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14 décembre 2004

Gérer les perceptions : un dilemme

Un article publié hier par le New York Times examine la problématique de la gestion des perceptions dans un conflit de basse intensité, en décrivant les débats animés en cours au Pentagone sur le bien-fondé du rapprochement entre la communication publique et les opérations psychologiques, ces dernières étant l'une des composantes classiques des opérations d'information.

Toutes les armées occidentales ont globalement adopté ces dernières années une séparation stricte entre les deux activités. La communication publique (public affairs en anglais) est assurée par des porte-parole civils ou militaires qui ne diffusent que des informations vraies, ou du moins considérées comme telles à l'instant de leur diffusion. Une vérité constante, mais incomplète en raison des besoins propres à la sécurité opérationnelle.

A l'inverse, les opérations psychologiques forment une méthode d'influence d'audiences-cibles susceptible de diffuser des informations vraies, partiellement vraies ou totalement fausses - auquel cas elles relèvent de la déception militaire, une pratique normale du champ de bataille. On parle souvent de propagande blanche, grise ou noire pour décrire les degrés de véracité des opérations psychologiques.

Cette volonté de distinguer l'une de l'autre se heurte cependant au fait que la transformation des conflits et la globalisation des médias amène leurs effets respectifs à se superposer :

"There is a gray area," he said [le général Kimmitt, ancien porte-parole de la coalition en Irak]. "Tactical and operational deception are proper and legal on the battlefield." But "in a worldwide media environment," he asked, "how do you prevent that deception from spilling out from the battlefield and inadvertently deceiving the American people?"

Le fond du problème est le suivant : la démarche intellectuelle consistant à analyser les perceptions d'une audience donnée afin de mieux les gérer par des messages adaptés est strictement la même dans la communication publique et les opérations psychologiques. C'est le contenu des messages qui ensuite diffère, et bien entendu les vecteurs de leur diffusion. D'où la tentation de rapprocher les deux structures, au risque de ruiner la crédibilité des porte-parole.

Dans la mesure où les perceptions publiques sont la clef des conflits de basse intensité, dont les enjeux ne justifient pas le soutien spontané pour toute action armée, les militaires sont obligés de contrer les offensives de leurs adversaires :

"In the battle of perception management, where the enemy is clearly using the media to help manage perceptions of the general public, our job is not perception management but to counter the enemy's perception management," said the chief Pentagon spokesman, Lawrence Di Rita.

La politique officiellement affichée par le Département américain de la Défense n'empêche pas des tentations moins avouables, comme l'a montré le cas de l'Office of Strategic Influence ou les produits avariés du renseignement militaire rendus publics avant le déclenchement de l'opération Iraqi Freedom. Toutefois, dans la mesure où les médias tendent eux-mêmes à réduire drastiquement toute différence entre la relatation des faits et le commentaire qu'ils occasionnent, la rigueur des armées en la matière pourrait devenir l'exception.

On notera que l'article du New York Times, au demeurant solide et équilibré, aborde furtivement la vaste question de l'influence des opinions publiques lors de la guerre froide, mais uniquement sous l'angle américain.

Publié par Ludovic Monnerat le 14 décembre 2004 à 19:53