaires avec un emballage de munitions par chaque citoyen devant accomplir ses obligations de service. Edmond Aubert, présenté comme professeur retraité, accuse ainsi le Gouvernement de fournir un soutien officiel au suicide en distribuant des munitions à ses soldats, et recommande donc de retirer celles-ci.

L'argumentation de M. Aubert consiste d'abord à mentionner un fait divers, un meurtre commis avec une arme d'ordonnance, pour affirmer que la disponibilité d'un paquet de munitions - dans une boîte en aluminium fermée, précisons-le - a joué un rôle déterminant dans cet acte. Il distingue ainsi la possession de l'arme, qu'il estime judicieuse, et celle des munitions qui l'accompagnent :

« Si le fils n'avait pas disposé du paquet de munitions distribué depuis quelques décennies à chaque militaire, aurait-il envisagé son suicide avec tant de détermination? Ce qui est presque certain, c'est qu'il n'aurait évidemment pas eu les moyens d'abattre [! son] père. »

Mais les évidences de M. Aubert n'en sont pas : il suffit aujourd'hui à n'importe quel soldat de se rendre dans une armurerie avec son livret de service et une pièce d'identité pour acheter, en toute légalité, une boîte de cartouches adaptées au fusil d'assaut 90. La munition dite de poche que l'on distribue aux militaires avant la fin d'une période de service, en leur interdisant de l'utiliser en-dehors d'une menace grave, n'est donc pas un élément déterminant. Et les balles utilisées pour le tir sportif au fusil d'assaut sont les mêmes pour le combat.

De ce fait, M. Aubert peut bien s'étonner du petit nombre d'incidents liés aux armes d'ordonnance :

« C'est un vrai miracle que, parmi les centaines de milliers de militaires disposant ou ayant disposé de munitions de guerre ces dernières décennies, on n'ait eu à déplorer que quelques meurtres ou tentatives de meurtre. »

Je dirais plutôt que la maturité des citoyens suisses, et le désintérêt pour les armes qui caractérise une partie d'entre eux, expliquent ce prétendu miracle. Les hommes de ce pays ne vivent pas avec le fusil d'assaut sous le lit, magasin munitionné et canon dégraissé : les armes d'ordonnance séjournent au contraire le plus souvent dans les caves et les galetas, comme le reste de l'équipement militaire, dont la munition de poche fait nécessairement partie. Et lorsqu'ils se déplacent en ville pour une période de service, l'arme à l'épaule ou à la main, ils ne suscitent aucune inquiétude particulière.

De toute manière, malgré ses affirmations alarmistes, M. Aubert en vient à se contredire sur l'ampleur du problème supposé et doit reconnaître l'absence de faits solides pour fonder son propos :

« ! il est avéré que des centaines de gens s'ôtent la vie avec une arme d'ordonnance chaque année. [!] Malheureusement, les statistiques restent muettes sur le nombre de suicides effectués avec une arme d'ordonnance. Mais tous, nous avons entendu parler de cas où ce genre d'arme (grâce aux munitions qui l'accompagnent) a permis le geste fatal. »

Ces lignes s'éloignent encore davantage de la réalité. Est-ce que M. Aubert s'est déjà représenté la difficulté d'un suicide avec un fusil d'assaut ? Les pistolets sont certes plus pratiques, mais seuls les officiers, les sous-officiers supérieurs et certaines troupes spécialisées - notamment sanitaires - en sont équipés. Se donner la mort avec le gros orteil sur la détente en veillant à garder le canon du fusil dans la bouche n'est pas exactement une solution facile et séduisante pour en finir avec la vie.

Les arguments infondés ou erronés de M. Aubert ne l'empêchent toutefois pas de poser une question importante : est-il justifié aujourd'hui sur le plan militaire de confier aux soldats arme et munitions, l'une n'allant pas sans les autres, en l'absence d'un dispositif de mobilisation générale pouvant être déclenché en 24 heures ? L'évolution des menaces asymétriques, avec leur caractère ponctuel et imprévisible, fournit une partie de la réponse. Mais l'absence d'un concept clairement défini montre bien que cet aspect n'a pas été traité dans la dernière réforme de l'armée. Le rôle du citoyen-soldat avant son entrée en service doit être repensé.

