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15 décembre 2004

Le lobby artistique perd son message

Un éditorial coup-de-poing publié aujourd'hui dans Le Matin, sous la plume de son rédacteur-en-chef Peter Rothenbühler, ajoute un nouveau chapitre à la lutte des perceptions déclenchée par l'affaire Hirschhorn.

Commentant le refus par les Autrices et Auteurs de Suisse d'accepter la demande d'adhésion faite par l'UDC valaisan Oskar Freysinger, Rothenbühler emprunte sans hésiter un langage judiciaire :

« Si l'on voulait prouver que des associations culturelles suisses subventionnées par l'Etat sont noyautées par une gauche intolérante, on ne pouvait rêver meilleure pièce à conviction! »

Il souligne ensuite la contradiction survenant à quelques jours d'intervalle entre les hauts cris visant à défendre la liberté artistique de Thomas Hirschhorn, concepteur d'une exposition parisienne s'en prenant en termes orduriers à une Suisse qui pourtant appuie ses œuvres, et les réserves émises à l'adhésion de Freysinger, pour la simple et bonne raison que ce dernier penche trop à droite et critique trop durement les islamistes.

De quoi conclure, pour Rothenbühler, par un véritable appel aux armes comportant une allusion transparente aux débats politiques en cours :

« Il est vraiment grand temps de se battre contre ces «ayatollahs de la culture suisse». Ce n'est pas le Parlement qui exerce du terrorisme culturel dans notre pays, mais bien une clique de copains de gauche qui vit aux crochets de l'Etat et veut imposer sa loi. »

Quelle est l'importance de cet éditorial pour le moins combatif ? Il vient saccager la perception que les artistes suisses ont réussi à imposer en quelques jours.

Lorsque les pitreries de Hirschhorn ont été révélées au grand public, la colère qu'elles ont suscitée a amené le Conseil des Etats a réduire d'un million de francs le budget de Pro Helvetia, qui subventionnait l'exposition incriminée. La réaction ne s'est pas faite attendre : les artistes suisses sont montés aux barricades et ont utilisé tous leurs relais dans les médias, provoquant nombre d'interviews et d'éditoriaux, pour tenter de sauvegarder l'intégrité de ce budget.

Avec une efficacité et une unité de doctrine remarquables, ce qu'il convient d'appeler le lobby artistique est parvenu à systématiser un message-clef : la décision de réduire les subventions de Pro Helvetia constitue un acte de censure totalement inacceptable. Naturellement, il n'y a pas de lien causal entre la liberté d'expression et la perception de subsides fédéraux, mais la censure est un mot suffisamment chargé pour dissimuler ce manque de logique.

Accessoiremment, les artistes suisses ont propagé un message secondaire, destiné à renforcer les bases incertaines du premier : personne n'est qualifié pour juger bonne ou mauvaise une production artistique. On pourrait croire qu'ils considèrent le public comme destiné à financer sans mot dire leurs pérégrinations créatrices.

C'est précisément cet aspect élitiste et arrogant qui constitue l'accroche du texte impitoyable de Peter Rothenbühler : en montrant la différence entre les propos et les actes des écrivains suisses, et en l'élargissant sans autre à tout le lobby artistique, il brise l'hégémonie de son message et ravive la lutte de perceptions allumée par l'affaire Hirschhorn. Dans la mesure où le Blick a également traité le rejet de Freysinger dans des termes similaires, cela pourrait avoir un impact politique perceptible.

En d'autres termes, un exemple de la puissance des médias lorsqu'ils utilisent l'arme, toujours à double tranchant, de la dénonciation morale.


COMPLEMENT : Pour vérifier à quel point les artistes suisses peuvent imposer leur point de vue par l'entremise des médias, il suffit de voir comment 24 Heures titre aujourd'hui sur le refus par le Conseil des Etats de revenir sur son vote à propos de Pro Helvetia : "Le Conseil des Etats ne veut pas entendre raison". Plutôt édifiant !

Publié par Ludovic Monnerat le 15 décembre 2004 à 12:50