Posted by Ludovic Monnerat at 8h08

Alerte média : Le Temps

La question que je soulevais voici une semaine, à savoir la relation entre l'aide humanitaire en Asie du Sud et l'achat de 2 avions de transports en Suisse, m'a amené à rédiger un texte publié aujourd'hui dans Le Temps. L'accès est certes payant, mais que cela ne vous décourage pas !

L'un des aspects que je n'ai pas traités faute de place (5500 signes obligent à fixer des priorités...) est celui des primes d'assurance. Lorsque des nations affrètent des avions de ligne pour évacuer leurs ressortissants menacés dans une zone de crise, par exemple, les frais pour les assurances sont le plus souvent à la charge des Etats ; même des compagnies nationales comme l'était Swissair exigent le paiement de ces primes, qui s'élèvent à plusieurs millions de francs par vol. C'est également l'une des raisons qui pousse les Etats européens à augmenter leur capacité de transport militaire.

Posted by Ludovic Monnerat at 0h11 | Comments (4)

3 janvier 2005

Des officiers au lycée

Un article du Christian Science Monitor décrit le débat qui se déroule actuellement en Israël sur un programme original : l'envoi d'officiers supérieurs dans les lycées afin de rencontrer les étudiants, de leur parler du rôle de l'armée et des devoirs du citoyen, avant de les emmener pour visiter une unité militaire dans le terrain. Pas moins de 70 établissements scolaires participent au programme, qui déclenche néanmoins de vives résistances, avec - sans surprise - des accusations d'endoctrinement et de militarisation.

Que les militaires d'une armée de conscription se soucient de l'éducation civique est logique : sur les bancs des lycées se trouvent effectivement les chefs de demain, comme le nom du programme ("The Coming Generation") l'indique. Année après année, il est aisé de noter l'évolution des vertus essentielles à la vie militaire, comme l'aptitude à privilégier l'intérêt collectif et la disposition à accepter une fonction précise au service d'une organisation complexe. La création de ce programme en Israël semble donc répondre à un besoin tel qu'il est perçu par les militaires.

Mais les réactions de rejet exprimées au sein d'un pays en guerre montrent également à quel point les milieux de l'enseignement, dans les nations occidentales, restent viscéralement antimilitaires et prompts à la censure. Est-ce que la présence d'un lieutenant-colonel dans un lycée suffit à convaincre les étudiants d'embrasser une carrière militaire, ou est-ce qu'il ne serait pas en mesure de fournir des informations inédites à un public aussi intéressé que critique ? Le refus du dialogue trahit toujours un manque de confiance.

Ce débat va cependant au-delà des orientations idéologiques des milieux de l'enseignement, qui d'ailleurs évoluent rapidement au vu de la dégradation massive de la discipline et du respect dans les classes. Il porte sur la notion de service, sur l'acceptation de devoirs afin de garantir les droits d'autrui, y compris le devoir d'employer la coercition armée pour défendre et protéger. C'est bien l'un des piliers de l'Etat-nation qui est en jeu dans l'éducation des adolescents aux problèmes de sécurité.

Si demain un gymnase m'invite à donner un exposé pour expliquer le rôle de l'armée de milice suisse dans notre société et dans le cadre stratégique, je m'y rends sans hésiter. En uniforme de lieutenant-colonel, naturellement.

Posted by Ludovic Monnerat at 19h09

Des Alouettes III à vendre

Sur le site d'armasuisse, l'ancien groupement de l'armement de l'armée suisse, la liquidation de la flotte d'Alouette III a commencé (mais uniquement en allemand). Ces hélicoptères achetés dans les années 60 doivent être remplacés d'ici la fin de la décennie, et il désormais possible d'adresser des bulletins de commande directement à RUAG Aerospace à Alpnach pour acquérir tout ou partie d'une Alouette III.

En se penchant sur les éléments disponibles, on constate que pour l'heure aucun hélicoptère complet n'est proposé à la vente et qu'une grande quantité de pièces détachées est listée. En revanche, il est possible d'acquérir pour respectivement 120'000 et 180'000 francs des Alouette dont il ne manque que les pales du rotor principal, il est vrai plutôt importantes, alors que des carcasses vidées de tout contenu mécanique - preuve d'une cannibalisation passée - sont vendues au prix de 6000 francs.

Le remplacement des Alouette III constitue un projet important au sein des Forces aériennes. Au nombre de 72 voici quelques années, ces appareils jouaient un rôle important de liaison et de transport, mais aussi de surveillance au profit des forces de sécurité civiles. Un candidat potentiel serait l'Agusta A109M, qui a d'ailleurs été développé pour la recherche et sauvetage dans les Alpes suisses. Mais le volume de la flotte, autant que le choix de l'appareil, sera un aspect déterminant.

La flotte de 27 Super Puma / Cougar doit être complétée par un hélicoptère offrant des possibilités similaires à l'Alouette III - bonnes capacités d'observation, transport de personnel équipé et au besoin de matériel - mais avec des moyens de communication, de vision nocturne et vol tous temps adaptés aux missions actuelles. De quoi renforcer l'apport de l'armée dans la sécurité intérieure et lui donner une flexibilité adaptée à la dimension élargie des secteurs d'engagement.

Et si les successeurs de l'Alouette III donnent moins le mal de l'air que les Puma et Cougar sur des longues distances, personne ne s'en plaindra !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h34 | Comments (4)

Irak : pessimisme et optimisme

On lira avec intérêt la critique faite par François Brutsch aux auteurs d'une tribune pessimiste et déroutante publiée par Le Monde au sujet des élections en Irak. Visiblement, la formation d'une assemblée constituante est un événement funeste aux yeux de nombreux intellectuels en Occident. On se demande vraiment comment expliquer un tel abandon des valeurs qui fondent la vie démocratique, un aveuglement qui aboutit à préférer le calvaire immuable de la tyrannie à l'instauration chaotique de la démocratie. Personnellement, je l'appelle tout simplement "la faute". Mais c'est la faute d'une génération, d'une caste influente, d'un cercle dirigeant, qui entraînera des conséquences.

Dans l'intervalle, les Irakiens continuent de prendre en mains leur existence et de démentir les jugements pessimistes des caciques, comme le rappellent les bonnes nouvelles de l'Irak également mentionnées sur Swissroll. De quoi voir au-delà de l'énumération sans fin des attaques et des malheures que les médias confondent avec l'actualité irakienne. De quoi rappeler également que les Irakiens sont optimistes quant à leur avenir et jugent que leur pays est sur la bonne voie. On ne peut pas en dire autant de l'Europe occidentale !

COMPLEMENT : Ce sondage de 4974 personnes cité par PowerLine montre que plus de 3 Irakiens sur 4 habitant dans la région de Bagdad comptent voter lors des élections, et soutiennent à 87,7% les actions armées contre les terroristes. Et si la presse occidentale s'intéressait à ce que publie la presse irakienne ?

COMPLEMENT II : Une preuve supplémentaire que la démocratie s'installe au Moyen-Orient : le Premier ministre irakien participe à des émissions télévisées en direct durant lesquelles il répond à des questions posées par ses concitoyens au téléphone. En pleine campagne électorale, voilà qui ne peut certes gêner ses affaires, mais n'est-ce pas là un signe intéressant ?

COMPLEMENT III : Il n'est pas inintéressant non plus de se pencher sur le vrai bilan de l'opération Iraqi Freedom en termes de vies perdues et sauvées.

Posted by Ludovic Monnerat at 16h26 | Comments (3)

2 janvier 2005

Au coeur des médias arabes

Un long mais passionnant reportage du New York Times décrit le fonctionnement de la chaîne Al Arabiya basée à Dubai, et lancée voici presque 2 ans pour offrir une alternative plus objective et fiable qu'Al Jazeera. Le texte brosse le portrait de plusieurs membres de la chaîne et détaille les difficultés qu'elle rencontre à trouver un ton neutre et objectif pour décrire l'actualité tumultueuse du Moyen-Orient.

Al Arabiya fait naturellement partie des médias ciblés en Irak par des actes de violences, et l'une de ses journalistes vedettes a même dû précipitamment quitter l'Irak après avoir été menacée de mort par la guérilla. L'article montre également l'évolution de la chaîne et ses efforts pour recentrer son message, notamment en cessant l'an passé de désigner comme "occupantes" les forces de la coalition en Irak - un terme périmé par les résolutions de l'ONU, mais que de nombreux médias occidentaux continuent pourtant d'employer.

La lutte pour l'exactitude de l'information livrée au public fait ainsi partie intégrante des priorités de la chaîne et de ses employés. Il est frappant de constater à quel point de telles réflexions, qui bouillonnent d'émotions dans la bouche d'un journaliste palestinien, sont absentes dans notre pays parce que considérées comme acquises, institutionnalisées, irréprochables. Et donc fossilisées.

COMPLEMENT : D'après le quotidien saoudien basé à Londres Asharq al-Awsat, cité par AP, une cassette vidéo montrerait les liens étroits qui existaient entre la chaîne Al Jazeera et le régime de Saddam Hussein, ainsi que l'influence afférente sur la couverture de l'Irak.

Posted by Ludovic Monnerat at 18h53

Queue de poisson aux CFF !

La Suisse a beau être un pays privé d'accès maritime, nos Chemins de Fer Fédéraux font des efforts méritoires pour rapprocher leur clientèle de l'élément aquatique. Après avoir mis en service des trains en forme d'anguille qui donnent le mal de mer, la régie franchit une étape supplémentaire : désormais, ses rames les plus modernes effectuent des parcours décrits en termes complaisamment ichtyoïdes.

J'avais promptement mesuré cette nouvelle dérive sur la ligne Bienne - Berne, où le tourbillon de mes activités professionnelles m'emporte régulièrement, mais j'avais versé ces remous sur le compte de la déferlante germanophone qui accompagne fréquemment les vagues réformatrices au plan national. Cependant, d'autres croisières sur des rivages bien romands m'ont permis de ferrer la chose. Mille sabords !

Observez la cale d'un vaisseau inclinable qui oscille le long de nos lacs, ou celle d'une version à deux ponts, et vous apercevrez peut-être le panneau d'affichage porter les signes suivants : PROCHAINE ARRETE LAUSANNE. De là à affirmer que les CFF se gaussent ainsi de certaines augmentations récentes un brin difficiles à avaler, il y a une palme que je n'agiterai pas. Une affaire pour le moins trouble.

Naturellement, il est possible que nos chemins de fers aient choisi une métaphore hissée du monde aquatique pour diluer un message positif : si chaque ville du pays est une arrête, le réseau ferroviaire forme une ossature solide. Il est toutefois plus probable que le tout ne soit qu'une coquille commise par quelques spécimens aujourd'hui noyés sous les reproches. Si ce sont les mêmes qui ont choisi les rames à tangage, je ne donne pas cher de leurs écailles !

Posted by Ludovic Monnerat at 17h30

ONU : le silence complice

Voici plus de 2 semaines que le Times de Londres a publié un article dévastateur pour la réputation et la crédibilité des Nations Unies, en résumant les actes illicites et scandaleux commis par le casques bleus et les fonctionnaires onusiens au Congo. Les enquêtes en cours avaient alors révélé au moins 150 cas de méconduite flagrante : viols, pédophilie, pornographie, etc. Des cassettes pornographiques impliquant des mineurs ont ainsi été tournées par des employés internationaux ou des soldats engagés dans la mission.

Pourtant, cet article éloquent - et fondé par plusieurs sources distinctes, dont des rapports internes de l'ONU - a été étonnamment ignoré par le reste des médias occidentaux. Alors que ceux-ci avaient orchestré une véritable campagne lors de la révélation des maltraitements commis dans la prison irakienne d'Abu Ghraib, les actes à la fois plus nombreux et plus graves commis par l'ONU au Congo sont recouverts d'un manteau de silence. L'organisation elle-même refuse d'en dire davantage, et notamment de dénoncer les contingents coupables des pires exactions.

Une recherche sur les informations de Google montre ainsi que la couverture médiatique s'est limitée à donner la parole aux représentants de l'ONU sur les accusations de viols rendues publiques dès la mi-décembre. Aucune enquête subséquente, aucune remise en cause des déclarations des dirigeants onusiens n'ont eu lieu, sauf dans quelques médias américains conservateurs qui combattent ouvertement l'ONU (on peut citer un éditorial du WSJ - accès payant - le 29 décembre). En d'autres termes, les explications onusiennes et les promesses de réforme ont été acceptées comme parole d'évangile par les rédactions.

Ces jours-ci, le scandale de l'ONU a été largement mis entre parenthèses en raison de la catastrophe survenue en Asie du Sud, même si l'organisation montre comme souvent son aptitude restreinte à conduire des opérations complexes, ainsi qu'en témoignent les engorgements logistiques signalés aujourd'hui. Mais le silence complice des médias à l'endroit de l'ONU sera tôt ou tard rompu, en particulier lorsque les cassettes tournées par les violeurs et les pédophiles au Congo seront rendues publiques. Les convictions doivent tôt ou tard s'incliner devant la réalité.

Naturellement, cet épisode contribue encore à réduire la crédibilité des rédactions quant à leur capacité et leur volonté à relater de manière objective la totalité des faits.

COMPLEMENT : Pour obtenir une vision critique de la manière avec laquelle l'ONU tente de gérer la catastrophe humanitaire en Asie du Sud, les derniers billets de Belmont Club sont une référence.

COMPLEMENT II : L'ONU semble avoir pris l'habitude de revendiquer comme siennes les activités des contingents militaires américains et australiens à Sumatra, alors même qu'elle n'a rien à voir avec celles-ci. Ce comportement a de quoi interpeller, comme le montre le blog tenu par des membres du Département d'Etat américain, Diplomad.

COMPLEMENT III : D'après le New York Times de ce jour, Kofi Annan est parfaitement conscient de la crise mortelle que traverse l'ONU et demande des conseils avisés sur la manière d'en assurer la survie. Il faut dire que la pression est croissante aux Etats-Unis pour un retrait américain de l'ONU...

Posted by Ludovic Monnerat at 11h47

1 janvier 2005

L'aide militaire en Asie du Sud

Les effets dévastateurs du tsunami en Asie du Sud ont rapidement nécessité l'intervention de plusieurs forces armées, qui disposent de capacités cruciales en matière de logistique et de reconnaissance. Les armées des pays touchés ont naturellement été appelées à se déployer dans des régions coupées du monde, comme au Sri Lanka et en Indonésie, afin de venir en aide aux survivants. Pourtant, leurs capacités limitées en regard des standards en la matière laisse un très large rôle aux nations occidentales.

L'Australie a été la première à intervenir, et son Ministère de la Défense a d'ailleurs créé une page spécifique pour décrire les efforts entrepris. L'armée australienne a ainsi déployé 7 avions de transport C-130 (dont 1 fourni par la Nouvelle-Zélande), 1 avion de transport Boeing 707 et 1 avion léger Beech 350 dès le 28.12, ainsi que plusieurs installations de purification d'eau et du personnel spécialisé dans le génie et la logistique.

Après un accord international qu'il serait fort intéressant de connaître, l'Australie a décidé de se concentrer sur l'île de Sumatra, en Indonésie, qui comprend la péninsule d'Aceh en proie depuis une année et demi à un conflit de basse intensité entre indépendantistes et forces de sécurité indonésiennes. Les moyens supplémentaires déployés par l'Australie comprennent un hôpital de campagne de 55 lits (dès le 2.1), 4 hélicoptères de transport UH-1 (dès le 3.1) et le navire amphibie HMAS Kanimbla, qui sera positionné au large d'Aceh dès le 14.1 en guise d'appui logistique avancé, voire d'élément de commandement. Au total, les effectifs engagés par l'Australie vont dépasser les 1000 militaires.

Les Etats-Unis, par le biais de leurs moyens prépositionnés dans le Pacifique et l'océan Indien, ont la capacité d'intervenir massivement. Une force de circonstance a été formée pour l'occasion, la Joint Task Force 536, sous le commandement de la 3e Force Expéditionnaires de Marines, et elle a établi son commandement sur la base d'Utapao, en Thaïlande. Dès le 29.12, 9 avions de reconnaissance maritime P-3 Orion ont été déployés pour la reconnaissance et la recherche de personnes, alors que 10 avions de transport C-130 ont commencé à livrer des marchandises de première nécessité, comme l'eau potable et les médicaments. Au moins 4 ravitailleurs KC-135 sont également engagés pour transporter des palettes de matériel. Tous ces moyens sont basés au Japon et à Guam.

Sur le plan maritime, le groupe aéronaval centré autour du porte-avions USS Abraham Lincoln est arrivé le 31.12 au large d'Aceh, et emploie ses moyens aériens - dont 12 hélicoptères de transport - pour la recherche et sauvetage. De plus, 7 navires de transport prépositionnés à Diego Garcia ou à Guam devraient arriver à la fin de la semaine prochaine à proximité des zones les plus touchées avec une grande quantité de matériel, chacun emmenant un équipement de purification d'eau capable de produire près de 400'000 litres par jour. Enfin, le groupe d'assaut amphibie centré autour de l'USS Bonhomme Richard devrait arriver le 6.1 au large du Sri Lanka ; ses 25 hélicoptères seront utiles dans le transport, mais ce sont surtout ses 2100 Marines embarqués - la 15e Unité Expéditionnaire de Marines - qui fourniront la principale contribution. Au total, les Etats-Unis vont donc employer entre 10'000 et 12'000 soldats pour cette mission.

Les pays européens sont naturellement moins impliqués, en raison de leur éloignement par rapport à l'Asie du Sud. Malgré cela, la France a déployé dès le 27.12 un avion de transport Airbus A-310 pour emmener du personnel et du matériel, puis ramener des citoyens français en détresse, mais aussi un avion de reconnaissance Atlantique 2 basé à Djibouti pour la recherche de personnes ; d'autres moyens ont été mis en alerte, notamment dans le transport aérien.

L'Allemagne, pour sa part, a engagé 3 Airbus A-310 - dont 2 en version sanitaire - pour le rapatriement de ses citoyens et transporté un grand volume de matériel. Elle déploie également le navire d'appui logistique Berlin, qui dispose de capacités dans le domaine sanitaire (45 lits), du ravitaillement (purification d'eau à raison de 25'000 litres par jour) et du transport aérien (2 hélicoptères Sea King). Ce navire était précédemment engagé dans le Golfe d'Oman au profit de l'opération Enduring Freedom.

La Grande-Bretagne, enfin, déploie une frégate et un navire logistique dans la région, où ils seront opérationnels dès le 4.1, ainsi qu'un avion de transport lourd C-17.

Ces engagements militaires d'aide humanitaire sont aujourd'hui une pratique habituelle, même si l'ampleur de la catastrophe accroit leur importance ; les troupes américaines du Pacifique sont d'ailleurs rentrées le 23.12 d'une mission de plusieurs jours aux Philippines, après les dégâts considérables entraînés par de violentes intempéries. C'est le principe même des Forces armées - se tenir prêtes à agir dans des contextes et face à des dangers divers - qui les rend aptes à remplir ponctuellement ce type de mission. Lorsque toute l'infrastructure nécessaire à la vie ordinaire s'effondre, les éléments capables de fonctionner dans une situation extraordinaire sont naturellement de première importance.

Une autre dimension vient cependant s'ajouter à cette utilité pratique autant qu'économique : l'impact politique de ces missions. Les promesses de dons et la solidarité publique sont dignes d'éloges, mais la présence sur le terrain de militaires engagés jour et nuit dans des tâches vitales au profit de populations démunies possède une valeur stratégique propre. Le déploiement militaire massif des Etats-Unis est une manière opportune de montrer que sa puissance peut aider et sauver plus que toute autre dans des circonstances dramatiques. Les images et vidéos mises en ligne par l'Australie participent d'une même intention.

COMPLEMENT : Précisons que le navire australien HMAS Kanimbla sera essentiellement engagé dans des travaux du génie en plus de la logistique. L'Australie planifie par ailleurs un engagement militaire à long terme dans la reconstruction.

COMPLEMENT II : Le dispositif militaire américain se précise, comme l'indique ce communiqué : le groupe amphibie Bonhomme Richard devrait plutôt être engagé autour d'Aceh, et arrive aujourd'hui à destination, alors que des avions de transport lourds C-17 sont également mis à disposition de la JTF.

COMPLEMENT III : La France a décidé d'engager également des navires en déployant dans la région le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc et la frégate Georges Leygues.

Posted by Ludovic Monnerat at 15h29 | Comments (2)

Bonne et heureuse année 2005 !

Permettez-moi de brièvement présenter mes voeux de bonheur, de succès et de santé pour l'année nouvelle à ceux et celles qui lisent ces lignes.

J'en profite également pour vous remercier chaleureusement : en 2 semaines, ce blog naissant a reçu plus de 1000 visites, et de nombreux messages de félicitations me sont parvenus par courrier électronique. Ces encouragements me vont droit au coeur.

Que les 12 prochains mois vous soient donc favorables et agréables !

Posted by Ludovic Monnerat at 10h56 | Comments (1)